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11/07/2025 | FRANCE | N°24NT01023

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 11 juillet 2025, 24NT01023


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les décisions tacites de retrait, de réduction, de récupération et de retenue des aides " Système polycultures Elevage " du dispositif des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) dues au titre des campagnes 2015 à 2019, révélées par les relevés de situation des 9 et 17 juin 2021 et du 18 octobre 2021, et d'annuler les titres exécutoires émis le 27 mai 2021 pour un montant de 1 165,82 euros, le

9 juin 2021 pour un montant de 15 997,61 euros, et le 17 juin 2021 pour un montant de 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les décisions tacites de retrait, de réduction, de récupération et de retenue des aides " Système polycultures Elevage " du dispositif des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) dues au titre des campagnes 2015 à 2019, révélées par les relevés de situation des 9 et 17 juin 2021 et du 18 octobre 2021, et d'annuler les titres exécutoires émis le 27 mai 2021 pour un montant de 1 165,82 euros, le 9 juin 2021 pour un montant de 15 997,61 euros, et le 17 juin 2021 pour un montant de 1 086,47 euros pour le recouvrement d'un trop-perçu d'aides agricoles, de le décharger du paiement de ces sommes et d'enjoindre au préfet de l'Orne et à l'Agence de services et de paiement (ASP) de réexaminer son dossier et de procéder au reversement des aides récupérées, à hauteur de 36 449,90 euros.

Par un jugement n° 2200299 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé les titres exécutoires émis le 27 mai 2021, le 9 juin 2021 et le 17 juin 2021 par l'Agence de services et de paiement et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 avril 2024, 14 janvier 2025 et

13 mars 2025, M. A... B..., représenté par Me Chevalier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 2 février 2024 en tant qu'il rejette les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions tacites de retrait et de récupération des aides " Système polycultures Elevage " du dispositif des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) qui lui étaient dues au titre des campagnes 2015 à 2019 ;

2°) d'annuler ces décisions tacites de retrait et de récupération d'aides ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la Région Normandie de réexaminer son dossier et de procéder au reversement par l'Agence de services et de paiement (ASP) des aides récupérées, à hauteur d'une somme de 36 449,90 euros, assortie des intérêts moratoires, avec capitalisation de ces intérêts, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État et le cas échéant de la Région Normandie ou de l'ASP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet de l'Orne a commis une erreur de droit en considérant que ses parcelles de l'îlot n°12 devaient être considérées, à partir de 2015 et en 2019, comme des prairies permanentes, au sens de la notice spécifique de la mesure SPE3 ; il n'était donc pas soumis à l'interdiction de retournement de prairie sur l'îlot 12, interdiction qu'il conteste au demeurant avoir méconnue ;

- c'est au prix d'erreurs de droit, de qualification juridique et d'appréciation des faits que le préfet de l'Orne a estimé qu'il avait procédé, sur les parcelles de l'îlot 12, à un retournement de prairie et commis ainsi un manquement de nature à justifier le retrait de la MAEC SPE 3 au titre des campagnes 2015 à 2020 ; un changement de code culture, lors de la déclaration PAC, qui est une simple déclaration administrative, ne peut être assimilé à une opération de " retournement de prairie ", d'autant plus que la culture de légumineuses peut se faire, comme en l'espèce, par sur-semis et sans labour ; l'administration admet que les sur-semis et le travail superficiel du sol sont associés à des pratiques traditionnelles d'entretien de la prairie et que ces travaux ne sont pas considérés comme un retournement du milieu ; aucun contrôle administratif sur place n'a été réalisé sur les parcelles de l'îlot 12 alors même que l'instruction technique n° DGPE/SDPAC/2015-1070 du 10 décembre 2015 et la notice spécifique de la MAEC SPE3 imposent un contrôle visuel du couvert ;

- les décisions de récupération des indus litigieux par compensation sont illégales, sa dette n'étant pas certaine, liquide et exigible.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 octobre 2024 et le 25 février 2025, la Région Normandie, représentée par Me Pintat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'appelant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 4 décembre 2024, le ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt expose qu'il incombe à la Région Normandie et à l'Agence de services et de paiement de défendre dans l'instance et qu'il ne présentera donc pas d'observations dans le cadre de cette affaire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- les règlements (UE) n° 1305/2013, n° 1306/2013 et n° 1307/2013 du 17 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne ;

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public ;

- et les observations de Me Chevalier, représentant M. B..., et de Me Elissalde, représentant la Région Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... exerce une activité d'élevage de bovins allaitants à

Saint-Jouin-de-Blavou (Orne). Il a sollicité, le 27 mai 2015, le bénéfice de la mesure

agro-alimentaire environnementale et climatique (MAEC) " système polycultures élevage dominante élevage niveau 3 ", dite aide MAEC SPE3. Par une décision d'engagement du

23 octobre 2017, l'État et la Région Normandie se sont engagés à lui verser cette aide à hauteur d'une somme annuelle de 15 997,61 euros à compter du 15 juin 2015 et pendant une période de cinq années. Dans le cadre de la reconduction de la politique agricole commune (PAC) 2015-2020, M. B... a sollicité la prolongation de l'aide SPE3 le 6 juin 2020. Par une décision d'engagement du 2 février 2021, l'État et la Région se sont engagés à lui verser une aide annuelle de 3 752,95 euros. Par la suite, en consultant son relevé de situation sur la plateforme Télépac le 9 juin 2021, M. B... a constaté que l'aide SPE3 qu'il avait perçue au titre de la campagne 2019 lui avait été retirée et que les sommes versées pour les campagnes 2015, 2017 et 2018 avaient été réduites. Le relevé de situation du 17 juin 2021 l'informait que l'aide SPE3 accordée pour la campagne 2016 avait également été réduite et le relevé du 18 octobre 2021 qu'une partie des sommes qu'il devait serait récupérée par compensation sur les aides versées au titre de la campagne 2021, à hauteur de 9 100 euros. Enfin, par un courrier du 30 novembre 2021, l'Agence de services et de paiement (ASP) a informé M. B... que sa situation faisait apparaître un trop perçu d'un montant de 18 240,90 euros et lui a notifié trois titres exécutoires datés du 27 mai 2021, du 9 juin 2021 et du 17 juin 2021 pour la récupération de cette somme. M. B... a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation des décisions de retrait, de réduction, de récupération et de retenue des aides SPE3, révélées par les relevés de situation des 9 et 17 juin 2021 et du 18 octobre 2021 ainsi que des titres exécutoires émis sur leur fondement, à la décharge du paiement de ces sommes et à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Orne et à l'Agence de services et de paiement (ASP) de réexaminer son dossier et de procéder au reversement des aides récupérées, à hauteur de 36 449,90 euros. Il relève appel du jugement du 2 février 2024 par lequel ce tribunal ne lui a donné que partiellement satisfaction en annulant seulement les titres exécutoires émis à son encontre par l'ASP sans faire droit à sa demande d'annulation des décisions de retrait et de récupération des aides..

2. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (UE)

n° 1305/2013 du 17 décembre 2013 relatif à la mesure agroenvironnementale et climatique : " Les États membres prévoient une aide, au titre de cette mesure (...). Cette mesure vise à maintenir les pratiques agricoles qui apportent une contribution favorable à l'environnement et au climat et à encourager les changements nécessaires à cet égard. Son intégration dans les programmes de développement rural est obligatoire au niveau national et/ou régional. ". Selon le paragraphe 2 de ce même article : " Les paiement agroenvironnementaux et climatiques sont accordés aux agriculteurs (...) qui s'engagent volontairement à exécuter des opérations consistant en un ou plusieurs engagements agroenvironnementaux et climatiques sur des terres agricoles (...) ". Aux termes de l'article 63 du règlement (UE) n°1306/2013 du 17 décembre 2013 : " 1. Lorsqu'il est constaté qu'un bénéficiaire ne respecte pas les critères d'admissibilité, les engagements ou les autres obligations relatifs aux conditions d'octroi de l'aide ou du soutien prévus par la législation agricole sectorielle, l'aide n'est pas payée ou est retirée en totalité ou en partie et, le cas échéant, les droits au paiement correspondants visés à l'article 21 du règlement (UE) n° 1307/2013 ne sont pas alloués ou sont retirés. (...) ".

3. D'autre part, l'aide SPE3 dont a bénéficié M. B... a pour objectif de favoriser le recouplage des ateliers animal et végétal afin d'accroître l'autonomie alimentaire des exploitations, en valorisant la production d'herbe, et de favoriser ainsi des pratiques contribuant au respect de l'environnement et à la préservation de la qualité de l'eau. La notice spécifique de la MAEC SPE3 comporte des conditions générales d'éligibilité de l'exploitant et un cahier des charges précis de la mesure, comprenant huit obligations tenant notamment au maintien d'une activité d'élevage et à la détention d'au moins 10 unités de gros bétail (UGB) herbivores, à l'interdiction de retournement des prairies permanentes, au respect d'une part minimale de surface en herbe de 75% de la surface agricole utile (SAU), au plafonnement de la surface consacrée à la production de maïs fourrager, à la limitation des intrants destinés à l'alimentation des animaux, à l'encadrement plus strict des traitements phytosanitaires, à l'interdiction des régulateurs de croissance et à l'exigence d'un appui technique sur la gestion de l'azote. Parmi ces obligations, celle citée en deuxième position et faisant l'objet du présent litige consiste en " l'interdiction de retournement des prairies permanentes de l'exploitation (...) notamment par le labour ou lors de travaux lourds. Seul un renouvellement par travail superficiel du sol est autorisé ".

4. Il résulte de l'instruction que, pour procéder à la remise en cause de l'aide accordée, l'administration a considéré que M. B... n'avait pas respecté, sur un îlot de parcelles n° 12 d'une surface totale de 8,49 ha, son obligation de " non-retournement de prairie " pour laquelle l'engagement correspondant, applicable aux " prairies permanentes ", avait été pris. Elle a opéré cette constatation, non par un contrôle sur place, mais par un contrôle administratif consistant, après avoir requalifié en prairies permanentes (PP) les parcelles en cause, déclarées par M. B... à partir de 2015 comme " prairies temporaires " alors qu'elles étaient déclarées l'année précédente par cet exploitant comme " prairies naturelles ", à vérifier le statut déclaré par l'intéressé lui-même pour les parcelles de son exploitation. Cette vérification lui a permis, pour l'îlot n° 12, de repérer une anomalie tenant au passage, à partir de l'année 2019 et pour l'année suivante 2020, du code PP pour " prairie permanente " aux codes MLF et MLG correspondant à des " mélanges de légumineuses fourragères pures" (MLF) et à des " mélanges de légumineuses prépondérantes et céréales et/ou oléagineux " (MLG), révélant un changement d'usage des parcelles agricoles incompatible avec l'exigence de non-retournement constituant l'un des engagements fondamentaux de l'agriculteur pour qu'il bénéficie de l'aide MAEC SPE3. Pour contester le bien-fondé de la créance recouvrée par l'administration, M. B... fait valoir que celle-ci a retenu à tort qu'il n'avait pas respecté son obligation de non-retournement de prairie alors, d'une part, qu'il n'était pas assujetti à une telle obligation, et, d'autre part, qu'il n'avait effectué aucune opération matérielle de retournement de prairie pouvant lui être reprochée.

5. En premier lieu, M. B... expose, sans être contredit, que le règlement UE

n° 1307/2013 du 17 décembre 2013 n'interdit la conversion et le retournement que des seules prairies permanentes identifiées comme " sensibles " d'un point de vue environnemental, ce qui n'était pas le cas de celles qu'il exploite, que ce n'est qu'à compter de mars 2017 qu'est entré en vigueur dans l'Orne un régime d'autorisation préalable à la conversion des prairies permanentes, et que l'interdiction de retournement de ces prairies permanentes n'a, quant à elle, été instituée pour les agriculteurs normands qu'à compter du 1er novembre 2023. Il fait donc valoir que, bien que les parcelles litigieuses de l'îlot n° 12 aient été déclarées par lui comme des prairies naturelles en 2014, rien ne faisait obstacle à ce qu'il les convertisse, pour les années suivantes, en terres arables et les déclare comme des " prairies temporaires " (code PTR). Et il soutient qu'au contraire, l'administration ne pouvait pas, comme elle l'a fait, substituer pour 2015 et les années suivantes à ce code PTR le code PP pour " prairie permanente ", alors que, selon le point h) de l'article 4 du règlement UE n° 1307/2013, " si la surface est concernée par un engagement dans une mesure agro-environnementale et climatique (MAEC), la surface considérée conserve son statut de terre arable durant la durée de l'engagement ", ne devenant une prairie permanente qu'au bout de cinq années révolues. Toutefois, d'une part, contrairement à ce que soutient l'appelant, il doit être déduit du classement par M. B... lui-même comme " prairies naturelles " en 2014 des parcelles qu'il a engagées l'année suivante au titre de l'aide MAEC SPE 3 qu'en 2015, ces parcelles accueillaient déjà depuis cinq années un couvert enherbé, ce qui excluait qu'elles puissent être classées comme prairies temporaires (PTR), classement correspondant à la situation des surfaces enherbées depuis moins de cinq années. D'autre part, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que M. B... aurait effectué des travaux agricoles modifiant l'état et l'usage de ces parcelles susceptibles de caractériser, en 2015, la conversion en terres arables qu'il allègue, et donc de justifier qu'à partir de cette date, ces parcelles soient déclarées par lui comme des " prairies temporaires " (PTR) et non comme des prairies permanentes (PP). Enfin, il résulte de l'instruction et notamment de la décision d'engagement du 23 octobre 2017 que les parcelles en litige de l'îlot 12 ont été engagées dans l'aide MAEC SPE3 en tant que " prairie permanente " et, qu'à ce titre, leur surface de 8,49 ha a servi de base pour calculer les sommes dues à l'exploitant à hauteur d'un montant de 403,98 euros/ha. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'obligation n° 2 " Interdiction de retournement des prairies permanentes de l'exploitation " du cahier des charges n'était pas applicable aux parcelles de l'îlot 12 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, toutefois, l'appelant fait valoir aussi l'argumentation subsidiaire selon laquelle il n'a pas effectué sur l'îlot de parcelles concerné une opération matérielle pouvant être qualifiée juridiquement de retournement de prairie et caractérisant une méconnaissance de ses engagements. Il soutient qu'il fallait, pour que soit démontrée sa méconnaissance de l'engagement souscrit dans le cadre de la MAEC SPE3, qu'il procède à une opération matérielle de retournement de prairie impliquant un labour ou un travail profond du sol, ce qu'il conteste en faisant valoir qu'il a seulement effectué un travail superficiel de sur-semis, compatible avec son engagement, permettant d'entretenir et d'enrichir ses prairies, dont le couvert végétal était appauvri par une insuffisance en azote et par les effets du piétinement des animaux en période hivernale. Il précise la consistance des travaux qu'il a effectués et il produit des photographies de la pâture en cause, qui, de même que les photographies aériennes datées de 2014 et 2020 figurant dans son dossier PAC, ne permettent pas d'établir la réalisation d'opérations matérielles de retournement au cours de la période couverte par le contrôle. Il reproche à l'administration de s'être limitée à un contrôle purement administratif et théorique de ses déclarations, sans contrôle visuel permettant de constater qu'il avait effectué des opérations pouvant être qualifiées de " retournement de prairie ", alors que, d'une part, selon la fiche technique publiée sur le site internet de la préfecture de l'Orne, " les sur-semis et le travail superficiel du sol sont associés à des pratiques traditionnelles d'entretien de la prairie ; ces travaux ne sont pas considérés comme un retournement du milieu " et que, d'autre part, il appartenait au cas particulier à l'administration, qui ne pouvait se contenter d'une simple suspicion de retournement de prairie révélée par les codes cultures déclarés par l'exploitant pour les années 2015 et suivantes, d'opérer sur place un " contrôle visuel du couvert " comme le prévoient d'ailleurs explicitement, pour vérifier le respect de cette obligation particulière du cahier des charges, tant la notice spécifique de la MAEC SPE3, dans le tableau où sont reprises les modalités de contrôle et les sanctions applicables pour ce type de mesure, que l'instruction technique DGPE/SDPAC/2015-1070 du 10 décembre 2015 dans sa fiche " SPE01 - Système d'exploitation en polyculture élevage d'herbivores - dominante élevage " de son annexe " Type d'opérations " (page 16/232). Il insiste aussi sur le fait que le préfet de l'Orne, dans ses écritures de première instance, exposait que " L'administration ne conteste pas le fait que la prairie n'ait pas été labourée. Elle est d'accord sur le principe qu'un sur-semis est possible, sans labour, donc sans retournement physique et matériel d'une prairie ".

7. Il résulte de la définition même de l'obligation n°2 de la notice spécifique de la MAEC SPE3 citée au point 3, consistant en " l'interdiction de retournement des prairies permanentes de l'exploitation (...) notamment par le labour ou lors de travaux lourds ", de la mention complémentaire que " seul un renouvellement par travail superficiel du sol est autorisé " et de l'objet de la mesure agro-environnementale en cause, destinée à maintenir les surfaces enherbées permettant de nourrir les animaux de l'exploitation en limitant les intrants tout en préservant l'intégrité des prairies eu égard à leurs qualités environnementales, que le retournement de prairie doit s'entendre comme une opération matérielle de travail de la terre en profondeur excédant, par sa nature ou ses effets, le seul entretien de ces prairies, de nature à dégrader ou transformer celles-ci, ou traduisant une mise en culture de ces prairies étrangère à leur vocation. Au cas particulier, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus au point 6, l'administration ne démontre pas que M. B... aurait procédé, sur les parcelles en cause, à une opération de retournement de prairie contraire à ses engagements. Une telle opération ne pouvait être déduite, sans constatations matérielles complémentaires, d'ailleurs prévues par la réglementation applicable mentionnant un contrôle visuel du couvert, des seules circonstances que l'exploitant avait déclaré ces parcelles sous les codes culture inappropriés PTR de 2015 à 2018, puis MLF et MLG en 2019 et en 2020.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions de retrait, de réduction, de récupération et de retenue des aides MAEC SPE3 qui lui avaient été accordées, au remboursement de ces sommes, et à la décharge totale de l'obligation de payer l'indu qui lui a été notifié par les titres exécutoires émis par l'ASP les 27 mai, 9 juin et 17 juin 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Les motifs du présent arrêt impliquent nécessairement qu'il soit procédé au reversement à M. B... des sommes indûment recouvrées ou compensées par l'administration pour le montant total réclamé de 36 449,90 euros, dont le calcul ne fait l'objet d'aucune contestation par les administrations intimées. L'appelant a droit, ainsi qu'il le demande, à l'application des intérêts au taux légal sur les montants constitutifs de cette créance, à compter des dates auxquelles ces montants lui étaient dus ou ont été indûment récupérés ou compensés. Il y a lieu d'enjoindre à la Région Normandie, à l'État et à l'ASP de procéder au règlement financier de la créance due à M. B... dans un délai de trois mois, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État et de la Région Normandie la somme globale de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Caen du 2 février 2024 est annulé.

Article 2 : Les décisions de retrait et de récupération par compensation des aides MAEC SPE3 accordées à M. B... au titre des campagnes 2015 à 2019 sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à l'État et à la Région Normandie de verser à M. B... la somme totale de 36 449,90 euros. Les montants constitutifs de cette créance seront assortis des intérêts au taux légal applicables en fonction des dates auxquelles ces montants étaient dus à M. B... ou ont été indûment récupérés ou compensés.

Article 4 : L'État et de la Région Normandie verseront la somme globale de 1 500 euros à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la Région Normandie fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'Agence française de services et de paiement, à la Région Normandie et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2025.

Le rapporteur,

G-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT010232


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01023
Date de la décision : 11/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CHEVALIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-11;24nt01023 ?
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