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06/06/2025 | FRANCE | N°24NT03663

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 06 juin 2025, 24NT03663


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ". Par une demande distincte, elle a également sollicité l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2024 du préfet du Calvados portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation de son pays

de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ". Par une demande distincte, elle a également sollicité l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2024 du préfet du Calvados portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation de son pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2302181, 2402005 du 22 novembre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 décembre 2024, Mme C..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 22 novembre 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 juin 2024 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit ; l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoit pas qu'elle doive justifier d'une situation familiale particulière en France ; de plus, le préfet priorise la condition relative à sa situation familiale par rapport aux perspectives d'intégration en France, qui n'implique pas un contrat de travail ou une promesse d'embauche, ni même la réalisation d'une formation professionnelle précise ; en outre, ces dispositions n'interdisent pas la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou a séjourné irrégulièrement en France ;

- le préfet a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle justifie en effet de perspective d'embauche dans deux domaines où il existe des besoins ; ses trois enfants résident régulièrement en France et elle n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2025, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Un mémoire en intervention a été enregistré le 14 avril 2025 pour l'association Emmaüs France et le Groupe d'information et de soutient des Immigré.es (GISTI), représentés par Me Crusoé, qui concluent aux mêmes fins que la requérante, par les mêmes moyens.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2025.

Le mémoire présenté le 14 avril 2025 pour Mme C... n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante congolaise (République Démocratique du Congo), relève appel du jugement du 22 novembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande de titre de séjour et de l'arrêté du 7 juin 2024 du préfet du Calvados portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation de son pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur l'intervention du GISTI et de l'association Emmaüs France :

2. Eu égard à leurs objets statutaires, le GISTI et l'association Emmaüs France justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de Mme C.... Leur intervention doit, par suite, être admise.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour :

3. Aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".

4. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par un étranger sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger, dont la présence en France ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public, est accueilli dans un organisme de travail solidaire et justifie de trois années d'activité ininterrompue auprès d'un ou plusieurs organismes relevant de cette catégorie. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

5. D'une part, il ressort de la décision du 29 janvier 2024 qu'en tenant compte notamment des attaches familiales de Mme C... et de l'ancienneté de sa présence en France tout en soulignant qu'elle avait fait l'objet d'un premier refus de titre de séjour le 26 mai 2014 puis d'un second refus de titre assorti d'une obligation de quitter le territoire français le 2 août 2017 à laquelle l'intéressée ne s'est pas conformée, le préfet s'est borné à porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressée en faisant application des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans ajouter une condition non prévue par ces dernières. Par ailleurs, si celles-ci n'imposent pas à l'étranger la production d'un contrat de travail, d'une promesse d'embauche ou la réalisation d'une formation professionnelle, leur absence peut toutefois être légalement retenue comme un élément de fait par le préfet dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, sans que celui-ci commette une erreur de droit.

6. D'autre part, Mme C..., qui est née en 1979, a indiqué être entrée en France le 10 août 2012 à l'âge de 33 ans. Après avoir travaillé comme bénévole au Secours Populaire, puis dans le cadre d'un contrat à durée déterminée au sein de la société Chiffo, en qualité de vendeuse, entre le mois de novembre 2016 et le 31 janvier 2018, l'intéressée a été accueillie par l'association Emmaüs à compter du 20 juin 2018. La requérante y a travaillé en tant qu'agente de tri puis comme agente affectée à la vente des vêtements durant trois années. Le rapport du 14 octobre 2022 établi par cette association fait notamment état des compétences acquises par Mme C..., de son investissement dans les tâches qui lui étaient confiées et de son professionnalisme. Il souligne la cohérence de ses engagements et des formations suivies en 2018 et 2022 et établit le caractère réel et sérieux de cette activité. Toutefois, si l'intéressée souligne les besoins qui existent dans le département du Calvados tant dans le secteur du prêt-à-porter que dans celui du nettoyage, elle ne justifie que d'une expérience professionnelle d'une durée inférieure à un an en qualité de vendeuse de vêtements, et ne dispose d'aucune promesse d'embauche ou diplôme qui lui permettrait d'occuper un emploi à l'issue de sa période de prise en charge par l'association. Par ailleurs, il n'est pas contesté que le conjoint de Mme C... ne réside pas en France et que si ces trois enfants sont autorisés à y poursuivre leurs études, ils ne sont pas venus en France avec leur mère mais plusieurs années après celle-ci et, étant de nationalité congolaise, n'ont pas vocation à y rester à l'issue de leurs études. Dans ces conditions, en dépit de l'avis favorable émis le 26 avril 2024 par la commission du titre de séjour, Mme C... n'est pas fondée à soutenir qu'en estimant qu'elle ne démontrait pas suffisamment de perspectives d'intégration au sens des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados a commis une erreur manifeste d'appréciation et porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. Les moyens tirés de ce que la décision litigieuse est entachée d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 6 ci-dessus.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

8. Mme C... se borne à soutenir que la décision contestée aura pour effet de l'empêcher de voir ses enfants, sans établir qu'ils seraient eux-mêmes dans l'impossibilité de se rendre en République Démocratique du Congo pour rendre visite à leurs parents. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse est entachée d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 6 ci-dessus.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2024 du préfet du Calvados. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention du Groupe d'information et de soutien des immigré.es (GISTI) et de l'association Emmaüs France est admise.

Article 2 : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C..., au Groupe d'information et de soutien des immigré.es (GISTI), à l'association Emmaüs France et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2025.

La rapporteure,

V. GELARDLa présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT03663


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT03663
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-06;24nt03663 ?
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