Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... G... et M. C... F..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux des enfants I... E... F..., B... F... et A... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 19 avril 2023 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer aux jeunes B... F... et A... F... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2304734 du 23 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mai et 30 mai 2024, Mme H... G... et M. C... F..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux des enfants I... E... F..., B... F... et A... F..., représentés par Me Lavenant, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 février 2024 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'état civil et le lien de parenté sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques ; ils participent à l'éducation et à l'entretien de leurs filles avec lesquelles ils ont conservé des liens affectifs ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- et les observations de Me Lavenant, représentant Mme G... et M. F....
Considérant ce qui suit :
1. La jeune I... E... F..., ressortissante ivoirienne née le 4 mai 2017, s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée le 29 septembre 2021 par la Cour nationale du droit d'asile. Les jeunes B... et A... F..., nées le 18 juillet 2007, qu'elle présente comme ses sœurs, ont déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire), qui a rejeté cette demande par des décisions du 19 avril 2023. Le recours formé contre ces refus consulaires devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus de deux mois. Mme G... et M. F..., parents et représentants légaux des jeunes B... et A... F..., ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement du 23 février 2024 de ce tribunal rejetant leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Abidjan, sur la circonstance que le lien allégué avec la bénéficiaire de la protection accordée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ne correspond pas à l'un de ceux permettant d'obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. (...) ".
4. Ces dispositions, issues de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, qui ont en outre le droit à une carte de résident en application de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou en sont dispensés parce qu'ils sont mineurs, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial, en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.
5. Les jeunes B... et A... F... ont sollicité la délivrance d'un visa pour rejoindre en France leur sœur, la jeune I... E... F... qui a obtenu le statut de réfugiée et dont les parents résident déjà en France. Leur lien familial avec celle-ci ne correspond donc pas à l'un des cas leur permettant de demander un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale en qualité de membre de famille de réfugiée et les requérants ne peuvent donc se prévaloir des dispositions citées au point 3. Ainsi, eu égard au motif de la décision en litige, la circonstance que le lien familial soit établi par les documents d'état civil produits, qui n'est au demeurant pas contesté par l'autorité administrative, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Dans ces conditions, alors que les demandeuses de visa n'entrent pas dans le champ de la réunification familiale, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 3.
6. En second lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Comme il a été dit au point 5, les jeunes B... et A... F..., nées en 2007, ont sollicité la délivrance d'un visa pour rejoindre en France, non leurs parents, mais leur sœur, la jeune I... E... F... qui a obtenu le statut de réfugiée. En outre, si Mme G... et M. F... font valoir que leurs filles ainées résident en Côte d'Ivoire, au sein de leur famille paternelle, qui envisage de procéder à leur mariage forcé, aucune pièce du dossier ne permet toutefois de l'établir. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 18 mai 2022 du tribunal de première instance de Bouake, ils ont délégué temporairement l'autorité parentale sur leurs filles à un tiers, M. D..., afin notamment d'assurer " la garde, la direction, la surveillance, l'entretien, l'instruction et l'éducation " de celles-ci et de " prendre toute mesure d'assistance éducative ", alors même qu'il se serait alors agi de permettre l'établissement des documents nécessaires à leur établissement en France. Il ressort également des pièces du dossier que les requérants procèdent à des versements d'argent au bénéfice de M. D... dans le but de contribuer à l'entretien de leurs filles. Par ailleurs, le ministre fait valoir sans être sérieusement contredit, que le code civil ivoirien prohibe le mariage d'un mineur de moins de vingt-et-un an, sans le consentement parental. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants, qui n'ont pas été admis au statut de réfugié, seraient empêchés de rendre visite à leurs deux filles en Côte d'Ivoire, pays dans lequel elles ont toujours vécu, ou dans un pays tiers avec leur fille I... E... F.... Dans ces conditions, nonobstant quelques preuves d'échanges électroniques et une photographie, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... et M. F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par Mme G... et M. F... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme G... et M. F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme G... et de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... G..., à M. C... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de
la formation de jugement,
C. RIVASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01336