La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2025 | FRANCE | N°24NT02703

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 06 mai 2025, 24NT02703


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D..., agissant en qualité de représentante légale du jeune A... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française en Éthiopie refusant de délivrer à l'enfant A... B... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2309587 du 3 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D..., agissant en qualité de représentante légale du jeune A... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française en Éthiopie refusant de délivrer à l'enfant A... B... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2309587 du 3 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 septembre et 26 novembre 2024, Mme D..., agissant en qualité de représentante légale du jeune A... B..., représentée par Me Blin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 juin 2024 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 4 mai 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans un délai d'un mois et les mêmes conditions d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de la commission a été rendue dans une composition irrégulière ;

- la décision est intervenue en méconnaissance de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation ; le jeune A... est son fils ainsi qu'il ressort d'un document d'état-civil produit et d'éléments de possession d'état ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Benveniste, substituant Me Blin, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante érythréenne née en 1988, s'est vue reconnaitre la qualité de réfugiée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 novembre 2019. Elle a alors sollicité, au titre de la réunification familiale, un visa de long séjour pour le jeune A... B..., qu'elle présente comme son fils. Par une décision explicite du 4 mai 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours administratif préalable obligatoire qu'elle a formé contre la décision consulaire refusant ce visa. Par un jugement du 3 juin 2024, dont Mme C... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. Il résulte de la décision contestée du 4 mai 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France que pour refuser le visa sollicité pour le jeune A... B..., que Mme C... présente comme son fils né le 2 juillet 2009 au Soudan, la commission s'est fondée sur le fait qu'aucun élément n'établit le lien de filiation allégué.

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier, dont un certificat de naissance établi par la direction des affaires civiles du ministère de l'intérieur soudanais, que Mme C... produit pour la première fois en appel, que le jeune A... B... est né le 2 juillet 2009 de la relation entre Mme C... et un ressortissant érythréen installé au Soudan, M. B... E.... Mme C... produit par ailleurs une facture des frais de traduction de cet acte d'état-civil qui ont été exposés au Soudan. La seule circonstance que le traducteur de cet acte n'est pas un interprète assermenté n'est pas de nature à priver cet acte d'état-civil de sa force probante. Au surplus, Mme C... a été constante dans ses déclarations, notamment lors de sa demande d'asile, concernant l'existence de cet enfant et cet acte d'état-civil est cohérent avec les autres éléments présentés par Mme C... au titre de la possession d'état. Enfin, il est établi par les pièces du dossier que le père du jeune A... B... a disparu au Soudan alors que Mme C... était enceinte. Par suite, le motif opposé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France à la demande de visa présentée pour cet enfant méconnait les dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu d'annuler la décision du 4 mai 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré au jeune A... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

9. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Blin dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2309587 du 3 juin 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 4 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour le jeune A... B... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune A... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Blin une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02703


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02703
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : BLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-06;24nt02703 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award