VU la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juillet et 8 octobre 1999 au greffe de la cour, présentés pour la société anonyme FIRMENICH et cie, dont le siège est ... sur Seine (92521), par Me Jean X..., avocat ; la société FIRMENICH et cie demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 94016831/1 en date du 3 mars 1999 en tant que le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande tendant à la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1986, 1987 et 1988 ainsi que des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50.000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
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VU les autres pièces du dossier ;
VU la convention en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune conclue entre le gouvernement de la République française et le gouvernement suisse le 9 septembre 1966 modifié par un avenant du 3 décembre 1969 ;
VU le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 avril 2004 :
- le rapport de Mme HELMLINGER, premier conseiller,
- les observations de Me X..., avocat, pour la société FIRMENICH,
- et les conclusions de M. BATAILLE, commissaire du Gouvernement ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la convention fiscale franco-suisse susvisée du 9 septembre 1966, alors applicable : Lorsque a) une entreprise d'un Etat contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise de l'autre Etat contractant, ou que b) les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, ou au contrôle ou au capital d'une entreprise d'un Etat contractant et d'une entreprise de l'autre Etat contractant, et que, dans et l'un et l'autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions acceptées ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient conclues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été obtenus par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ; que ces stipulations permettent à l'administration fiscale française de faire application de l'article 57 du code général des impôts aux termes duquel : Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France ; qu'en vertu du I de l'article 209 du même code, ces dispositions sont également applicables à l'établissement de l'impôt sur les sociétés ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société FIRMENICH et cie appartient au même groupe que la société suisse FIRMENICH SA et assure, aux termes d'un contrat de concession exclusive, la distribution en France des arômes et concentrés de parfum fabriqués par la société suisse ; que l'administration soutient, sans être sérieusement contestée, que les prix d'achat et de revente de ces produits, exprimés en francs suisses, ainsi que des délais de paiement anormalement brefs étaient imposés à la société française par la société suisse ; qu'ainsi, la société FIRMENICH et cie doit être regardée comme étant sous la dépendance de fait, si ce n'est de droit, de la société suisse FIRMENICH SA ; que, par suite, les avantages consentis par la première à la seconde sont susceptibles de constituer un transfert de bénéfices, en application des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts ;
Considérant qu'à partir de 1978, la société FIRMENICH et cie qui n'avait jusqu'alors qu'une activité de distribution des produits entièrement élaborés et fabriqués par la société suisse, a composé elle-même ses propres concentrés de parfum, leur fabrication restant assurée par la société suisse à partir des corps chimiques de base que cette dernière avait développés ; que l'administration a réintégré dans les résultats imposables de la société FIRMENICH et cie, le coût d'élaboration desdites compositions augmenté d'une marge forfaitaire de 10 %, estimant qu'en ne facturant pas cette prestation à la société suisse, elle l'avait ainsi fait bénéficier d'un avantage constitutif d'un tel transfert de bénéfices ;
Considérant qu'aux termes du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a, quant à lui, estimé que la société suisse avait indûment facturé à la société FIRMENICH et cie, à l'intérieur du prix de vente des concentrés de parfum dont elle assurait la fabrication, le coût des compositions réalisées par la société française ; que la société requérante fait valoir, en accord avec l'administration, que les prix de vente établis par la société suisse FIRMENICH SA n'ont jamais pris en compte le coût de la composition des concentrés de parfum ; que, par le passé, elle versait, à cet effet, à la société suisse une redevance ad hoc de 3 % qui a précisément été abandonnée lorsqu'elle a pris en charge l'activité de composition ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu cette circonstance pour regarder comme établi un transfert de bénéfices ;
Considérant que, s'agissant de l'absence de facturation par la société FIRMENICH et cie de cette prestation, elle ne saurait être constitutive d'un avantage consenti à la société suisse que pour autant que celle-ci aurait été en mesure d'exploiter, pour son propre compte ou pour le compte d'une autre entreprise du groupe, les compositions créées par la société française ; que cette dernière fait valoir que ses compositions étaient développées dans son seul intérêt commercial, au bénéfice exclusif de sa clientèle française ; qu'ainsi, ses clients disposaient d'une exclusivité de fait sur les compositions crées à leur demande, qui ne pouvaient, en conséquence, être commercialisées auprès de tiers et qu'ils n'étaient pas eux-mêmes susceptibles de chercher à s'approvisionner directement auprès de la société suisse dès lors que, dans le secteur de la parfumerie, un grand intérêt commercial s'attache à l'origine française des produits vendus ;
Considérant que l'administration se borne à faire état de l'éventualité d'une exploitation de ces compositions par la société suisse FIRMENICH SA sans apporter aucun indice de son effectivité, ni même sans contester sérieusement les observations susmentionnées de la société requérante qui témoignent du caractère très improbable d'une telle exploitation ; qu'en se fondant sur cette seule éventualité, elle ne peut être regardée comme ayant apporté la preuve qui lui incombe, de la réalité d'un avantage consenti par la société FIRMENICH et cie à la société suisse FIRMENICH SA, constitutif d'un transfert de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société FIRMENICH et cie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande tendant à la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1986, 1987 et 1988, et des pénalités y afférentes, correspondant à la réintégration dans ses bases d'imposition des frais de composition de concentrés de parfum ; qu'il y a lieu, par suite, de prononcer la décharge desdites cotisations, à concurrence, selon les chiffres non contestés de l'administration, des sommes, en droits et intérêts de retard, de 3.827.454 F, 4.077.285 F et 4.068.804 F ;
Sur les conclusions de la société FIRMENICH et cie tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de condamner l'Etat à payer à la société FIRMENICH et cie une somme de 5.000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La société FIRMENICH et Cie est déchargée du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1986, 1987 et 1988, à concurrence des sommes, en droits et intérêts de retard, de 3.827.454 F, 4.077.285 F et 4.068.804 F .
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 mars 1999 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société FIRMENICH et Cie une somme de 5.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société FIRMENICH et Cie est rejeté.
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N° 99PA02135
Classement CNIJ : 19-04-02-01-04-083
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