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27/06/2025 | FRANCE | N°24NT01067

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 27 juin 2025, 24NT01067


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... et M. E... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'enjoindre à la communauté urbaine Caen-la-Mer d'exécuter les travaux de reprise du mur au droit de leur propriété, la séparant de la rue Serge Rouzière à Fleury-sur-Orne (Calvados), conformément aux préconisations de l'expert désigné par le tribunal et de condamner la communauté urbaine à réparer à hauteur d'une somme globale de 27 000 euros les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'écrouleme

nt partiel du mur clôturant leur propriété.



Par un jugement n°2102498 du 16 février 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... et M. E... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'enjoindre à la communauté urbaine Caen-la-Mer d'exécuter les travaux de reprise du mur au droit de leur propriété, la séparant de la rue Serge Rouzière à Fleury-sur-Orne (Calvados), conformément aux préconisations de l'expert désigné par le tribunal et de condamner la communauté urbaine à réparer à hauteur d'une somme globale de 27 000 euros les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'écroulement partiel du mur clôturant leur propriété.

Par un jugement n°2102498 du 16 février 2024, le tribunal administratif de Caen a enjoint à la communauté urbaine Caen-la-Mer de réaliser les travaux de réparation du mur et de remise en état des plantations présentes sur les parcelles, tels que préconisés par l'expert, dans le délai de 10 mois courant à compter de la notification du jugement et a condamné la communauté urbaine à verser à Mme D... et M. E... une indemnité globale de 6 000 euros en réparation de leurs préjudices de jouissance et de leurs troubles dans les conditions d'existence.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 avril 2024, la communauté urbaine Caen-la-Mer représentée par Me Phelip, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 février 2024 ;

2°) de rejeter la demande de Mme D... et M. E... ou, à titre subsidiaire, de réduire à plus justes proportions l'indemnité allouée aux demandeurs en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... et M. E... le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'effondrement intervenu le 1er janvier 2018 dans la propriété de Mme D... et M. E... d'une partie de leur mur de clôture donnant sur la rue Serge Rouzière est sans lien avec cette voie publique et les vibrations engendrées par la circulation automobile mais est dû aux travaux d'arrachage des peupliers, d'excavation, d'aplanissement et de décaissement du terrain privatif à l'arrière du mur, entrepris par l'aménageur, pour la construction des maisons du lotissement ;

- le préjudice de jouissance indemnisé à hauteur de 3 000 euros n'est pas établi alors que l'écroulement du mur distant de 15 m de la façade arrière de la maison propriété de Mme D... et M. E... n'empêche pas les intéressés de jouir de leur jardin et de l'installation des jeux d'enfants située dans la partie non concernée par les éboulis ;

- le préjudice au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant de la vue sur le mur éboulé indemnisé à hauteur de 3 000 euros n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2024, Mme D... et M. E..., représentés par Me Toucas, concluent :

- au rejet de la requête et demandent, par la voie de l'appel incident :

- à titre principal, la réformation du jugement afin que la cour condamne la communauté urbaine Caen-la-Mer à leur verser, outre la somme de 6 000 euros allouée par le tribunal, une somme de 10 000 euros au titre du réaménagement de leur jardin comprenant la dépose des éléments installés provisoirement ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre du trouble de jouissance subi depuis l'effondrement du mur en 2018 ;

- à titre subsidiaire, de condamner la communauté urbaine Caen-la-Mer à leur verser la somme de 75 559 euros représentant 27 % du montant des travaux de reprise et de remise en état du mur et des jardins des trois propriétés contiguës concernées, avec indexation sur l'indice BT01 ainsi que les sommes de 10 000 euros au titre des troubles de jouissance, 3 000 euros au titre du préjudice généré par la réalisation des futurs travaux, 10 000 euros au titre du réaménagement du jardin, 4 000 euros au titre du préjudice moral qu'ils ont subi du fait de la chute du mur ;

- à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la communauté urbaine Caen-la-Mer au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le mur qui retient les remblais sous la voirie et sous le trottoir, consécutifs aux aménagements routiers effectués en 2012 et 2016, et présente une différence d'altimétrie avec leur jardin en contrebas est un mur de soutènement et constitue par conséquent un ouvrage public dont l'entretien incombe à la communauté urbaine ;

- aucune faute ne peut être retenue à leur encontre pour un défaut d'entretien de l'ouvrage public qu'est le mur ;

- ils sont fondés à obtenir la condamnation de la communauté urbaine de Caen-la-Mer à concurrence d'un montant de 76 559 euros représentant 27 % du coût des travaux de réparation du mur pour les trois propriétés contiguës ;

- ils sont fondés à demander 10 000 euros au titre du trouble de jouissance depuis janvier 2018 ; 3 000 euros au titre du trouble de jouissance pendant la durée des travaux de reconstruction du mur estimée à trois mois et demi par l'expert judiciaire ; 10 000 euros au titre du réaménagement de leur jardin après les travaux comprenant la dépose des éléments installés provisoirement ; 400 euros au titre de leur préjudice moral du fait de la chute du mur.

Vu

- le rapport d'expertise déposé le 19 mai 2021 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- les observations de Me Phelip pour la communauté urbaine de Caen la Mer et de Me Kerglounou pour M. E... et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... et M. E... sont propriétaires d'une maison d'habitation qu'ils ont fait construire sur un terrain alloti situé sur le territoire de la commune de Fleury-sur-Orne (Calvados). Le 1er janvier 2018, un tronçon du mur séparant leur propriété de la rue Rouzières s'est effondré dans leur jardin. Suite à la requête en référé expertise initiée par leurs voisins, M. et Mme C..., eux-mêmes victimes de l'effondrement du mur sur leur propriété, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a désigné, par une ordonnance du 3 septembre 2018, un expert qui a déposé son rapport le 19 mai 2021. Par une décision implicite du 15 septembre 2021, la communauté urbaine Caen-la-Mer a rejeté la demande indemnitaire de Mme D... et M. E.... Ces derniers ont alors saisi le tribunal administratif de Caen qui a enjoint à la communauté urbaine Caen-la-Mer de réaliser les travaux de réparation des désordres affectant le mur et de remettre en état les plantations situées sur le terrain privé du couple, dans le délai de dix mois à compter de la notification du jugement, et condamné la communauté urbaine à leur verser une somme globale de 6 000 euros en réparation de leurs préjudices de jouissance et de leurs troubles dans les conditions d'existence. La communauté urbaine Caen-la-Mer relève appel de ce jugement. Mme D... et M. E... demandent, par la voie de l'appel incident, à titre principal, de rehausser la condamnation à une indemnité de la communauté urbaine Caen-la-Mer d'une somme de 6 000 à 20 000 euros et, à titre subsidiaire, de la rehausser de 6 000 euros à 102 559 euros.

Sur la responsabilité :

2. D'une part, un mur situé sur un terrain privé, en bordure d'une voie publique qu'il soutient, constitue l'accessoire de la voie publique et présente le caractère d'un ouvrage public, quand bien même il est la propriété d'une personne privée.

3. D'autre part, même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage est responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'ouvrage public dont il a la garde tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Les personnes publiques dont la responsabilité est recherchée par la victime d'un dommage ne peuvent se dégager de celle-ci que s'ils établissent que le dommage résulte de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, la fragilité ou la vulnérabilité de l'immeuble ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

4. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Caen, que le mur litigieux implanté en limite séparative des parcelles privatives et de la rue Serge Rouzière était à l'origine un simple mur de séparation mais est devenu au fil du temps un mur de soutènement de la voie publique à la suite de remblais successifs réalisés pour l'aménagement de la rue. Ce mur constitue ainsi l'accessoire indispensable à cette voie de circulation et présente le caractère d'un ouvrage public dont l'entretien incombe entièrement à la communauté urbaine Caen-la-Mer Normandie, alors même qu'il est implanté dans sa totalité sur le terrain privé des intimés.

5. La communauté urbaine requérante soutient que les opérations d'allotissement et la construction des maisons d'habitation sur les parcelles privatives issues de la division du terrain originel a impliqué la réalisation d'excavations, d'un décaissement du terrain et la coupe d'une cinquantaine de peupliers et que ces travaux ont généré la formation de galeries souterraines qui ont déstabilisé le sol. Ces travaux seraient à l'origine des désordres affectant le mur. Toutefois, les travaux de construction de la maison individuelle des intimés n'ont eu aucune incidence sur le profil de leur terrain privatif qui est resté identique ainsi que le démontrent les relevés altimétriques réalisés à la demande de l'expert par le cabinet de géomètres Lallouet. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le défrichage du terrain et la construction d'une maison d'habitation auraient eu pour conséquence de modifier la circulation des eaux souterraines aux abords du mur qui se trouve en surplomb par rapport à la propriété des intimés. En outre, il ressort des termes du rapport d'expertise que les souches de peupliers sont restées en place. Il ressort, en revanche, des investigations réalisées par l'expert désigné par le tribunal qu'au fur et à mesure des aménagements de la rue, et en particulier lors de la construction des trottoirs de part et d'autre de la chaussée et notamment celui longeant le mur sur toute sa longueur, du remblai a été rapporté au contact du parement de pierres calcaires du mur " sans aucune protection " pour éviter les infiltrations d'eau dans les fondations du mur. En outre, les eaux souterraines provenant du talus en amont de la rue ont ainsi pu s'infiltrer dans le sol sous la chaussée et remonter dans le mur par capillarité et dégrader ainsi le liant argileux entre les moellons, lesquels n'ont plus été liaisonnés entre eux, des joints creux étant alors apparus. Par ailleurs, l'augmentation de la circulation automobile, en particulier des autobus, dans la rue Serge Rouzière a généré des vibrations plus fréquentes qui ont aggravé le délitement du rejointoiement des pierres de parement du mur. Si l'absence d'entretien du mur par ses propriétaires peut être regardée comme une cause aggravante de sa dégradation, cette circonstance n'est pas constitutive d'une faute de nature à exonérer la communauté urbaine de sa responsabilité alors que l'effondrement du mur trouve sa cause principale dans les remblaiements successifs de la rue Serge Rouzière qui ont conduit au rehaussement du niveau de la route par rapport au terrain des intimés et au changement de fonction du mur de clôture devenu un mur de soutènement des remblais disposés sous la voirie et sous le trottoir. Par suite, il n'y a pas lieu d'infirmer l'injonction prononcée à bon droit par les premiers juges à l'encontre de la communauté urbaine Caen-la-Mer de réaliser les travaux de réfection, de confortement du mur et de remise en état des plantations présentes de l'autre côté du mur sur le terrain de Mme D... et M. E....

Sur les préjudices :

6. En premier lieu, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, que la communauté urbaine Caen-la-Mer a été condamnée à réaliser les travaux de réfection et de confortement du mur de séparation du terrain de Mme D... et M. E... avec la rue Serge Rouzière. Par suite, les conclusions indemnitaires des appelants incidents tendant à obtenir la condamnation de la communauté urbaine Caen-la-Mer à leur verser la somme de 76 559 euros représentant 27 % du coût des travaux de réparation du mur pour les trois propriétés contiguës afin de réaliser eux-mêmes les travaux de reprise du mur au droit de leur parcelle sont dépourvues d'objet.

7. En deuxième lieu, Mme D... et M. E... réclament une somme de 10 000 euros au titre du réaménagement de leur jardin après les travaux comprenant la dépose des éléments installés provisoirement. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, la remise en état des plantations existantes sur la parcelle des intimés est incluse dans les travaux que les premiers juges ont enjoint à la communauté urbaine de réaliser. Par ailleurs, s'il résulte de l'instruction que les intimés ont installé des pare-vue provisoires afin d'éviter la vue plongeante depuis la rue dans leur habitation, ils ne produisent pas de factures des dépenses qu'ils auraient exposés afin d'éviter les troubles de jouissance générés par l'éboulement du mur. Dès lors, aucune indemnisation ne saurait être allouée pour la réalisation du réaménagement de leur jardin.

8. En troisième lieu, Mme D... et M. E... réitèrent leurs conclusions de première instance tendant à la condamnation de la communauté urbaine Caen-la-Mer à leur verser une somme de 3 000 euros au titre de leur préjudice futur de jouissance durant les travaux de réfection et de confortement du mur et une somme de 10 000 euros au titre du préjudice de jouissance en lien avec l'inaccessibilité de cette partie de leur jardin depuis janvier 2018 sous la menace d'effondrement du mur. Dans ces circonstances, et compte tenu de l'obligation de donner accès à la maîtrise d'œuvre le temps de la réalisation des travaux, il n'y a pas lieu de rehausser la somme de 3 000 euros allouée par le tribunal au titre du préjudice de jouissance.

9. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que l'effondrement du mur des requérants a laissé une plaie béante permettant depuis la voie publique une vue directe par les passants sur la maison, située en contrebas par rapport à la rue Serge Rouzières. Dans ces circonstances, les troubles dans les conditions d'existence subis par les intimés ont été justement appréciés par les premiers juges à la somme de 3 000 euros.

10. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que Mme D... et M. E... auraient subi un préjudice autre que matériel du fait de l'effondrement du mur en cause. Par suite, leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ne peut qu'être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que la communauté urbaine Caen-la-Mer, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen lui a enjoint de réaliser les travaux de réparation préconisés par l'expert et l'a condamnée à verser à Mme D... et M. E... une somme globale de 6 000 euros en réparation de leurs préjudices.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme D... et M. E..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la communauté urbaine Caen-la-Mer de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la communauté urbaine Caen-la-Mer la somme que Mme D... et M. E... demandent au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la communauté urbaine Caen-la-Mer est rejetée.

Article 2 : Les conclusions incidentes ainsi que les conclusions présentées par Mme D... et M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté urbaine Caen-la-Mer et à Mme A... D... et M. B... E....

Délibéré après l'audience du 12 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2025.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01067
Date de la décision : 27/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CABINET PHELIP

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-27;24nt01067 ?
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