Vu la procédure suivante :
L'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres ont demandé à la cour administrative d'appel de Nantes, d'une part, dans l'affaire enregistrée sous le n° 19NT00909, l'annulation du jugement du 31 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 mars 2016 par lequel le préfet de l'Orne a accordé à la société Parc éolien du Haut-Perche une autorisation unique pour l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire des communes de Moussonvilliers et de Saint-Maurice-lès-Charencey, l'annulation de cet arrêté du 22 mars 2016 et celle de l'arrêté du 14 juin 2019 par lequel le préfet de l'Orne a assorti cette autorisation de prescriptions complémentaires, d'autre part, dans l'affaire enregistrée sous le n° 19NT04103, l'annulation de ce même arrêté du 14 juin 2019 du préfet de l'Orne.
Par un arrêt n°s 19NT00909 et 19NT04103 du 7 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur ces deux requêtes jusqu'à l'expiration d'un délai de huit mois courant à compter de la notification de l'arrêt, imparti à l'Etat et à la société Parc éolien du Haut-Perche pour produire devant la cour une autorisation environnementale modificative.
Le 5 février 2025, le préfet de l'Orne a communiqué à la cour l'arrêté du 3 février 2025 modifiant l'autorisation environnementale résultant des arrêtés des 22 mars 2016 et 14 juin 2019.
I. Par des mémoires enregistrés les 3 mars 2025, 11 avril 2025 et 12 mai 2025, sous le n° 19NT00909, l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, représentés par Me Monamy, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Orne du 22 mars 2016 ;
3°) d'annuler les arrêtés du préfet de l'Orne des 14 juin 2019 et 3 février 2025 ;
4°) en cas d'annulation partielle ou de sursis à statuer, de suspendre les parties non viciées de l'autorisation environnementale litigieuse ;
5°) de mettre à la charge de l'État et de la société Parc éolien du Haut-Perche le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le vice tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale n'a pas été régularisé en ce que l'autorité environnementale n'a pas été saisie d'un dossier comportant l'ensemble des documents requis ;
- la procédure de régularisation a révélé un vice tenant à l'insuffisance de l'étude d'impact, en ce que l'étude avifaunistique n'analyse pas les impacts potentiels du projet sur la cigogne noire ;
- la procédure de régularisation a révélé un vice tenant à l'absence de dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espèces protégées pour la cigogne noire ;
- la procédure de régularisation a révélé un vice tenant à l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement en ce qui concerne la cigogne noire.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 mai 2024, 23 juillet 2024, 10 janvier 2025, 21 janvier 2025, 28 février 2025, 24 mars 2025 et 15 mai 2025, la société Parc éolien du Haut-Perche, représentée par Me Elfassi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de rejeter la requête présentée par l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres ;
2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur les conclusions de cette requête en application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;
3°) de mettre à la charge de chacun des requérants le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens tirés des atteintes potentielles à la cigogne noire sont inopérants, pour ne pas résulter d'éléments révélés par la procédure de régularisation ;
- aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par un courrier du 24 juin 2025, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, de surseoir à statuer pendant un délai d'un an, accordé pour permettre la régularisation du vice entachant l'autorisation environnementale en litige tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne les impacts du projet sur la cigogne noire.
Par un mémoire enregistré le 27 juin 2025 et communiqué le même jour, la société Parc éolien du Haut-Perche a présenté des observations en réponse à ce courrier.
II. Par des mémoires enregistrés les 3 mars 2025, 11 avril 2025 et 12 mai 2025, sous le n° 19NT04103, l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, représentés par Me Monamy, concluent aux mêmes fins que dans l'affaire enregistrée sous le n° 19NT00909, par les mêmes moyens.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 mai 2024, 23 juillet 2024, 10 janvier 2025, 21 janvier 2025, 28 février 2025, 24 mars 2025 et 15 mai 2025, la société Parc éolien du Haut-Perche, représentée par Me Elfassi, conclut aux mêmes fins que dans l'affaire enregistrée sous le n° 19NT00909, par les mêmes moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2025, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens tirés des atteintes potentielles à la cigogne noire sont inopérants, pour ne pas résulter d'éléments révélés par la procédure de régularisation ;
- aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par un courrier du 24 juin 2025, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, de surseoir à statuer pendant un délai d'un an, accordé pour permettre la régularisation du vice entachant l'autorisation environnementale en litige tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne les impacts du projet sur la cigogne noire.
Par un mémoire enregistré le 27 juin 2025 et communiqué le même jour, la société Parc éolien du Haut-Perche a présenté des observations en réponse à ce courrier.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,
- et les observations de Me Lacoste, représentant l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, et de Me Kabra, représentant la société Parc éolien du Haut-Perche.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 mars 2016, le préfet de l'Orne a accordé à la société Parc éolien du Haut-Perche une autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs, d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres, et d'un poste de livraison, sur le territoire des communes de Moussonvilliers et de Saint-Maurice-lès-Charencey, qui forment désormais la commune nouvelle de Charencey. L'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres ont demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de cet arrêté. Cette demande a été rejetée par un jugement n° 1601058 du 31 décembre 2018. Par ailleurs, la société Parc éolien du Haut-Perche a déposé en préfecture de l'Orne, le 19 février 2019, un dossier de porter à connaissance afin de modifier son projet de parc éolien en portant la hauteur maximale en bout de pale des éoliennes de 150 à 164,9 mètres, en portant la hauteur maximale du mât de 89 à 99 mètres et le diamètre maximal du rotor de 122 à 132 mètres, en déplaçant l'éolienne E1 de 1,8 mètre vers le nord, en augmentant la puissance de 3,3 à 3,65 MW et en optimisant les plans généraux du projet en vue de faciliter la construction du parc et de mieux prendre en compte les enjeux agricoles locaux. Par un arrêté du 14 juin 2019, le préfet de l'Orne a fixé des prescriptions complémentaires à l'arrêté du 22 mars 2016 afin de tenir compte des modifications apportées à son projet par la société Parc éolien du Haut-Perche. Par la requête enregistrée sous le n° 19NT00909, l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres ont relevé appel du jugement du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Caen et demandent, en outre, l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Orne du 14 juin 2019. Par la requête enregistrée sous le n° 19NT04103, l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres à demandé à la cour d'annuler ce même arrêté du 14 juin 2019.
2. Par un arrêt avant dire droit n°s 19NT00909 et 19NT04103 du 7 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé, d'une part, que l'arrêté du 22 mars 2016 du préfet de l'Orne est entaché d'illégalité en ce que, premièrement, le public et l'administration n'ont pas été suffisamment informés quant aux capacités financières dont dispose la société pétitionnaire, deuxièmement, et il n'a pas été précédé d'un avis régulièrement émis par l'autorité environnementale, troisièmement, le montant initial des garanties financières est insuffisant au regard des prescriptions de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 22 juin 2020 et, d'autre part, que l'arrêté préfectoral du 14 juin 2019 est entaché d'illégalité en ce que, premièrement, le dossier de porter à connaissance du 19 février 2019 ne comporte pas d'actualisation de l'étude des effets stroboscopiques liés aux ombres portées des éoliennes, deuxièmement, il n'a pas été précédé d'une consultation du directeur de l'Agence régionale de santé sur les modifications envisagées du parc éolien et, troisièmement, le montant initial des garanties financières est insuffisant au regard des prescriptions de l'arrêté du 26 août 2011, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 22 juin 2020. En conséquence, la cour a, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer, jusqu'à l'expiration d'un délai de huit mois, sur les demandes de l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, afin de permettre à l'État de communiquer à la cour une autorisation environnementale modificative. Le 5 février 2025, le préfet de l'Orne a communiqué à la cour l'arrêté du 3 février 2025 modifiant l'autorisation environnementale résultant des arrêtés des 22 mars 2016 et 14 juin 2019. L'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres demandent également à la cour d'annuler cet arrêté du 3 février 2025.
3. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) / II.-En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. "
4. A compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 181-18 du code de l'environnement, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. À ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche utilement soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse de moyens déjà écartés par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
Sur la régularisation des vices relevés dans l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023 :
5. En premier lieu, en vertu du 5° de l'article R. 512-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable à l'autorisation unique litigieuse en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, la demande d'autorisation mentionne " les capacités techniques et financières de l'exploitant ". Il résulte de ces dispositions que le pétitionnaire est tenu de fournir, à l'appui de sa demande, des indications précises et étayées notamment sur ses capacités financières.
6. Au point 73 de l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que le vice tiré de l'insuffisante information du public quant aux capacités financières de la société pétitionnaire était susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative, prise au vu d'un dossier actualisé soumis à une nouvelle consultation du public.
7. Il résulte de l'instruction que la société Parc éolien du Haut-Perche a présenté à l'administration un " dossier d'actualisation " de sa demande d'autorisation environnementale, lequel indique notamment que le montant prévu de l'investissement, qui s'élève à 18 millions d'euros, sera couvert à hauteur de 15 à 25 % par des apports en fonds propres de la société EDF Renouvelables France, unique associée de la société Parc éolien du Haut-Perche, et, pour le surplus, par des financements apportés par des sociétés du groupe EDF ou par financement bancaire, la société EDF Renouvelables France s'engageant à accorder à la société Parc éolien du Haut-Perche un prêt complémentaire pour lui permettre d'assumer l'ensemble des obligations mises à sa charge en tant qu'exploitant si ce financement extérieur n'était pas trouvé. Le dossier de régularisation comporte en annexe des justifications des capacités financières propres de la société EDF Renouvelables France, dont le chiffre d'affaires s'élevait en 2023 à 402 326 000 euros, ainsi qu'une lettre d'engagement de cette société du 17 juin 2024. Dans ces conditions, les éléments portés à la connaissance du public, qui a été consulté par voie électronique du 4 novembre 2024 au 5 décembre 2024, justifient suffisamment des capacités financières de la société Parc éolien du Haut-Perche. Le vice tenant à l'insuffisante information du public quant aux capacités financières de la société pétitionnaire a ainsi été régularisé.
8. En deuxième lieu, au point 75 de l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023, la cour administrative d'appel a jugé que l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale pouvait être régularisée par la consultation d'une autorité environnementale présentant les garanties d'impartialité requises sur un dossier comportant les éléments mentionnés au point 74 du même arrêt.
9. Il résulte de l'instruction que la mission régionale d'autorité environnementale de Normandie, autorité environnementale présentant les garanties d'impartialité requises, a été saisie pour avis le 26 juin 2024. Contrairement à ce que soutiennent l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, l'indication, figurant dans un courrier ultérieur de la préfecture du 29 juillet 2024, selon laquelle la mission régionale d'autorité environnementale a été saisie du " dossier actualisé " n'est pas de nature à établir que seul aurait été transmis le dossier d'actualisation présenté par la société Parc éolien du Haut-Perche en vue de la régularisation de son autorisation unique, et non le dossier actualisé complet comprenant notamment le dossier de demande d'autorisation unique initial et le dossier de porter à connaissance qui a précédé l'arrêté du 14 juin 2019, ainsi que l'autorité administrative soutient l'avoir fait, en conformité avec les prescriptions de l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes. Par courrier du 27 août 2024, la mission régionale d'autorité environnementale de Normandie a indiqué être réputée ne pas avoir d'avis à formuler, faute de s'être prononcée dans le délai de deux mois prévu à l'article R. 122-7 du code de l'environnement. Le vice tenant à l'irrégularité de l'avis émis par l'autorité environnementale a ainsi été régularisé.
10. En troisième lieu, l'arrêté du 3 février 2025 a procédé à une actualisation du montant des garanties financières de démantèlement par application de la formule de calcul figurant à l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011 susvisé, dans sa version actuellement en vigueur résultant de l'arrêté du 11 juillet 2023 modifiant l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. Le vice tenant à l'insuffisance des garanties financières de démantèlement a ainsi été régularisé.
11. En quatrième lieu, le " dossier d'actualisation " présenté par la société Parc éolien du Haut-Perche le 14 juin 2019 comporte une étude des effets stroboscopiques liés aux ombres portées au regard du nouveau gabarit des éoliennes autorisées par l'arrêté du 14 juin 2019 du préfet de l'Orne, dont le caractère suffisant n'est pas contesté par l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres. Le vice tenant à l'insuffisance du dossier de porter à connaissance du 19 février 2019 faute de comporter une telle étude a ainsi été régularisé.
12. En cinquième et dernier lieu, l'arrêté du 3 février 2025 a été pris au vu d'un avis rendu sur le projet par le directeur général de l'Agence régionale de santé du 26 juillet 2024, conformément aux modalités de régularisation prévues au point 114 de l'arrêt du 7 juillet 2023. Le vice tenant à l'absence de consultation de cette autorité a ainsi été régularisé.
Sur les vices révélés par la procédure de régularisation :
13. En premier lieu, il résulte de l'instruction que 45 observations ont été émises pendant la consultation du public sur le projet d'arrêté de régularisation, qui s'est tenue 4 novembre 2024 au 5 décembre 2024, sur le risque que le projet est susceptible d'emporter pour la cigogne noire, que l'étude d'impact n'a aucunement évalué et sur lequel l'attention du préfet avait déjà été attirée par une note du Parc naturel régional du Perche, transmise par courrier du 2 août 2023. Cette note précise qu'au moins un couple nicheur de cigognes noires, espèce protégée, inscrite comme espèce " en danger " sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine et comme espèce " en danger critique d'extinction " sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de l'ancienne région Basse-Normandie, s'est installé à une dizaine de kilomètres au sud de la zone d'implantation du projet litigieux en 2018, l'espèce ayant été observée à de multiples reprises dans les environs depuis lors, et que les individus de cette espèce recherchent de la nourriture pour leurs petits dans un rayon de 15 kilomètres autour de leur nid. En outre, la cigogne noire a, notamment, été observée au printemps et à l'été 2022 dans la vallée de l'Avre, à 4 kilomètres environ au nord du site d'implantation retenu, ainsi que cela résulte d'une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux produite par l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres. Ce constat n'est pas remis en cause par le fait que l'emplacement exact du nid n'est pas précisément connu. Au regard de ces circonstances, de l'état de conservation de l'espèce et de son statut de protection, cette insuffisance de l'étude d'impact a nui à l'information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision administrative, l'arrêté de régularisation du 3 février 2025 comportant d'ailleurs une prescription imposant à la société pétitionnaire de produire une étude sur les impacts potentiels du projet pour la cigogne noire et la grue cendrée et, en fonction des résultats de cette étude, de prendre toutes les mesures éventuellement nécessaires pour garantir l'absence d'impact sur ces espèces. L'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres sont, dès lors, fondés à soutenir, en s'appuyant sur ces éléments révélés par la procédure de régularisation, que l'étude d'impact du projet litigieux est incomplète, dans son volet avifaunistique, en tant qu'elle n'analyse pas les enjeux du projet éolien pour la conservation de la cigogne noire.
14. Compte tenu des lacunes de l'étude d'impact sur ce point, il y lieu pour la cour de réserver sa réponse aux moyens tirés de l'absence de dérogation à l'interdiction de spécimens d'espèces protégées et à l'atteinte excessive aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en ce qui concerne la cigogne noire.
Sur les moyens réservés par l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023 :
15. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 515-44 du code de l'environnement : " (...) La délivrance de l'autorisation d'exploiter est subordonnée au respect d'une distance d'éloignement entre les installations et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation définies dans les documents d'urbanisme en vigueur à la date de publication de la même loi, appréciée au regard de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1. Elle est au minimum fixée à 500 mètres (...). ". Cette distance est mesurée, d'après l'article 3 de l'arrêté du 26 août 2011 susvisé, à partir de la base du mât de chaque aérogénérateur.
16. D'une part, les dispositions précitées de l'article L. 515-44 n'exigent pas, contrairement à ce que soutiennent l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, que la distance d'éloignement entre les installations et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation soit mesurée à partir de l'extrémité des pâles. Par suite, l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres ne sont pas fondés à se prévaloir, par la voie d'exception, de l'illégalité dont seraient entachées les dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 26 août 2011 en ce qu'elles prévoient que cette distance est mesurée à partir de la base du mât de chaque aérogénérateur.
17. D'autre part, il résulte de l'instruction que les mâts de chacune des trois éoliennes du projet litigieux sont situés à plus de 500 mètres de l'habitation la plus proche.
18. Enfin, eu égard à ce qui a été dit aux points 62 à 67 de l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023 et alors que, d'une part, l'étude complémentaire sur les effets stroboscopiques des ombres portées a conclu que les nuisances associées à ces ombres portées ne sont pas significatives et que, d'autre part, l'arrêté de régularisation du 3 février 2025 comporte une prescription complémentaire imposant à l'exploitant de réaliser dès la mise en service du parc éolien une analyse démontrant que l'ombre portée par l'éolienne la plus proche n'impacte pas plus de 30 heures par an et pas plus de 30 minutes par jour les habitations riveraines et, le cas échéant, d'établir un plan de bridage pour assurer le respect de ces valeurs limite, doit être écarté le moyen tiré de ce que, du fait d'inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage, le préfet de l'Orne aurait entaché d'erreur manifeste d'appréciation sa décision de ne pas imposer une distance d'éloignement des éoliennes vis-à-vis des habitations les plus proches supérieure à 500 mètres.
19. En second lieu, il y a lieu pour la cour, compte tenu du vice affectant l'arrêté du 22 mars 2016 mentionné au point 13 ci-dessus, de réserver la réponse au moyen tiré de ce que l'arrêté du 14 juin 2019, qui fixe des prescriptions complémentaires à l'arrêté du 22 mars 2016, devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de ce dernier arrêté.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
20. Ainsi qu'il a été dit au point 13 ci-dessus, l'autorisation délivrée par les arrêtés contestés des 22 mars 2016, 14 juin 2019 et 3 février 2025 demeure entachée d'illégalité en ce que l'étude d'impact comporte des insuffisances quant aux incidences du projet sur la cigogne noire. Ce vice, qui affecte l'ensemble de l'autorisation environnementale litigieuse et n'avait pas été auparavant relevé par le juge administratif, peut être régularisé par une autorisation modificative. Celle-ci ne pourra être prise qu'au vu d'un dossier actualisé à la lumière des motifs du présent arrêt et après une nouvelle consultation de la mission régionale d'autorité environnementale de Normandie. L'avis émis, le cas échéant, par l'autorité environnementale ainsi que le dossier actualisé seront soumis à une nouvelle phase d'information du public organisée selon les mêmes modalités que celles indiquées aux points 76 et 77 de l'arrêt avant dire droit du 7 juillet 2023. Eu égard aux modalités de régularisation ainsi fixées, l'éventuelle autorisation modificative devra être communiquée à la cour dans un délai d'un an à compter du présent arrêt. Enfin, le vice mentionné au point 13 affectant l'autorisation environnementale litigieuse dans son ensemble, il n'y a pas lieu de suspendre l'exécution des parties non viciées de cette autorisation en application des dispositions précitées du II de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ainsi que le sollicitent l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres.
21. Il résulte de tout ce qui précède que, par application des dispositions précitées de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, il y a lieu de surseoir à statuer sur les requêtes de l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres jusqu'à l'expiration du délai mentionné au point précédent afin de permettre cette régularisation.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est sursis à statuer sur les conclusions des requêtes n°s 19NT00909 et 19NT04103 de l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an, courant à compter de la notification du présent arrêt, imparti à l'État pour produire devant la cour une autorisation environnementale modificative conforme aux modalités définies au point 20 du présent arrêt.
Article 2 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Libre association de vigilance et de résistance à l'éolien " et autres, représentant unique désigné par Me Monamy, mandataire, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, au préfet de l'Orne et à la société Parc éolien du Haut-Perche.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 19NT00909,19NT04103