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23/05/2025 | FRANCE | N°24NT00881

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 23 mai 2025, 24NT00881


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... A... B..., agissant en son nom et en qualité de représentante de l'enfant Yasmin Ahmed A..., ainsi que Mme C... A... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A... B... contre les décisions implicites des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant de délivrer à l'enfant Yas

min Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A... des visas d'entrée et de long séjour a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... B..., agissant en son nom et en qualité de représentante de l'enfant Yasmin Ahmed A..., ainsi que Mme C... A... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A... B... contre les décisions implicites des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2302922 du 15 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2024, Mme D... A... B..., agissant en son nom et en qualité de représentante de l'enfant Yasmin Ahmed A..., ainsi que Mme C... A... et M. E... A..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite née le 1er octobre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A..., ainsi qu'à Mme C... A... et à M. E... A... les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme A... B... et autres soutiennent que :

- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'identité des demandeurs de visas et les liens familiaux invoqués sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... B... et autres ne sont pas fondés.

Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Régent, représentant Mme A... B... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 15 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... B... et autres tendant à l'annulation de la décision implicite née le 1er octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A... ainsi qu'à Mme C... A... et à M. E... A... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Mme A... B... et autres relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 21 décembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté le recours formé, le 6 juillet 2022, et complété, le 1er août 2022, par Mme A... B... contre les décisions par lesquelles les autorités consulaires françaises à Djibouti ont implicitement refusé de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A... ainsi qu'à Mme C... A... et à M. E... A... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale. La décision expresse du 21 décembre 2022 de la commission, quand bien même elle a fait suite à la demande de communication des motifs de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours de Mme A... B..., s'est substituée cette décision. Il en résulte que les conclusions présentées par Mme A... B... et autres à fin d'annulation de la décision implicite de la commission doivent être regardées comme dirigées contre la décision expresse du 21 décembre 2022.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il ressort de la décision contestée que, pour rejeter le recours formé par Mme A... B... contre les refus de visas de long séjour opposés à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A..., la commission s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que Mme C... A..., âgée de plus de 19 ans, le jour où elle a déposé sa demande de visa, n'est pas éligible à la procédure de réunification familiale, d'autre part, de ce que les certificats de naissances produits sont dépourvus de caractère probant et ne permettent pas d'établir l'identité des demandeurs de visas et leur liens familiaux avec Mme B... A....

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir l'identité de l'enfant Yasmin Ahmed A..., de Mme C... A... et de M. E... A..., ainsi que les liens de filiation les unissant à Mme B... A..., ont été produits, à l'appui de leurs demandes de visa, des documents intitulés " Birth Certificate " délivrés, le 22 décembre 2021, par le maire de Mogadiscio. Les circonstances que les mentions pré-imprimées de ces documents présenteraient diverses anomalies tenant notamment à la mention " municipality of Mogadishu " en lieu et place de " Mogadishu municipality ", à ce que le code barre empiète légèrement sur le cadre du document, à l'emploi de termes en langue somalie différents de ceux retenus pour l'établissement des passeports biométriques en vigueur depuis le 1er janvier 2016 pour les champs relatifs au lieu de naissance, au genre et à la date de délivrance et qu'ils sont présentés en langues somalie et anglaise et non dans les seules langues officielles de la Somalie que sont le somalien et l'arabe, ne suffisent pas à démontrer que ces actes ne seraient pas rédigés dans les formes usités en Somalie ni à établir leur caractère irrégulier, falsifié ou inexact. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que ces certificats de naissance méconnaîtraient les dispositions du Child Act (2010) et de l'article 20 du Civil Registry Act (2011) qui encadrent la rédaction des actes de naissance en Somalie, en l'absence de toutes les mentions obligatoires, il n'établit pas, en se bornant à produire un document issu de la base de données de l'UNICEF relatif à l'enregistrement des naissances en Somalie, que les règles de droit local qui auraient été méconnues. Enfin, la circonstance que ces actes mentionnent que les enfants sont nés à Sanaa, au Yémen, alors qu'ils ont été établis par les autorités somaliennes, ne permet pas davantage de démontrer qu'ils seraient inauthentiques. Ces actes de naissance sont de nature à établir l'identité des demandeurs de visa ainsi que les liens de filiation qui les unissent à Mme B... A... qui les a d'ailleurs déclarés dès le dépôt de sa demande d'asile et leur a adressé d'importantes sommes d'argent, à partir du mois de janvier 2022. En estimant que ces liens n'étaient pas établis et en rejetant, pour ce motif, le recours formé par Mme A... B... contre les refus de visas opposés à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A..., la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 47 du code civil.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,

8. S'agissant de Mme C... A..., il ne ressort pas des pièces du dossier que celle-ci aurait accompli sa toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale au plus tard, le 2 janvier 2022, date de son dix-neuvième anniversaire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette dernière est isolée en Somalie, compte tenu des décès de son père et de sa grand-mère maternelle, respectivement, en 2018 et 2021, et que le centre de ses intérêts personnels et familiaux se trouve en France, auprès de Mme A... B..., sa mère, ainsi que de M. E... A... et de l'enfant Yasmin Ahmed A..., ses frère et sœur avec lesquels elle a été élevée depuis le départ de leur mère, qui sont éligibles à la procédure de réunification familiale et ont vocation à rejoindre leur mère sur le territoire national. Dans ces circonstances, le refus de visa de long séjour opposé à Mme C... A..., âgée de 19 ans et 3 jours à la date d'enregistrement de sa demande de visa, porte une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... B... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Régent dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du 15 janvier 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite née le 1er octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A... B... contre les décisions des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer à l'enfant Yasmin Ahmed A..., à Mme C... A... et à M. E... A... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Régent une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Régent renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... B..., à Mme C... A..., M. E... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET La greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00881


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00881
Date de la décision : 23/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : REGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-23;24nt00881 ?
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