Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... D... et Mme E... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser la somme de 17 838,92 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du refus de délivrance de visa opposé à leur enfant et de la délivrance tardive du visa.
Par un jugement n° 2005694 du 3 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser aux requérants la somme de 2 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 7 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 avril 2024, M. A... C... D... et Mme E... D..., représentés par Me Bertin, demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a limité à 2 000 euros le montant de l'indemnité à laquelle il a condamné l'Etat en réparation des préjudices qu'ils ont subis ;
2°) de porter la somme de 2 000 euros que l'Etat a été condamné à leur verser à la somme de 17 838,92 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de leur demande préalable et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 décembre 2020 et à chaque échéance annuelle ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'illégalité fautive du refus de délivrance du visa sollicité pour leur fils et le retard à avoir délivré ce visa après injonction des premiers juges engagent la responsabilité de l'Etat ;
- ils ont subi un préjudice matériel, en raison des frais liés à l'envoi d'argent à leur enfant et de l'absence de versement des prestations sociales, un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ainsi qu'un préjudice lié à la perte de scolarité de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
M. A... C... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2024 du bureau d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... D..., ressortissants éthiopiens, ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 novembre 2014. Ils ont demandé la délivrance d'un visa de long séjour pour leur fils B... C... D..., né en 2006 et resté en Ethiopie avec ses grands-parents. L'autorité consulaire française en Ethiopie, puis la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, ont refusé la délivrance du visa sollicité par des décisions prises respectivement le 25 septembre 2017 et le 1er février 2018. Par jugement n° 1809852 du 15 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours du 1er février 2018 et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité à l'enfant B... dans un délai d'un mois. Le visa a été délivré le 22 juillet 2019 après saisine du président du tribunal administratif d'une procédure d'exécution du jugement du 15 février 2019. Par un courrier réceptionné le 7 octobre 2019, M. et Mme D... ont demandé au ministre de l'intérieur de leur verser la somme de 17 838,92 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du refus de délivrance du visa sollicité pour leur fils et de son caractère tardif. Par un jugement du 3 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser aux époux D... la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 7 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle. M. et Mme D... relèvent appel de ce jugement et demandent à la cour de le réformer et de porter la somme de 2 000 euros que l'Etat a été condamné à leur verser à la somme de 17 838,92 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de leur demande préalable et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 décembre 2020 et à chaque échéance annuelle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
2. L'illégalité d'une décision administrative est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à l'égard de son destinataire s'il en est résulté pour lui un préjudice direct et certain.
3. Par le jugement n° 1809852 du 15 février 2019 devenu définitif, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à l'enfant B... C... D... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale. Pour prononcer cette annulation, le tribunal a retenu que le motif de la décision contestée, identique à celui opposé par l'autorité consulaire française en Ethiopie, tiré de ce que l'identité du demandeur de visa et son lien de filiation avec les réfugiés n'étaient pas établis, était entaché d'erreur d'appréciation. Cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
4. Il est par ailleurs constant que le visa n'a été délivré à l'enfant que le 22 juillet 2019, soit quatre mois et sept jours après la date d'expiration du délai d'injonction fixé par le jugement n° 1809852 du 15 février 2019, sans que le ministre de l'intérieur ne fournisse la moindre explication sur les raisons de ce retard. Ce retard doit être ainsi regardé comme constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. La responsabilité de l'Etat à l'égard des requérants et du demandeur de visa court à compter de la date à laquelle le refus de visa a été opposé pour la première fois au jeune B... C... D..., ce refus de visa ayant fait obstacle à son entrée en France, quand bien même, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir formé contre le refus de délivrer un visa à cet enfant, il a été relevé que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'était substituée à celle de l'autorité consulaire française. Il suit de là que la période au titre de laquelle la responsabilité de l'Etat est engagée en l'espèce débute le 25 septembre 2017, date de la décision consulaire, et s'achève le 22 juillet 2019, date de délivrance du visa au jeune B... C... D....
En ce qui concerne la réparation des préjudices :
6. En premier lieu, les requérants demandent l'indemnisation d'une somme de 3 741,32 euros au titre des prestations sociales qu'ils auraient dû percevoir si le jeune B... était entré en France sous couvert du visa de long séjour sollicité. Toutefois, l'absence de versement aux requérants de prestations sociales telles que l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales est, compte tenu de l'absence de l'enfant des requérants sur le territoire français, sans lien direct avec la faute commise par l'administration, ces aides ayant pour objet de compenser partiellement notamment les dépenses engagées pour le logement ainsi que pour l'entretien et l'éducation des enfants présents sur le territoire national, compte tenu du niveau et du coût de la vie en France. De plus, si les requérants demandent le remboursement des frais d'envoi d'argent à plusieurs proches de la famille, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ces mandats aient été adressés au bénéfice de l'enfant qui vivait chez ses grands-parents. Ces chefs de préjudice matériel invoqués par les requérants doivent dès lors être également écartés.
7. En second lieu, il résulte de l'instruction que le refus de délivrance du visa de long séjour sollicité pour l'enfant et le retard à avoir délivré ledit visa après l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif du 15 février 2019 ont été, tant pour les parents que pour l'enfant, à l'origine d'anxiété et de troubles dans leurs conditions d'existence au cours de la période comprise entre le 25 septembre 2017, date à laquelle l'autorité consulaire française en Ethiopie a refusé de délivrer le visa sollicité à l'enfant, et le 22 juillet 2019, date à laquelle ce dernier s'est vu délivrer le visa sollicité. Au cours de cette période, les parents ont été suivis par leurs médecins respectifs pour des troubles anxiodépressifs consécutifs à l'absence de leur enfant et à l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient, du fait de leur qualité de réfugiés, de lui rendre visite dans leur pays d'origine. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des troubles subis par M. et Mme D... et leur fils dans leurs conditions d'existence, en les évaluant à la somme de 2 000 euros.
8. En revanche, il résulte de l'instruction que le jeune B... a quitté son école en décembre 2016, soit antérieurement à la décision de refus de délivrance du visa sollicité pour lui. Si les requérants soutiennent que la période sans instruction allant de décembre 2016 au 25 septembre 2017 ne peut être imputée à une faute de l'Etat contrairement à la période allant du 25 septembre 2017 au 22 juillet 2019, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait un lien de causalité entre la faute commise par l'Etat et le préjudice de perte de scolarité dont se prévalent les requérants. Ce préjudice n'est dès lors pas susceptible d'être indemnisé.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité à 2 000 euros le montant de l'indemnité à laquelle il a condamné l'Etat en réparation des préjudices qu'ils ont subis.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme D... de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... D... et Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01108