Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... B..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante des enfants mineurs E..., F... et D... B..., et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 18 novembre 2021 de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer à Mme A... B... et aux enfants E..., F... et D... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2303206 du 12 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 juin 2024 et 21 février 2025, Mme G... B..., Mme A... B... et Mme E... B... représentées par Me Pronost, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 janvier 2024 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 4 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) subsidiairement, de demander à l'administration de produire les résultats des levées d'acte effectuées et de faire procéder à une expertise génétique sur le fondement de l'article R. 621- 1 du code de justice administrative ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 200 euros HT, soit 1 440 euros TTC, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- la décision est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation ; l'identité et les liens de filiation de chacun des demandeurs de visa sont établis par les pièces d'état-civil produites et les éléments de possession d'état ;
- le père des enfants est décédé ainsi que l'a relevé notamment l'office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- la décision méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les consorts B... ne sont pas fondés.
Mme G... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... B..., ressortissante sénégalaise née en 1977, s'est vue accorder la protection subsidiaire par une décision du 22 juillet 2016 de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Elle a ensuite présenté des demandes de visa au titre de la réunification familiale pour Mme A... B... et les jeunes E..., F... et D... B... qu'elle présente comme ses enfants sénégalais. Ces demandes ont été rejetées par l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) par des décisions du 18 novembre 2021. Par une décision du 4 janvier 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mmes G... et A... B.... Par un jugement du 12 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de cette décision présentée par ces dernières. Mmes G..., A... et E... B... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. La décision contestée du 6 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France oppose aux demandeurs de visa le fait que leur père ne peut être regardé comme décédé ou déchu de l'autorité de ses droits parentaux et qu'il n'a pas consenti à leur départ pour la France. Il leur est également opposé le fait que les documents d'état-civil produits n'ont pas de force probante.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, dont la décision du 22 juillet 2016 de l'office français de protection des réfugiés et apatrides intervenue après l'audition de Mme G... B..., que le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été accordé en conséquence du décès en Guinée en 2012 de son conjoint, père de ses enfants, au motif que Mme B... s'est soustraite ensuite à un lévirat imposé. Dans ces conditions, la seule circonstance que Mme B... s'est prévalue par la suite, afin de répondre à la demande consulaire, d'un certificat de décès établi par les autorités sénégalaises mentionnant ce décès en Guinée, sans présenter un acte de décès conforme à la législation sénégalaise ou un accord de son conjoint décédé pour le départ de ses enfants, n'est pas de nature à établir l'absence de ce décès ni, par suite, que les conditions posées par les dispositions combinées des articles L. 561-2 et L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne seraient pas satisfaites.
7. En deuxième lieu, pour établir l'état-civil des dénommés E..., F... et D... B..., ont été produits des actes de naissance qui comportent les éléments permettant d'établir la filiation des intéressés. Ces mentions, ainsi que les références aux registres d'acte d'état-civil sénégalais, sont identiques à celles figurant sur des extraits d'actes de naissance établis ultérieurement et ils ont permis l'établissement de passeports biométriques par les autorités sénégalaises. La seule circonstance qu'ils ne comprennent pas, en méconnaissance du code de la famille sénégalais, la signature du déclarant et, pour deux d'entre eux, la mention du fait qu'il s'agit de déclarations tardives de naissance, n'est pas suffisante pour établir qu'il s'agirait de documents dépourvus de force probante.
8. En troisième lieu, s'agissant de l'enfant dénommée D... B..., l'acte de naissance présenté a été établi le 27 décembre 2013 pour une naissance le 27 janvier 2013, sans mention du caractère tardif de la déclaration de naissance, et il y est indiqué que la déclaration a été effectuée par son père, alors que selon les autres éléments présentés, celui-ci était décédé depuis plus d'un an. Mme B... expose toutefois que ce document, qu'elle ne pourrait faire rectifier depuis l'étranger, procède d'une déclaration faite par son beau-frère, à son insu, alors qu'elle tentait d'échapper au lévirat qui lui était imposé par ce dernier sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités sénégalaises, ainsi qu'il résulte des éléments établis par l'OFRA. Dans ces conditions particulières, la circonstance tenant au fait que le déclarant n'était pas le père de l'enfant, contrairement à ce qui figure sur l'acte de naissance du 27 décembre 2013, et l'absence de mention d'une déclaration tardive de naissance, n'établissent pas l'absence de force probante de cet acte de naissance qui comporte par ailleurs les éléments établissant l'identité de l'intéressée, dont sa filiation à l'égard de Mme C... et de son père décédé en 2012.
9. Il résulte en conséquence des trois points précédents que les éléments d'état-civil produits établissent l'identité et la filiation des demandeurs de visa, ainsi que le décès en 2012 de leur père. Par suite, les consorts B... sont fondés à soutenir que dans sa décision contestée du 4 janvier 2023 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les consorts B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Il y a lieu en conséquence d'annuler la décision du 4 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mmes A... et E... B... ainsi qu'aux jeunes F... et D... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte
Sur les frais d'instance :
12. Mme G... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 440 euros à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2303206 du 12 janvier 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 4 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour Mmes A... et E... B... ainsi que les jeunes F... et D... B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mmes A... et E... B... ainsi qu'aux jeunes F... et D... B... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost une somme de 1 440 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B..., Mme A... B... et Mme E... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01793