Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... épouse B..., agissant en qualité de représentante légale de l'enfant D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 janvier 2023 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer à l'enfant Yeï Orlane Marie-Karell Etekou un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'enfant de ressortissante française.
Par un jugement n° 2308320 du 13 mai 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 juillet 2024 Mme C... A... épouse B..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 mai 2024 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A... soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'en estimant que l'identité et le lien de filiation de la demandeuse de visa n'étaient pas établis par les pièces produites, le tribunal s'est fondé sur un moyen qui n'était pas soulevé ; elle n'a pu présenter ses observations sur ce moyen qui a été soulevé d'office par le tribunal ; le tribunal a statué ultra petita ;
- l'identité et le lien de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête enregistrée dans la présente instance a été communiquée au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- et les observations de Me Pollono, substituant Me Cavelier, représentant Mme A... épouse B....
Considérant ce qui suit :
1. Une demande de visa de long séjour en qualité d'enfant de ressortissante française a été déposée au profit de l'enfant D..., ressortissante ivoirienne née le 8 janvier 2007, auprès de l'autorité consulaire à Abidjan (Côte d'Ivoire), qui a rejeté cette demande par une décision du 30 janvier 2023. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Mme A... épouse B..., mère de l'intéressée, a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Elle relève appel du jugement du 13 mai 2024 de ce tribunal rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Abidjan, sur les circonstances que les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour sont incomplètes ou ne sont pas fiables et que certaines données du document d'état civil présenté en vue d'établir la filiation remettent en cause son caractère authentique.
3. Statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.
4. Le tribunal administratif, pour rejeter la demande de Mme A... épouse B..., a estimé que le motif de la décision contestée tiré du défaut de caractère authentique des documents d'état civil présentés pour établir l'identité de Yei Orlane Marie-Karell Etekou et son lien de filiation avec Mme A... épouse B..., était de nature à fonder légalement la décision contestée et que l'autorité administrative aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
5. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
7. Pour justifier de l'identité de la jeune D... ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance rendu sous le n° 171, le 23 mai 2018, par le tribunal de première instance d'Abidjan, section de Grand-Bassam, une expédition de ce jugement ainsi qu'une expédition du même jugement portant la mention de sa rectification par une ordonnance n° 262/2022, la copie intégrale de l'acte de naissance n° 2646 de l'enfant, pris en transcription de ce jugement le 28 décembre 2018 et le passeport de l'intéressée. S'il ressort du jugement produit que celui-ci a " dit qu'en 2007, le 19 à Grand Bassam est née l'enfant Etekou Yeï Orlane Marie-Karell " et ne mentionne ainsi pas de manière complète la date de naissance de la demanderesse de visa, une ordonnance rectificative n° 262/2022 rendue le 10 juin 2022, par le président du tribunal de Grand-Bassam a procédé à la rectification de la date de naissance de l'enfant. La seule circonstance qu'une expédition de ce jugement, délivrée antérieurement à cette dernière, comporte déjà la mention selon laquelle l'enfant est née le 8 janvier 2007 n'est pas de nature à elle seule à établir le caractère frauduleux de ce jugement. En outre, si le jugement a ordonné la transcription de son dispositif sur les registres de la mairie de Grand Bassam pour l'année 2007 et que la copie intégrale de l'acte de naissance produit est celle du registre des naissances de l'année 2018, la requérante se prévaut des dispositions de l'article 84 du code civil ivoirien selon lesquelles " le dispositif du jugement est transmis (...) à l'agent de l'état civil du lieu où s'est produit le fait qu'il constate, la transcription en est effectuée dans les registres de l'année en cours et mention en est portée, en marge des registres à la date du fait ". Enfin, les actes produits comportent des mentions identiques quant à l'état civil de l'intéressée. Ainsi, alors que le ministre, qui n'a pas produit de mémoire en défense, ne critique pas ces actes d'état civil, ces quelques anomalies ne sont pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement produit. Par suite, en se fondant sur le défaut de caractère authentique des documents d'état civil présentés pour établir l'identité de Yei Orlane Marie-Karell Etekou et son lien de filiation avec Mme A... épouse B..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 5. Par ailleurs, si la décision contestée est également fondée sur la circonstance que les informations communiquées sont incomplètes ou non fiables, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision en ne se fondant que sur ce motif, en l'absence de toute précision quant aux informations qu'il estimerait être incomplètes ou non fiables.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... épouse B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant Yeï Orlane Marie-Karell Etekou. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2308320 du 13 mai 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour l'enfant Yeï Orlane Marie-Karell Etekou est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'enfant Yeï Orlane Marie-Karell Etekou un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... épouse B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02056