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16/05/2025 | FRANCE | N°23NT00941

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 16 mai 2025, 23NT00941


Vu la procédure suivante :



Par un arrêt n°23NT00941 du 12 juillet 2024, la cour, avant de statuer sur les conclusions de Mme E... B... tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire (CHRU) de Nantes à lui verser la somme totale 103 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté des accidents professionnels qu'elle a subis les 17 décembre 2007, 2 septembre 2013 et 21 janvier 2016, a rejeté les conclusions de la requérante tendant à l'indemnisation des conséquences du premier de ces accidents, et, s'agissant des deux autres, a ordonné avant

dire droit une expertise médicale lui permettant d'évaluer l'ensemble des...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n°23NT00941 du 12 juillet 2024, la cour, avant de statuer sur les conclusions de Mme E... B... tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire (CHRU) de Nantes à lui verser la somme totale 103 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté des accidents professionnels qu'elle a subis les 17 décembre 2007, 2 septembre 2013 et 21 janvier 2016, a rejeté les conclusions de la requérante tendant à l'indemnisation des conséquences du premier de ces accidents, et, s'agissant des deux autres, a ordonné avant dire droit une expertise médicale lui permettant d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par l'intéressée, notamment les déficits fonctionnels temporaires et permanents dont elle a été et reste atteinte, et de déterminer la part de ces préjudices imputable aux accidents de service ou à l'exercice de sa profession d'aide-soignante par l'intéressée et la part ayant éventuellement pour origine toute autre cause ou pathologie ou qui relèverait d'un état antérieur.

Le rapport d'expertise du docteur D..., chirurgien orthopédiste, a été enregistré au greffe de la cour le 23 décembre 2024.

Par un mémoire enregistré le 13 février 2025, le CHRU de Nantes, représenté par la SELARL Houdart et associés, conclut à ce que la demande indemnitaire de Mme B... soit ramenée à de plus justes proportions sans pouvoir excéder la somme de 44 191,70 euros.

Il fait valoir que :

- l'existence d'un préjudice d'agrément consistant dans la nécessité d'abandonner la pratique régulière de la voile n'est pas établie ;

- les prétentions indemnitaires de Mme B... pour les préjudices causés par les accidents de service des 2 septembre 2013 et 21 janvier 2016 et par la rechute du 2 janvier 2018 doivent être ramenées à de plus justes proportions, soit au maximum 33 750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 1 941,70 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 6 000 euros au titre des souffrances endurées, 1 000 euros au titre du préjudice sexuel et

1 500 euros au titre du préjudice d'agrément.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2025, Mme E... B..., représentée par

Me Diversay, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.

Elle soutient en outre que :

- c'est à tort que l'expert a retenu un état antérieur de 25% devant pondérer les différents postes de préjudice en raison notamment d'une obésité sévère qui n'est pas avérée, ainsi qu'en atteste son médecin traitant et comme le démontrent les photographies produites ;

- l'existence d'un préjudice d'agrément consistant dans la nécessité d'abandonner la pratique régulière de la voile ainsi que d'autres activités sportives est établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2001-99 du 31 janvier 2001.

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- les conclusions de M. Catroux,

- et les observations de Me Diversay, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née en 1960, employée en qualité d'aide-soignante par le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nantes depuis l'année 2000, a été victime le 17 décembre 2007 d'une chute en sortant du tramway pour se rendre à l'hôpital, qui lui a causé à l'épaule gauche un traumatisme à l'origine de la décompensation d'une tendinopathie calcifiante avec rupture partielle de la coiffe des rotateurs. Son état de santé consécutif à cet accident a été considéré comme consolidé le 1er septembre 2009, l'intéressée restant atteinte d'un taux d'invalidité permanente partielle estimé à 17 % à cette date, révisé à 12 % par la commission de réforme le

23 novembre 2017. Cette aide-soignante a été victime le 2 septembre 2013 d'un deuxième accident également reconnu imputable au service : la manipulation d'un patient lui a causé une vive douleur avec craquement à l'épaule droite, également affectée d'une tendinopathie chronique, et son état de santé, à la suite de cet accident, a été considéré comme consolidé à la date du 23 février 2015 avec un taux d'invalidité permanente partielle fixé à 20 %. Enfin, le

21 janvier 2016, elle a subi un troisième accident, une chute sur le bassin du côté droit, entraînant une tendinite du moyen fessier, reconnue imputable au service, et considérée comme consolidée au 29 novembre 2016 avant que l'intéressée ne fasse, le 2 janvier 2018, une rechute attribuée à ce même accident. Par un courrier du 17 décembre 2018, notifié le 24 décembre 2018, la requérante, à qui a été accordé le versement d'une allocation temporaire d'invalidité à raison des conséquences de chacun de ces trois accidents, a saisi le CHRU de Nantes d'une réclamation tendant à l'indemnisation de ses préjudices non couverts par ces allocations. Par une décision du 18 janvier 2019, le centre hospitalier a accepté le principe d'une indemnisation, mais non l'évaluation par Mme B... de ses préjudices. Mme B..., qui a obtenu du tribunal administratif de Nantes, dans un jugement du 1er février 2023, la condamnation du CHRU de Nantes à lui verser une somme de 29 000 euros, a relevé appel de ce jugement qui n'avait fait droit que très partiellement à sa demande. Par un arrêt n°23NT00941 du 12 juillet 2024, la cour a annulé le jugement du tribunal en tant qu'il avait omis de statuer sur les conclusions indemnitaires de Mme B... fondées sur l'accident survenu le 21 janvier 2016. Elle a rejeté les conclusions de Mme B... tendant à l'indemnisation des conséquences de l'accident de service du 17 décembre 2007, la créance correspondante étant entièrement atteinte par la prescription quadriennale. S'estimant pour le surplus insuffisamment informée sur les niveaux de déficit fonctionnel et de souffrances endurées strictement imputables aux deux accidents de service des 2 septembre 2013 et 21 janvier 2016 ainsi qu'à la rechute du second et sur les éventuelles conséquences propres de l'état antérieur de Mme B... indépendamment de ces accidents de service ou d'une maladie professionnelle, la cour a ordonné avant dire droit une expertise médicale lui permettant d'être complètement éclairée sur ces différents points. Le rapport du docteur D..., chirurgien orthopédiste, a été déposé le 23 décembre 2024 et l'affaire est en état d'être jugée.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la prise en compte d'un état antérieur :

2. Si le CHRU de Nantes a reconnu l'imputabilité au service de la maladie professionnelle et des arrêts de travail de Mme B... consécutifs à la manipulation douloureuse d'un patient par cette aide-soignante le 2 septembre 2013, cet établissement public faisait valoir, pour contester les taux d'incapacité et les niveaux de souffrance endurée invoqués par la requérante qu'elles sont, à proportion de la moitié, l'expression d'un état antérieur ou d'une pathologie préexistante du fait que les accidents sont survenus, ainsi que le docteur A..., auquel

Mme B... a fait appel, l'a constaté lui-même, " sur une tendinopathie calcifiante et acromion agressif préexistants ". Cet état antérieur est corroboré par l'expert nommé par la cour, qui constate dans son rapport que Mme B... " présente plusieurs pathologies justifiant un état antérieur : - Tendinopathie calcifiante tendineuse multisite (deux épaules), - Morphologie agressive de l'acromion de l'épaule droite " enthésophyte acromial ", - Obésité sévère ", notant plus précisément " une obésité sévère avec un IMC ) 37 en 2013 et 2016 " et insistant sur le fait que celle-ci est un des " facteurs de risque favorisant les tendinopathies et les surcharges des articulations " et constitue une " comorbidité reconnue dans les troubles musculo squelettiques (TMS)". Il y a lieu de tenir compte de ces antécédents comme contributifs à hauteur de 25 % des préjudices de Mme B..., ainsi que le propose l'expert. Si l'appelante conteste l'analyse selon laquelle elle aurait été en surpoids aux dates auxquelles ont eu lieu les accidents de service, les photos et le certificat médical qu'elle produit ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation portée sur sa situation par l'expert alors que celui-ci a eu accès à des documents médicaux la concernant, datés de 2013 et 2016.

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... :

S'agissant des déficits fonctionnels temporaires :

3. En premier lieu, à la suite de l'accident de service subi par Mme B... le 2 septembre 2013 lors de la manipulation d'un patient, qui lui a causé un traumatisme à l'épaule droite, cette aide-soignante a été traitée pendant plusieurs mois par l'administration d'antalgiques,

d'anti-inflammatoires, et par des infiltrations, puis, ces techniques s'avérant insuffisantes, par la réalisation, le 22 avril 2014, d'une opération de l'épaule, suivie de nombreuses séances de rééducation, dont le résultat a été satisfaisant, la consolidation étant acquise à la date du 23 février 2015 avec des séquelles correspondant à une incapacité permanente évaluée à 20 %. Avant cette date, du 2 septembre 2013 au 21 avril 2014, la patiente a successivement subi pendant 232 jours une gêne fonctionnelle de classe 2 (25 %), puis, après l'intervention du 22 avril 2015, une gêne fonctionnelle de classe 3 (50%) pendant 23 jours, du 23 avril 2014 au 15 mai 2014, et, enfin, une gêne de classe 2 (25 %) du 16 mai 2014 au 22 février 2015 soit pendant 282 jours. Il sera fait une juste appréciation de ces périodes d'incapacité temporaire partielle en accordant à Mme B..., après prise en compte d'un état antérieur responsable à hauteur de 25 % de ces préjudices, la somme de 2 100 euros.

4. En second lieu, en conséquence de l'accident de service du 2 janvier 2016 à l'origine d'une tendinite du moyen fessier, Mme B... a subi une gêne fonctionnelle de classe 1 (10%) pendant 314 jours entre le 21 janvier 2016 et le 29 novembre 2016. Postérieurement à cette date, à laquelle elle a été considérée comme consolidée avec séquelles, et jusqu'à la date de sa rechute, le 2 janvier 2018, il y a lieu de considérer qu'elle est restée atteinte d'une incapacité temporaire partielle de 3 %, pourcentage retenu dans les conclusions du rapport d'expertise réalisé le 18 mai 2017 à la demande du CHRU de Nantes par le docteur C..., rhumatologue, qui note comme séquelles " des douleurs fessières droites avec quelques irradiations au membre inférieur droit ". A la suite de sa rechute, survenue le 2 janvier 2018, Mme B... a à nouveau souffert d'une gêne fonctionnelle de 10 % (classe 1), jusqu'au 29 novembre 2018, date de sa consolidation, soit pendant 332 jours. Il sera fait une juste appréciation de ces périodes d'incapacité temporaire partielle successives en accordant à Mme B..., après prise en compte de son état antérieur, la somme de 1 100 euros.

S'agissant des déficits fonctionnels permanents :

5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la cour que Mme B... reste atteinte, à la suite des accidents de service des 2 septembre 2013 et du

21 janvier 2016, puis après la rechute du second accident, survenue en 2018, d'une part, d'une raideur douloureuse de son épaule droite, côté dominant, dans tous les secteurs de mobilité et spécifiquement pour l'élévation et l'antépulsion, qui ne dépassent pas 85 %. Cette limitation douloureuse entraîne un défaut de port de charge, une perturbation pour la réalisation des actes quotidiens (toilette, habillage et déshabillage, préparation des repas et entretien du domicile, ...), ainsi que pour la pratique des loisirs. Les douleurs perturbent le sommeil et nécessitent la prise régulière d'antalgiques. Mme B... présente, d'autre part, des douleurs de type inflammatoire latérales de la cuisse et de la fesse droite, limitant les déplacements, la conduite automobile sur les longues distances et la pratique de certains loisirs et également perturbatrices du sommeil. Ces séquelles ont également pour Mme B... un retentissement psychologique anxiodépressif qualifié par l'expert de modéré. Il sera fait une juste appréciation des deux déficits fonctionnels permanents que cumule la patiente, évalués par l'expert à 20 % pour le handicap de l'épaule droite et à 10 % pour les douleurs de la cuisse et de la fesse droite, en accordant à Mme B... les sommes de 23 400 et 11 700 euros après prise en compte de son état antérieur.

S'agissant des souffrances endurées :

6. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées de Mme B... consécutives aux accidents de service, cotées par l'expert à 3 et 2 sur une échelle de 1 à 7 en condamnant l'hôpital à verser à Mme B... la somme totale de 4 500 euros déterminée après prise en compte de son état antérieur.

S'agissant du préjudice sexuel :

7. L'expert, qui a enregistré les doléances de Mme B..., évoque dans son rapport que l'intéressée " allègue des troubles de la libido et des douleurs positionnelles ". Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice pour Mme B..., mariée et âgée de 54 ans et 58 ans aux dates auxquelles elle a été reconnue consolidée des conséquences de ses accidents de service, en allouant à l'intéressée la somme de 1 000 euros calculée après prise en compte de son état antérieur.

S'agissant du préjudice d'agrément :

8. Si Mme B... a déclaré ne plus pouvoir pratiquer des activités sportives (course à pied, ski, vélo), elle ne démontre pas qu'elle exerçait ces activités avec une intensité particulière justifiant l'indemnisation spécifique d'un préjudice d'agrément. En revanche, elle évoque de manière plus précise et étayée une pratique régulière du nautisme et expose " ne plus pouvoir pratiquer la voile et aider son époux à la manœuvre d'un voilier " dont ils étaient propriétaires, son état de santé rendant plus difficiles ses déplacements dans les espaces réduits du cockpit ou du carré du bateau et lui interdisant de prêter la main aux manœuvres. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressée une somme de 1 500 euros après prise en compte de son état antérieur.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B..., dont les préjudices s'établissent à un montant total de 50 250 euros, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a limité son indemnisation à la somme de 29 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

10. En premier lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les frais et honoraires de l'expert, liquidés et taxés à la somme de 1 560 euros par une ordonnance du président de la cour du 31 décembre 2024 doivent être mis à la charge définitive du CHRU de Nantes.

11. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Nantes au bénéfice de Mme B... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'indemnité d'un montant de 29 000 euros que le CHRU de Nantes a été condamné à verser à Mme B... est portée à la somme de 50 250 euros.

Article 2 : Le jugement n°1903079 du 1er février 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expert, liquidés et taxés à la somme de 1 560 euros par une ordonnance du président de la cour du 31 décembre 2024 sont mis à la charge définitive du CHRU de Nantes.

Article 4 : Le CHRU de Nantes versera à Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme E... B... et au centre hospitalier régional universitaire de Nantes.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23NT00941


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00941
Date de la décision : 16/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SARL ANTIGONE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-16;23nt00941 ?
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