La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2025 | FRANCE | N°24NT01134

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 23 mai 2025, 24NT01134


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de son enfant mineur B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 26 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 mars 2022 des autorités consulaires françaises à New Delhi (Inde) refusant de délivrer à l'enfant mineur B... la délivrance

d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.




...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de son enfant mineur B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 26 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 mars 2022 des autorités consulaires françaises à New Delhi (Inde) refusant de délivrer à l'enfant mineur B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2213723 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 avril et 5 août 2024, Mme C... A..., représentée par Me Le Floch, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite du 26 septembre 2022 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer au jeune B... le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme A... soutient que :

- l'identité du demandeur de visa et le lien de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- en lui opposant le défaut de délégation d'autorité parentale du père, la commission a fait une inexacte application de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le père de l'enfant est décédé ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré, le 25 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Le Floch, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la décision implicite née, le 26 septembre 2022, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 mars 2022 des autorités consulaires françaises à New Delhi (Inde) refusant de délivrer au jeune B... A... né, le 19 avril 2006, un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Mme A... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, d'une part, Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".

3. Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".

4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 434-3 et L. 434-4 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie, que le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié ou a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée. Les demandes présentées pour les enfants issus d'une autre union doivent en outre satisfaire aux autres conditions prévues par les articles L. 434-3 ou L. 434-4, le respect de celles d'entre elles qui reposent sur l'existence de l'autorité parentale devant s'apprécier, le cas échéant, à la date à laquelle l'enfant était encore mineur.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. L'accusé de réception du recours formé par Mme A... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire. Il en résulte que la décision implicite de la commission, qui s'est substituée à la décision des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de cette dernière décision, qui comporte des cases cochées portant les mentions suivantes : " Le dossier de demande de visa ne contient pas la preuve du lien familial avec la personne placée sous la protection de l'OFPRA " et " Vos déclarations conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale ".

7. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir l'identité du jeune B... A... ainsi que le lien de filiation l'unissant à Mme A..., ont été produits, à l'appui de la demande de visa de ce dernier un livret vert n°9014021 délivré, le 18 janvier 2018, par l'administration tibétaine en exil, ainsi qu'une attestation du 24 juillet 2022 du bureau des autorités tibétaines en exil à Bomdila (Inde) certifiant que le titulaire de ce livret vert est l'enfant de Mme A.... Ces documents établissent l'identité du demandeur de visa ainsi que le lien de filiation l'unissant à Mme A... qui l'a d'ailleurs déclaré comme son fils dès le dépôt de sa demande d'asile en France. Par suite, en estimant que ce lien n'est pas établi et en rejetant, pour ce motif, le recours formé par Mme A... contre le refus de visa opposé au jeune B... A..., la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions de l'article 47 du code civil.

8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Pour établir que la décision litigieuse était légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer invoque, dans ses mémoires en défense présentés en première instance et en appel, et communiqués à Mme A..., un autre motif tiré de ce qu'il n'a pas été produit de délégation de l'autorité parentale du père de l'enfant, alors que le décès de ce dernier n'est pas établi.

10. Pour justifier du décès du père du demandeur de visa est produit, pour la première fois en appel, un acte de décès enregistré le 17 avril 2018, dans les registres de l'état civil de l'Etat d'Arunachal Pradesh (Inde), sous le n°28/2018, ainsi qu'un certificat du 15 décembre 2023 du bureau des autorités tibétaines en exil, à Bombdila, dans ce même Etat, attestant, au vu de cet acte, le décès du père du jeune B... A.... La circonstance que l'acte n°28/2018 ait été enregistré près de trois ans après le décès qu'il relate ne suffit pas à établir son caractère frauduleux, alors au demeurant que Mme A... a déclaré l'intéressé comme son époux défunt, dès le dépôt de sa demande d'asile. L'acte de décès ainsi produit est de nature à établir le décès du père du demandeur de visa. Il n'y a pas lieu, dès lors, d'accueillir la demande de substitution de motif sollicitée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré au jeune B... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Le Floch dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du 24 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite née, le 26 septembre 2022, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 mars 2022 des autorités consulaires françaises à New Delhi (Inde) refusant de délivrer au jeune B... A... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer à M. B... A... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Le Floch une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Floch renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01134
Date de la décision : 23/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-23;24nt01134 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award