Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 22 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2405409 du 30 avril 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juin 2024, M. A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 30 avril 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités suisses ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas motivé concernant la qualification de l'agent qui mène l'entretien ;
- le premier juge n'a pas tenu compte de toutes les branches du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- il n'est pas établi qu'il se soit effectivement vu délivrer, par écrit ou tout le moins oralement, dans une langue qu'il comprend et dès le début de la procédure, les informations prévues à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il n'a pas bénéficié du droit à l'information lors de la prise d'empreinte prévu par l'article 13 du règlement n° 2016/679 ;
- il n'est établi ni que l'agent qui a mené l'entretien était qualifié en droit d'asile, ni que l'entretien a respecté l'exigence de confidentialité, en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un défaut d'examen de sa situation de vulnérabilité ;
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 2016/679 est inopérant et que les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les observations de Me Néraudau pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant guinéen né le 23 juillet 2004, déclare être entré en France le 12 février 2024. Il a présenté une demande d'asile, enregistrée le 14 février 2024 auprès du guichet unique de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées en Italie le 24 juillet 2023 puis en Suisse le 12 septembre 2023. Saisies le 16 février 2024, les autorités suisses ont accepté explicitement, le 19 février 2024, de reprendre en charge M. A... pour l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du 22 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer l'intéressé à ces autorités. M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 30 avril 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. M. A... fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments présentés par le requérant, a répondu avec la précision requise au point 8 du jugement attaqué, au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et, en particulier, à la branche de ce moyen tirée de l'absence de qualification de l'agent ayant mené l'entretien. Il en est de même de la réponse apportée, au point 15 du jugement attaqué, au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la circonstance que tous les arguments du requérant n'aient pas été repris étant sans incidence. Par conséquent, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité faute d'être suffisamment motivé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, l'arrêté contesté ordonnant le transfert aux autorités suisses de M. A... comporte l'exposé des considérations de droit et de fait qui le fondent, y compris s'agissant des éléments qui ont conduit à déterminer la Suisse comme pays de destination du transfert de l'intéressé et il n'avait pas à mentionner l'ensemble des arguments du requérant relatifs à sa situation de vulnérabilité. Il est ainsi suffisamment motivé. Au vu de cette motivation, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. A... doit également être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
5. D'une part, il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. D'autre part, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit à l'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 14 février 2024 le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile, le guide du demandeur d'asile et les brochures A et B, conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, dont il a signé les pages de garde, qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées, dans une langue qu'il a déclaré comprendre, le français, comme il l'a indiqué dans le recueil d'informations qu'il a signé. M. A... a également signé un document indiquant que les informations contenues dans ces brochures ont été portées oralement à sa connaissance par un interprète en langue soussou, alors même que l'interprétariat a été fait par voie téléphonique. Enfin, il ressort de ce compte-rendu que M. A... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dans ces conditions, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 n'a pas été méconnu.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
9. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. A... qu'il a bénéficié le 14 février 2024, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité " et ses initiales manuscrites ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité. En outre, il ressort du compte-rendu de cet entretien, eu égard aux détails précis qu'il expose, qu'il a permis à M. A... de faire état des informations utiles, quand bien même l'assistance d'un interprète en langue soussou a été faite par voie téléphonique. Enfin, la circonstance que les coordonnées de l'interprète, dont l'identité était précisée, n'ont pas été transmises à M. A... par écrit n'a pas privé ce dernier de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.
10. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Si M. A... soutient qu'en cas de transfert vers la Suisse, il risque de subir de mauvais traitements en tant que demandeur d'asile, notamment un enfermement et que sa demande d'asile ne sera pas examinée, avec un recours à la force lors des expulsions, le caractère personnel de ce risque n'est pas établi pas par les seuls documents produits d'ordre général. S'il soutient également qu'il risque d'être éloigné, par ricochet, vers son pays d'origine, la Guinée, où il encourt des traitements inhumains et dégradants contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces circonstances ne suffisent pas à caractériser la méconnaissance par la Suisse de ses obligations quant au traitement de sa demande de protection. M. A..., par de simples allégations, n'établit pas qu'il ne pourrait faire valoir en Suisse tout nouvel élément concernant sa situation personnelle, alors même que sa demande d'asile aurait été rejetée, l'intéressé ne démontrant pas au surplus le caractère définitif de ce rejet. Les seules circonstances qu'il est demandeur d'asile, qu'il aurait subi des menaces de mort en Guinée par la famille de sa petite amie et qu'il aurait eu un parcours migratoire difficile ne suffisent pas, en l'absence d'éléments suffisamment étayés, à le placer dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité justifiant que sa demande d'asile soit instruite en France. S'il fait état de " problèmes au foie " sans être encore diagnostiqué, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait pas bénéficier en Suisse de soins adaptés et du suivi nécessaire à son état de santé et que le transfert n'aurait pas lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante son état de santé. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités suisses. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Neraudau et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02012