Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Centre Bretagne situé à Pontivy (Morbihan) à lui verser la somme globale de 381 086,09 euros en réparation de ses préjudices qu'elle a subi à l'occasion de sa prise en charge à compter du 6 mai 2016.
Par un jugement n° 2103523 du 8 mars 2024, le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier Centre Bretagne à lui verser la somme de 366 286,44 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation. Le centre hospitalier a également été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 75 209,96 euros au titre de ses débours, outre une rente annuelle de 5 823,67 euros ainsi qu'une indemnité forfaitaire de gestion de 1 191 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 mars et 6 juin 2024 et 8 janvier 2025, le centre hospitalier Centre Bretagne, représenté par Me Tamburini-Bonnefoy, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 mars 2024 en tant qu'il a indemnisé les pertes de gains professionnels actuels et futurs de Mme D..., son incidence professionnelle et ses besoins d'assistance par tierce personne à titre permanent à hauteur de la somme globale de 308 131,42 euros ;
2°) de réformer le même jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère une rente annuelle de 5 823,67 euros au titre de ses débours futurs ;
3°) de rejeter la demande d'indemnisation de Mme D... au titre des pertes de gains professionnels ;
4°) de rejeter la demande d'indemnisation de Mme D... au titre de l'assistance par tierce personne à titre permanent et de l'incidence professionnelle, le cas échéant de limiter l'indemnisation accordée à l'intéressée aux sommes respectives de 88 328,84 euros et de 10 000 euros ;
5°) de rejeter les conclusions incidentes de Mme D..., lesquelles sont irrecevables en tant qu'elles excédent celles demandées en première instance, ainsi que celles de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère ;
6°) de le condamner au remboursement des débours futurs de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère en lien direct et certain avec la faute qui lui est reprochée, sur justificatifs et par versements annuels.
Il soutient que :
- Mme D... ne rapporte pas la preuve de l'existence de pertes de gains professionnels en l'absence de toute activité professionnelle exercée avant les faits litigieux ;
- en tout état de cause, le tribunal administratif a commis une erreur en ne tenant pas compte du montant de 1 033,23 euros qui lui a été versé en juillet 2016 ; il ne saurait être condamné au titre des pertes de gain professionnels actuels à une somme supérieure à 25 428,76 euros ;
- Mme D..., qui n'aurait probablement pas exercer son métier d'infirmière jusqu'à l'âge de 64 ans, perçoit aujourd'hui, dans le cadre de son emploi d'assistante familiale, des revenus supérieurs à ceux qu'elle aurait perçus en qualité d'infirmière ; enfin, l'intéressée, qui n'a pas été déclarée inapte à son métier d'infirmière, pouvait continuer à exercer ses fonctions sous certaines restrictions, de sorte que son changement d'orientation professionnelle ne peut être mis à sa
charge ; les indemnités versées à l'occasion de la rémunération mensuelle sont nécessairement prises en compte dans le revenu global perçu ;
- le choix de réorientation de carrière de Mme D..., plus de 4 ans après les faits litigieux, ne saurait être qualifié d'incidence professionnelle ; à tout le moins, ce préjudice ne saurait être indemnisé à plus de 10 000 euros ; l'absence de perte de gains professionnels ne peut justifier une majoration de son incidence professionnelle ; Mme D... confirme elle-même que le poste d'assistant familial demande une énergie et une condition physique certaine, qui sont en tout point incompatibles avec le besoin en assistance par tierce personne ;
- l'indemnisation de ses besoins d'assistance par tierce personne n'est pas justifiée dès lors que l'intéressée, qui est atteinte d'un déficit du membre inférieur gauche et des douleurs de type neuropathique, est en mesure de s'occuper à temps plein d'un enfant de 18 mois qui présente des troubles psychomoteurs ; qu'en tout état de cause, ce préjudice doit être évalué sur une base de 13 ou 14 euros de l'heure et réduit à la somme de 88 328,84 euros ;
- Mme D... n'apporte aucun élément nouveau à l'appui de sa demande de réévaluation de ces préjudices d'agrément et d'impréparation ;
- il ne saurait en tout état de cause être fait application du barème de la Gazette du Palais du 31 octobre 2022 au taux -1%, qui correspond à un contexte exceptionnel péjoratif, d'inflation, de conflit et de crise sanitaire mais ni à la conjoncture économique actuelle ni à l'évolution attendue de celle-ci ; le taux d'actualisation à 0%, paraît plus sûr et plus adapté ;
- le montant des demandes formulées en appel ne peut excéder le montant des demandes formulées en première instance ;
- si l'intéressée sollicite une indemnisation pour l'adaptation de son véhicule, cette nouvelle demande, qui a été écartée par l'expert, dépasse en tout état de cause la limite du montant global sollicité en première instance ;
- il ne saurait être condamné à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie une somme excédant les débours effectivement engagés pour Mme D....
Par des mémoires, enregistrés les 7 mai et 18 décembre 2024, Mme B... D..., représentée par Me Masson d'Autume, conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il fixé l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels, ses besoins en assistance par tierce personne, son incidence professionnelle et ses préjudices d'agrément et d'impréparation qu'elle demande de porter à la somme globale de 466 659,59 euros, ou, à titre subsidiaire, de 566 659 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2021, et de leur capitalisation et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier Centre Bretagne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le centre hospitalier ne sont pas fondés ;
- elle souffre de cruralgies permanentes, lesquelles justifient l'assistance par une tierce personne à hauteur de 3 heures par semaine ainsi que l'a estimé l'expert ; l'évaluation de ce préjudice doit être portée à 153 925,14 euros ;
- compte tenu de son impossibilité à assumer un poste d'infirmière à temps complet eu égard à la gêne et aux souffrances ressenties au membre inférieur, ses pertes de gains professionnels actuels doivent être évaluées à 32 321,03 euros ;
- elle est fondée à solliciter un capital de 192 132,03 euros au titre de ses pertes de gains professionnels futurs ; sa perte de revenus jusqu'à son placement en invalidité de catégorie 1 doit être calculée sur la base de son salaire d'infirmière, qui doit être réévalué à 2 054 euros en novembre 2019, à 2 087 euros en juillet 2021 et à 2 365 euros en décembre 2024 ; de plus, les assistants familiaux sont rémunérés sur la base du SMIC auquel il convient de déduire les indemnités d'entretien, les indemnisations de formation, les indemnités pour frais de déplacement et les allocations versées en faveur de l'enfant accueilli, ce qui représente un salaire net de
1 050 euros par mois, qui doit être revalorisé à 1 204,19 euros en novembre 2017, à 1 230,60 euros en juillet 2021 et à 1 426,30 euros en décembre 2024 ; elle a en effet opté pour l'imposition plus favorable prévue à l'article 80 sexies du code général des impôts ;
- étant obligée d'abandonner la profession d'infirmière et sa reconversion étant restreinte en raison de ses douleurs elle a subi une dévalorisation sur le marché du travail ; elle subira en outre une perte de droits à la retraite, lesquels seront calculés par rapport à un salaire mensuel nettement inférieur à celui qui aurait été le sien en qualité d'infirmière ; son préjudice doit être évalué à 50 000 euros, ou à 150 000 euros, si la cour qu'elle estime qu'elle ne justifie pas d'une perte de revenus certaine ;
- son préjudice d'agrément doit être évalué à 10 000 euros dès lors qu'elle pratiquait deux fois par semaine de la danse moderne, participait à des galas, s'exerçait à la marche rapide avec ses amies et pratiquait du rafting et de la randonnée durant ses vacances ;
- son préjudice d'impréparation doit être évalué à 10 000 euros compte tenu du fait qu'elle n'a été informée par le centre hospitalier ni des alternatives thérapeutiques, ni des risques encourus ;
- il appartient au juge de procéder à l'actualisation au jour de sa décision de l'indemnité allouée en réparation de ces préjudices en fonction de la dépréciation monétaire et d'appliquer la table de capitalisation à taux - 1 % ;
- elle est fondée à sollicitée une indemnisation de 18 280,80 euros au titre des frais d'adaptation de son véhicule.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2024, la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, représentée par Me Paublan, conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité la condamnation du centre hospitalier à lui rembourser ses débours qu'elle demande de porter à la somme globale de 152 654,04 euros, au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion au montant en vigueur au jour du règlement effectif de ces sommes et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier Centre Bretagne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le centre hospitalier ne sont pas fondés ;
- elle justifie de ses débours.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- les observations de Me Tamburini-Bonnefoy, représentant le centre hospitalier Centre Bretagne ;
- et les observations de Me Masson d'Autume, représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été admise aux urgences du centre hospitalier Centre Bretagne de Pontivy, le 4 mai 2016 à 20h52, pour des douleurs au niveau de la fosse lombaire gauche. Le diagnostic d'une colique néphrétique a été posé et un scanner abdomino-pelvien a mis en évidence un calcul ovulaire de 12 x 6 mm. Le 6 mai 2016, il a été procédé, sous anesthésie générale, à la fragmentation de ce calcul, mais lors de son extraction, l'un de ses fragments a arraché l'uretère de la patiente. Mme D..., qui depuis cette intervention souffre de troubles sensitifs moteurs de la région inguinale et du membre inférieur gauche et de pyélonéphrites récurrentes, a saisi la Commission de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI). Une expertise a été confiée au docteur A..., urologue, qui a déposé son rapport le 10 février 2018. Il conclut à une faute du centre hospitalier de Pontivy. Sur la base de l'avis émis le 21 mars 2018 par la CCI, l'assureur du centre hospitalier a alloué à Mme D... une indemnité provisionnelle de 10 000 euros. Sur saisine de l'intéressée, la CCI a ordonné une nouvelle expertise qui a été confiée au docteur A.... Ce dernier a remis son rapport, établi le 17 février 2021, le 3 mars suivant. Il a considéré que l'état de santé de
Mme D... était consolidé au 14 novembre 2019 et a proposé une évaluation de ses préjudices. Par un nouvel avis du 23 mars 2021, la CCI a suivi cette analyse. L'assureur du centre hospitalier a adressé à Mme D... une nouvelle offre d'indemnisation, d'un montant de 32 033,25 euros sous déduction de la provision de 10 000 euros déjà versée. L'intéressée a estimé que cette indemnisation était insuffisante, et a adressé, le 21 juin 2021, une réclamation préalable au centre hospitalier Centre Bretagne. Elle a ensuite saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement à lui verser une somme globale de
391 086,09 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation. Par un jugement du 8 mars 2024, le tribunal a condamné le centre hospitalier Centre Bretagne à verser à Mme D... la somme de 376 286,44 euros, sous déduction de la provision de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation. Il a également condamné cet établissement à rembourser les débours de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère à hauteur de 75 209,96 euros et a mis à la charge du centre hospitalier le versement d'une rente annuelle de 5 823,67 euros au titre des dépenses de santé futures. Le centre hospitalier Centre Bretagne relève appel de ce jugement. Si le centre hospitalier admet le principe de sa responsabilité, il conteste sa condamnation à indemniser Mme D... au titre de ses pertes de gains professionnels, de son incidence professionnelle et de ses besoins d'assistance par tierce personne à titre permanent. Il demande également à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a mis à sa charge la rente annuelle allouée à la caisse primaire d'assurance maladie. Par la voie de l'appel incident, Mme D... demande à la cour de majorer certains postes de préjudices et la caisse primaire d'assurance maladie de porter ses débours actuels et futurs à la somme globale de 152 654,04 euros.
Sur les préjudices de Mme D... :
En ce qui concerne les pertes de gains professionnels :
2. Il résulte de l'instruction que Mme D... a obtenu son baccalauréat en 1996, qu'à compter de 2001, elle a occupé un emploi de vendeuse dont elle a démissionné le 26 janvier 2013 pour reprendre des études d'infirmière. N'ayant pas les financements nécessaires, elle a travaillé, en tant qu'agente de production au cours des mois de février et mars 2013 puis comme agente technique au sein de la commune de C... en juin 2013. En 2013, Mme D... a débuté, à l'âge de 37 ans, une formation de 3 ans pour devenir infirmière. A la date du 6 mai 2016, elle effectuait sa dernière année d'études d'infirmière et était donc encore en formation. L'intéressée, qui a été diplômée le 6 juillet 2016, a dès le 15 juillet 2016 pu exercer ses fonctions d'infirmière au sein du centre hospitalier Centre Bretagne, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, dont elle a refusé le renouvellement. Elle a ensuite travaillé au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) F... jusqu'en 2017. S'il n'est pas contesté qu'à la date de l'intervention litigieuse l'intéressée ne percevait aucun revenu, en revanche il n'existait aucun obstacle à ce qu'elle obtienne son diplôme d'infirmière, ce qui a d'ailleurs été le cas le 6 juillet 2016, et puisse dès le mois de juillet 2016 exercer ce métier. Il résulte de l'instruction qu'en cette qualité la requérante aurait pu percevoir un salaire de 1 800 euros par mois, soit pour la période, postérieure à l'obtention de son diplôme et antérieure à sa consolidation, la somme de 72 708 euros. Elle justifie par la production de ses bulletins de salaires avoir perçu une somme globale de 16 754,54 euros, à laquelle se sont ajoutés 30 617,10 euros d'indemnités journalières. Dans ces conditions, Mme D... a subi une perte de gains professionnels, avant la consolidation de son état de santé fixée au 14 novembre 2019, de 25 336,56 euros.
3. Il est constant que Mme D... perçoit depuis le 1er mars 2020 une pension d'invalidité annuelle d'un montant qui était alors de 3.953,69 euros. Par ailleurs, par une décision du 17 décembre 2020 du président du conseil départemental du Morbihan, elle a été agréée en qualité d'assistante familiale pour l'accueil d'un enfant de 0 à 21 ans. Dans ce cadre, une enfant lui a été confiée à compter du mois de juin 2021. L'intéressée a produit ses différents bulletins de salaires, dont il n'y a pas lieu, contrairement à ce qu'elle soutient, de déduire les indemnités d'entretien ou de transport qui y figurent, l'abattement prévu à l'article 80 sexies du code général des impôts, auquel elle se réfère, n'ayant pour objet que de déterminer les revenus imposables des assistants maternels assistants familiaux. Ces bulletins de paye font apparaître des revenus, qui cumulés à sa pension d'invalidité, sont supérieurs à ceux qu'elle aurait perçus si elle avait exercé son métier d'infirmière et perçu alors un salaire moyen de 1 800 euros par mois, en début de carrière. Il s'ensuit que le centre hospitalier Centre Bretagne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a mis à sa charge la somme globale de 118 467,44 euros (39 171,24 + 79 296,20 euros) au titre des pertes de gains professionnels subies par Mme D... à compter de la consolidation de son état de santé et jusqu'à son admission à la retraite à l'âge de 64 ans.
En ce qui concerne l'incidence professionnelle :
4. Dans son rapport du 14 janvier 2021, l'expert médical a indiqué que le placement de Mme D... en invalidité était imputable à la complication survenue à la suite de l'intervention du 6 mai 2016. Il est constant en effet que l'intéressée souffre de neuropathies inguinales, de cruralgies, d'un déficit moteur du membre inférieur gauche, et de poussées régulières de pyélonéphrites, et présente un déficit fonctionnel permanent de 20 %. Si, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier, l'intéressée n'a pas été déclarée inapte à l'exercice de sa profession d'infirmière, son état de santé a nécessité de nombreux arrêts de travail au cours des années 2016 et 2017 alors qu'elle tentait d'exercer ce métier. L'expert a d'ailleurs considéré que les séquelles qu'elle conserve depuis le 6 mai 2016 faisaient obstacle à ce qu'elle poursuive son activité d'infirmière " en soins " ou en Ehpad. Par suite, contrairement à ce soutient le centre hospitalier le changement d'orientation professionnelle décidé par Mme D... présente un lien direct avec la faute commise. De plus, ainsi que le fait valoir l'intéressée, en sa qualité d'assistante familiale, elle se trouve privée du lien social et de l'évolution de carrière dont elle aurait pu bénéficier si elle avait poursuivi son métier d'infirmière. Si l'incidence professionnelle résultant pour l'intéressée de cette faute, peut être évaluée à 30 000 euros, la part patrimoniale de ce préjudice correspondant à 15 000 euros doit être regardée comme ayant été réparée par la pension d'invalidité qui lui est versée par la CPAM. Par suite, la somme que le centre hospitalier a été condamné à verser à l'intéressée à ce titre doit être ramenée à 15 000 euros, correspondant à la seule part personnelle de son incidence professionnelle.
En ce qui concerne les besoins en assistance par tierce personne :
5. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
6. Dans son rapport du 10 février 2018, l'expert désigné par la CCI a indiqué que l'état de santé de Mme D... ne nécessitait : " pas de recours à des aides spécialisées. Pas d'aide familiale ". En revanche, dans le cadre de la seconde expertise médicale, ce même médecin a considéré, au vu des séquelles dont elle restait atteinte, qui limitent ses capacités pour se déplacer et contre-indiquent le port de charges lourdes, que l'intéressée pouvait prétendre à l'assistance par une tierce personne à hauteur de 3 heures par semaine jusqu'à sa consolidation puis après cette consolidation. La circonstance que cette aide soit apportée par un membre de sa famille est sans incidence. Si le centre hospitalier fait valoir que son handicap ne l'a pas empêché d'accueillir à son domicile une enfant âgée de 18 mois qui présentait un retard de développement,
Mme D... précise qu'afin de faciliter cette prise en charge, elle a immédiatement acquis un siège autopivotant, une poussette et un lit évolutif. De plus, à compter du mois de septembre 2022, cette enfant a été scolarisée à l'école maternelle et cet emploi lui permettait de se reposer lorsque l'enfant dormait. Le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à l'intéressée une somme de 8 263 euros en réparation de ce préjudice pour la période antérieure au 14 novembre 2019. Cette somme soit être confirmée en appel.
7. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier Centre Bretagne, en évaluant les besoins d'assistance par tierce personne à la somme de 11 839 euros pour la période du 14 novembre 2019 au 8 mars 2024, date de lecture du jugement attaqué, calculée sur la base de 3 heures par semaine, de 412 jours par an pour tenir compte des congés payés et des jours fériés et d'un taux horaire de 14 euros en 2019, 15 euros en 2020 et 2021, 16 euros en 2022 et 2023, et de 17 euros en 2024, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice. En revanche, l'intéressée n'est pas fondée à demander la majoration de cette somme en prenant en compte un coût horaire de 17 euros pour l'intégralité de cette période, somme qui ne correspondrait pas à la réalité économique du moment. Il convient toutefois de se placer à la date de lecture du présent arrêt et de porter la somme de 11 839 euros mise à la charge du centre hospitalier à 15 415,45 euros pour la période du 14 novembre 2019 au 16 mai 2025. Pour la période postérieure à cette dernière date, Mme D... peut prétendre à une indemnisation calculée sur la base d'un coût horaire de 18 euros, qui sera capitalisée par application du barème de capitalisation publié à la Gazette du Palais de 2025 incluant un taux d'actualisation de 0,5 %, lequel correspond le mieux aux données économiques prévalant à la date du présent arrêt, soit une somme de 142 217 euros.
En ce qui concerne les autres préjudices en litige :
8. Mme D... justifie, par les attestations qu'elle produit, notamment de la pratique de la danse depuis 2007, et de son impossibilité à poursuivre cette activité après son hospitalisation. En condamnant le centre hospitalier Centre Bretagne à lui verser la somme de 500 euros le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte appréciation de son préjudice d'agrément.
9. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
10. Il n'est pas contesté que Mme D... n'a pas été invitée à signer le formulaire de consentement éclairé sur l'intervention qu'elle devait subir le 6 mai 2016. Il n'est pas davantage établi que le chirurgien qui l'a opéré l'aurait informé des risques encourus et de la possibilité d'opter pour un choix thérapeutique moins invasif consistant d'une lithotritie extracorporelle, laquelle, selon l'expert, aurait pu être envisagée. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'en condamnant le centre hospitalier Centre Bretagne à lui verser la somme de 2 000 euros en remboursement de son préjudice d'impréparation, les premiers juges auraient insuffisamment évalué ce poste de préjudice.
11. Si Mme D... sollicite pour la première fois en appel, une indemnisation de 18 280,80 euros au titre des frais d'adaptation de son véhicule, dans son rapport du 14 janvier 2021, l'expert médical a indiqué que son état de santé ne justifiait pas un tel aménagement. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier, il ne peut être fait droit à cette demande.
12. Il résulte de ce qui précède, et en l'absence de contestation des autres préjudices indemnisés par le tribunal administratif, que la somme de 376 286,44 euros, sous déduction de la provision de 10 000 euros déjà allouée à Mme D..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2021, et de leur capitalisation à compter du 22 juin 2022 et à chaque échéance annuelle, que le centre hospitalier Centre Bretagne a été condamné à lui verser doit être ramenée à 266 124,03 euros, sous déduction de la provision de 10 000 euros qui lui a été allouée par l'assureur du centre hospitalier. Cette somme sera assortie des intérêts et de leur capitalisation dans les mêmes conditions. Le surplus des conclusions du centre hospitalier et des conclusions incidentes présentées par Mme D... doit être rejeté.
Sur les débours de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère :
13. Il résulte de la notification définitive des débours de la CPAM produite en appel, que les dépenses de santé qu'elle a engagées pour Mme D... jusqu'à la consolidation de son état de santé fixée au 14 novembre 2019, représentent une somme globale de 24 816,26 euros comprenant des frais d'hospitalisation à hauteur de 22 111,96 euros, des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport pour des sommes de 2 281,17 euros, de
357,40 euros, de 42,33 euros et de 23,40 euros. Par ailleurs, la CPAM justifie des frais médicaux qu'elle a engagés pour Mme D... à concurrence de la somme de 88,56 euros entre le 1
5 novembre 2019 et le 31 août 2021. Si la notification définitive de ses débours mentionne une somme de 1 595,95 euros à compter du 1er septembre 2021, à la date du présent arrêt cette dépense ne présente pas un caractère certain futur et ne peut être évaluée forfaitairement. Par suite, il n'y a lieu de ne mettre que les sommes de 24 816,26 euros et de 88,56 euros à la charge du centre hospitalier.
14. La CPAM évalue à 52,22 euros par an les frais médicaux qu'elle engagera à l'avenir pour Mme D..., lesquels comprennent la prescription d'un antibiotique et de deux examens cytobactériologiques de ses urines. Ces dépenses seront mises à la charge du centre hospitalier, qui s'oppose au versement d'un capital, sur présentation de justificatifs.
15. La caisse primaire d'assurance maladie justifie, en outre, avoir versé des indemnités journalières à Mme D... à concurrence de 30 617,10 euros avant sa consolidation. Elle peut en conséquence prétendre au remboursement de cette somme par le centre hospitalier. En revanche, si la caisse justifie avoir versé en outre 4 271,40 euros d'indemnités journalières à son assurée ainsi que, depuis le 1er mars 2020, une pension d'invalidité de 4 227,72 euros par an, en l'absence de perte de gains professionnels subie par Mme D... après sa consolidation, la CPAM ne peut être indemnisée par le centre hospitalier qu'à concurrence de la somme de
15 000 euros correspondant à la part patrimoniale de l'incidence professionnelle subie par la requérante.
16. Il résulte de ce qui précède, que la somme de 75 209,96 euros, que le centre hospitalier Centre Bretagne a été condamné à verser à la CPAM du Finistère doit être ramenée à 70 521,92 euros. Le remboursement des dépenses de santé futures qui seront exposées pour Mme D... sera mis à la charge du centre hospitalier Centre Bretagne, sur présentation de justificatifs par la CPAM, dans la limite d'un montant de 52,22 euros par an et se substituera à la rente annuelle de 5 823,67 euros retenue par le tribunal administratif. Le surplus des conclusions du centre hospitalier et des conclusions incidentes de la CPAM doit être rejeté.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
17. La CPAM du Finistère a déjà bénéficié en première instance d'une indemnité forfaitaire de gestion au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Compte tenu de ce qui a été dit au point 16, elle ne justifie pas de débours supplémentaires par rapport à ceux indemnisés par le tribunal. Il n'y a, dès lors, pas lieu de faire droit à ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 376-1.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier Centre Bretagne, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel, le versement à Mme D... et à la CPAM du Finistère de la somme qu'elles demandent chacune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le centre hospitalier Centre Bretagne doit verser à Mme D... est ramenée à 266 124,03 euros sous déduction de la somme de 10 000 euros qui lui a déjà été versée.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier Centre Bretagne doit verser à la CPAM du Finistère est ramenée à 70 521,92 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier Centre Bretagne doit rembourser en outre à la CPAM du Finistère les dépenses de santé futures exposées pour Mme D..., sur justificatifs, et dans la limite de 52,22 euros par an.
Article 4 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier Centre Bretagne et des conclusions incidentes présentées par Mme D... et la CPAM du Finistère est rejeté.
Article 5 : Le jugement n° 2103523 du 8 mars 2024 du tribunal administratif de Rennes est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Centre Bretagne, à Mme B... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2025.
La rapporteure,
V. GELARDLa présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00812