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24/06/2025 | FRANCE | N°24NT01088

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 24 juin 2025, 24NT01088


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. H... D... et Mme G... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 9 juin 2022 de l'autorité consulaire française en Guinée et Sierra Leone refusant de délivrer à Mme D... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.



Par un jugement

n° 2215420 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.



Pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... D... et Mme G... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 9 juin 2022 de l'autorité consulaire française en Guinée et Sierra Leone refusant de délivrer à Mme D... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2215420 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 avril 2024, M. H... D... et Mme G... D..., représentés par Me Benhamida, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 27 octobre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Benhamida, leur avocate, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'un vice de procédure ; l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas été saisi pour certification de la situation de famille et de l'état civil du réfugié en vertu de l'article R. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il se réfère à ses écritures de première instance, dont il produit une copie, et soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 15 février 2024 du bureau d'aide juridictionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant guinéen, a obtenu le statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 décembre 2019. Des visas de long séjour ont été demandés pour Mme G... D... et leur fils, E... C... D..., né en 2004, en qualité de membres de famille de réfugié. L'autorité consulaire française en Guinée a délivré le visa sollicité pour l'enfant, E... C... D..., mais l'a refusé pour Mme G... D... par une décision du 9 juin 2022. Par un jugement n° 2215420 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande A... H... D... et Mme G... D... tendant à l'annulation de la décision du 27 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme D... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié. M. et Mme D... relèvent appel de ce jugement.

2. En premier lieu, la décision contestée n'a pas été prise par M. Alain Ferré, président suppléant de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, qui a signé, en sa qualité de président suppléant de la commission de recours, la lettre de notification de la décision adressée au conseil de la requérante, mais par cette commission, autorité de caractère collégial, lors de sa séance du 27 octobre 2022. Le moyen tiré de ce que M. Alain Ferré n'était pas compétent pour signer la décision contestée doit, par suite, être écarté comme inopérant.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". Aux termes de l'article R. 561-3 du même code : " Dès l'enregistrement de la demande par l'autorité diplomatique ou consulaire, le ministre chargé de l'asile demande à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la certification de la situation de famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ainsi que de son état civil. L'office transmet la certification de la situation de famille et de l'état civil dans les meilleurs délais au ministre chargé de l'asile qui en informe l'autorité diplomatique ou consulaire. "

4. Il résulte de ces dispositions que, pour les décisions individuelles entrant dans son champ d'application, les décisions prises sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux, selon les modalités énoncées au point précédent. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge.

5. Alors que les requérants allèguent que la procédure est entachée d'irrégularité faute pour l'autorité administrative d'avoir satisfait aux dispositions de l'article R. 561-3 précité, le ministre de l'intérieur ne justifie pas avoir demandé à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la certification de la situation de famille A... et Mme D... ainsi que de leur état civil. La méconnaissance de ces dispositions ne constitue pas un vice propre de la décision des autorités consulaires et est susceptible d'affecter la régularité de la décision prise par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.

6. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.

7. Alors que la décision contestée n'est pas fondée sur un motif tenant au statut de réfugié A... D... ni à son état civil, la méconnaissance des dispositions citées au point 3 n'a pas été susceptible d'avoir exercé, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise et n'a pas privé les intéressés d'une garantie. Le moyen doit, par suite, être écarté.

8. En troisième lieu, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur le motif tiré de ce que Mme D..., qui produit un acte de naissance non conforme aux articles 184 et 204 du code civil guinéen, n'établit pas avoir eu une vie commune suffisamment stable et continue avec M. D... avant la date à laquelle il a introduit sa demande d'asile, de sorte que son identité n'est pas établie.

9. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. " Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / (...) 2° (...) lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".

10. Aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

11. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

12. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

13. D'une part, à l'appui de sa demande de visa, Mme D... a produit un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 31 décembre 2018 par le tribunal de première instance de Conakry 2, l'acte de naissance pris en transcription de ce jugement supplétif le 1er mars 2019 et son passeport. En se bornant à relever que l'acte de naissance de l'intéressée ne serait pas conforme aux articles 184 et 204 du code civil guinéen, sans préciser en outre les termes des dispositions invoquées, l'administration n'établit pas le caractère frauduleux du jugement supplétif d'acte de naissance concernant Mme D.... Par suite, l'identité de la demanderesse est établie.

14. D'autre part, il n'est pas contesté que Mme D... est la mère de l'enfant, E... C... D... né en 2004, pour lequel un visa d'entrée et de long séjour a été obtenu au titre de la réunification familiale et que M. D... avait alors une relation de concubinage avec Mme D.... Il ressort cependant des déclarations mêmes A... D... que celui-ci s'est séparé de la mère de son fils, qu'il s'est marié en 2009 avec Mme B... I... D... et a divorcé en 2014, puis qu'il a eu une relation avec Mme F... D... avec qui il a eu un autre enfant, né en avril 2015. M. D... soutient que Mme F... D... est décédée en 2015 et que, la même l'année, il aurait repris sa relation avec Mme G... D.... Si les requérants soutiennent que Mme G... D... était la concubine A... D... à la date de sa demande d'asile, cette situation ne ressort toutefois pas des pièces du dossier. La circonstance que M. D... ait mentionné Mme G... D... comme étant sa concubine, dans son formulaire de demande d'asile et dans son récit transmis à l'OFPRA, ne permet pas à elle seule d'établir que les intéressés avaient, avant la date d'introduction de la demande d'asile A... D..., une vie commune suffisamment stable et continue. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu légalement refuser de délivrer le visa sollicité au motif que Mme G... D... ne justifiait pas que sa situation lui permettait, en qualité de concubine, de prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif.

15. En quatrième lieu, pour les motifs exposés au point 14, il n'est pas établi que M. H... D... et Mme G... D... auraient vécu en situation de concubinage avant le dépôt de la demande d'asile A... D.... A cet égard, si les requérants produisent des preuves d'envoi d'argent, au demeurant à compter de 2020 seulement, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet argent était destiné aux besoins de Mme D... et non pas uniquement au fils A... D.... Aussi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête A... et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... D..., à Mme G... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2024.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01088
Date de la décision : 24/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : BENHAMIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-24;24nt01088 ?
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