Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 4 avril 2023 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran), refusant de délivrer à Mme B... un visa de long séjour en qualité de membre de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Par un jugement n° 2309781 du 9 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 avril et 30 septembre 2024, M. E... B... et Mme D... B..., représentés par Me Leudet, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2 et L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'identité de Mme B... est établie de même que son lien matrimonial avec le réfugié ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il se réfère à ses écritures de première instance dont il produit une copie et soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Obriot, substituant Me Leudet, représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 9 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. et Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme B... un visa de long séjour en qualité de membre de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement.
2. En premier lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
3. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". L'article D. 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".
4. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
5. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
6. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
7. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire formé par M. et Mme B... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, que la décision implicite de cette commission est réputée rejetée pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité consulaire française en Iran a refusé de délivrer à Mme B... le visa de long séjour demandé au titre de la réunification familiale au motif que le lien familial allégué avec le bénéficiaire de la protection subsidiaire ne correspond pas à l'un des cas prévus à l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que les déclarations de la demandeuse de visa conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Cette décision comporte ainsi, de manière suffisante les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, permettant aux intéressés de les contester utilement. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que la décision implicite de la commission de recours, qui s'est appropriée les motifs de la décision consulaire, serait insuffisamment motivée.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue. ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;/ 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;/ 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ".
9. A l'appui de sa demande de visa, ont été produits l'acte de naissance de Mme D... B..., sa taskera électronique ainsi que son passeport. Ces documents mentionnent que l'intéressée est née le 24 décembre 1991 et qu'elle est la fille de M. C... G... B... et de Mme A... B.... Si l'administration relève que le numéro d'identité porté sur l'acte de naissance et la taskera ne correspond pas à celui porté sur le passeport, il ressort toutefois des pièces du dossier que le numéro d'identité mentionné sur le passeport de Mme B... correspond à son numéro d'identité figurant sur sa taskera papier, établie antérieurement au système d'identification électronique. Dans ces conditions, l'identité de la demandeuse de visa est établie.
10. En revanche, M. B..., ressortissant afghan né en 1992, est entré en France en 2016 et a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 8 août 2017. Il ressort des pièces du dossier, notamment du formulaire de demande d'asile et des propos tenus lors de l'entretien avec un agent de l'OFPRA, en présence d'un interprète en langue pachto, que M. B... a épousé, le 1er janvier 2015, Mme H... B..., née le 1er janvier 1996, fille de M. I... B... et de Mme F.... L'OFPRA a établi l'acte de mariage de M. B... en tenant compte de ces informations transmises par l'intéressé. L'identité de la demandeuse de visa, qui se présente comme étant Mme D... B..., née le 24 décembre 1991 et fille de M. C... G... B... et de Mme A... B... ne correspond pas à celle de l'épouse de M. B..., dont le prénom, la date de naissance et les noms de ses parents sont différents. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a saisi le 19 avril 2023 le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris d'une demande de rectification de l'acte d'état civil délivré par l'OFPRA, mais les requérants ne précisent pas quelle suite a été donnée à cette demande. Si celui-ci soutient qu'il ne connaissait pas la véritable identité de son épouse et des parents de celle-ci en raison de l'usage allégué de pseudonymes en Afghanistan, les incohérences entre le nom de l'épouse, sa date de naissance et les noms de ses parents ne peuvent toutefois s'expliquer par un tel usage ni par des difficultés à convertir les dates du calendrier perse au calendrier grégorien. Les attestations produites pour la première fois devant la cour, émises par des voisins et amis des requérants, ne permettent pas davantage d'établir que la demandeuse de visa et l'épouse de M. B... seraient une seule et même personne, compte tenu notamment de l'incohérence dans les dates de naissance. Le certificat de mariage afghan enregistré le 28 octobre 2022, dont se prévalent également les requérants, n'a par ailleurs pas été enregistré selon les modalités prévues en Afghanistan. Dans ces conditions, la demandeuse de visa ne peut être regardée comme l'épouse de M. B.... De plus, il ressort des pièces du dossier que la preuve la plus ancienne d'échanges sur les réseaux sociaux date de mars 2023 et celle de l'envoi d'argent date de septembre 2022. Enfin, si M. B... s'est rendu en Iran pour rendre visite à la demandeuse de visa en 2023 et 2024 et si les intéressés ont eu un premier enfant né en mars 2025, de tels éléments, au demeurant postérieurs à la date de la décision contestée, ne permettent pas d'établir qu'à la date d'introduction de la demande d'asile présentée par M. B..., les intéressés avaient une vie commune suffisamment stable et continue pour pouvoir regarder Mme B... comme étant alors la concubine de M. B.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu légalement refuser de délivrer le visa sollicité au motif que M. B... tentait d'obtenir frauduleusement, pour Mme B..., un visa au titre de la réunification familiale alors que sa situation ne lui permettait pas de prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 10, il n'est pas établi que M. et Mme B... auraient vécu en situation de concubinage en Afghanistan. A cet égard, il ressort des pièces du dossier qu'alors que M. B... a quitté l'Afghanistan en 2016 et a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2017, Mme B... n'a demandé un visa pour rejoindre l'intéressé qu'en 2023 et les intéressés ne se sont retrouvés qu'en 2022 en Iran. Aussi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00993