Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D..., épouse B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 novembre 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a confirmé l'ajournement à deux ans de sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 2114443 du 16 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de Mme B... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 mai 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 avril 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que Mme B... A... n'a pas réalisé son insertion professionnelle et qu'elle ne dispose pas de ressources suffisantes et stables ; son handicap n'est pas incompatible avec une activité professionnelle rémunérée ; elle n'est pas inapte à l'exercice de toute profession.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2024, Mme C... B... A..., représentée par Me Drouet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur n'est pas fondé.
Mme B... A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante algérienne née le 28 août 1987, a sollicité l'acquisition de la nationalité française par naturalisation. Sa demande a été ajournée à deux ans par une décision du 6 mai 2021 du préfet de l'Isère. Saisi du recours préalable obligatoire prescrit par le décret du 30 décembre 1993, le ministre de l'intérieur a confirmé l'ajournement à deux ans de la demande de naturalisation de Mme B... A... par une décision du 2 novembre 2021. Mme B... A... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 16 avril 2024 de ce tribunal annulant sa décision du 2 novembre 2021 et lui enjoignant de procéder au réexamen de la demande de Mme B... A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de Mme B... A..., le ministre de l'intérieur, dans sa décision du 2 novembre 2021, lui a opposé le fait qu'elle n'avait pas pleinement réalisé son insertion professionnelle et qu'elle ne disposait pas de ressources suffisantes et stables.
3. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 : " (...) / Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation (...) sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) ".
4. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A... est atteinte d'une maladie génétique évolutive nécessitant des soins pluridisciplinaires réguliers, notamment en neurochirurgie, ophtalmologie, ORL, et que cette maladie affecte de manière durable sa capacité à occuper un emploi. Mme B... A..., qui bénéficie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, s'est ainsi vu attribuer de manière continue, depuis le 30 juillet 2010, une allocation adulte handicapé pour un taux d'incapacité compris entre 50 et 79 %. Dans ces conditions, en ajournant pour une durée de deux ans la demande de Mme B... A... au motif que l'intéressée n'avait pas pleinement réalisé son insertion professionnelle et ne justifiait pas de ressources suffisantes et stables autres que des prestations sociales, constituées pour l'essentiel par une allocation accordée en compensation d'un handicap, le ministre a entaché sa décision d'un erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 2 novembre 2021 ajournant à deux ans la demande de naturalisation de Mme B... A... et lui a enjoint de procéder à son réexamen.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Drouet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Drouet une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... D... épouse B... A....
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01547