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23/05/2025 | FRANCE | N°23NT02833

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 23 mai 2025, 23NT02833


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... et Mme E... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Lomé (Togo) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2213339 du 21 juillet 20

23, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 juillet 2022 de la commission de rec...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... et Mme E... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Lomé (Togo) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2213339 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 juillet 2022 de la commission de recours, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité à Mme B..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil des requérantes de la somme de 1 200 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- l'identité et dès lors le lien de filiation allégué avec la réunifiante ne sont pas établis compte tenu des incohérences quant à l'identité du père allégué de la demandeuse de visa ;

- les éléments de possession d'état échouent à pallier l'absence de caractère probant de l'état-civil de la demandeuse de visa ;

- la cellule familiale ne pourra pas se reconstituer en France dès lors que la demande de visa sollicitée pour l'enfant de la demandeuse de visa, né le 8 décembre 2021, a été rejetée par une décision du 23 mars 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2023, Mme C... et Mme B..., représentées par Me Guilbaud, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de 2 mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et que soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Mme C... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante togolaise, née le 31 octobre 1980, s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du 13 décembre 2019 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Mme B..., née le 3 septembre 2003, qu'elle présente comme sa fille, a déposé une demande de visa de long séjour auprès des autorités consulaires à Lomé (Togo). Par une décision du 20 juillet 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre le refus opposé par les autorités consulaires à la demande de visa. Par un jugement du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme C... et de Mme B..., la décision du 20 juillet 2022 de la commission de recours, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité à Mme B..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat les frais de procès. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...)/ ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...). Aux termes de l'article L. 561-5 de ce même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".

3. La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur le motif tiré de ce que Mme B..., " qui a constitué sa propre cellule familiale (naissance de son fils A... le 8 août 2021 d'un père connu et indiqué sur l'acte de naissance de l'enfant) n'est pas éligible à la procédure de réunification familiale au titre de membre de famille d'un réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire. "

4. S'il est constant que Mme B... a donné naissance au Togo, le 8 décembre 2021, au cours de la procédure d'instruction de sa demande de visa, à un enfant dont la filiation paternelle est établie, il est soutenu, et d'ailleurs justifié par différentes pièces du dossier, que Mme B... et le père de l'enfant ne sont pas mariés, ne vivent pas en couple et que ce dernier ne contribue ni à l'entretien ni à l'éducation de l'enfant. Il s'ensuit, et alors qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exclut de la procédure de réunification familiale les enfants d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire qui auraient constitué leur " propre cellule familiale ", que la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se fondant pour rejeter la demande de visa sur le motif énoncé au point 3.

5. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Pour établir que la décision contestée est légale, le ministre fait valoir un nouveau motif tiré de ce que Mme B... ne justifierait pas de son identité et, dès lors, de son lien de filiation à l'égard de la réunifiante, Mme C..., du fait des incohérences affectant l'identité du père de Mme B....

7. Aux termes de l'article L. 811-2 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

8. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

9. Si le ministre se prévaut de ce que le père de Mme B... est présenté sous trois identités différentes, à savoir " Mawulé Seyrame B... " dans l'acte de naissance de Mme B..., " Essinam B... " dans la carte d'identité de l'intéressé délivrée par les autorités togolaises et " Alexandre B... " dans les déclarations faites par Mme C... lors de sa demande d'asile, Mme C... et Mme B... justifient que M. B... s'est vu attribuer à sa naissance, d'une part, trois prénoms d'origine togolaise - Mawulé, Essinam et Seyrame - comme le mentionne l'acte de naissance mais aussi le certificat de nationalité togolaise et la carte nationale d'identité de l'intéressé sur laquelle le dernier prénom n'est indiqué que par son initiale " S " ainsi que, d'autre part, un prénom d'usage d'origine française, Alexandre, qui correspond au nom du saint du jour de sa naissance, le 22 avril, ainsi qu'en atteste M. B.... En l'absence de toute incohérence dans l'identité de M. B..., la substitution de motif sollicitée ne peut être accueillie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 juillet 2022 de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le tribunal a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant lui par Mme C... et Mme B.... Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par les intéressées devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

12. Mme C... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à

Me Guilbaud de la somme de 1 500 euros, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Guilbaud une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... et de Mme B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Mme D... et à Mme E... B....

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02833
Date de la décision : 23/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : GUILBAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-23;23nt02833 ?
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