Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... E..., agissant en son nom et au nom des enfants F... A... B..., C... B... et D... B..., M. F... I... B... et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 8 août 2022 de l'autorité consulaire française au Pakistan refusant de délivrer à Mme G... B..., à M. F... I... B... et aux enfants F... A... B..., C... B... et D... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2300091 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 avril 2024, M. H... E..., agissant en son nom et au nom des enfants F... A... B..., C... B... et D... B..., M. F... I... B... et Mme G... B..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 novembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 11 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant de la réponse au moyen tiré de l'absence de fraude ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de fait ;
- les identités et les liens familiaux sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la demande de visas qui concerne seulement les enfants mineurs du couple n'est pas frauduleuse ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête enregistrée dans la présente instance a été communiquée au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, représentant les requérants.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1968, s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire le 31 juillet 2018. Mme G... B..., M. F... I... B... et les enfants F... A... B..., C... B... et D... B..., nés respectivement les 26 juin 1967, 21 avril 2003, 8 février 2005, 1er août 2005 et 11 août 2006, qu'il présente comme son épouse et ses enfants, ont déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française au Pakistan, qui a rejeté cette demande par une décision du 8 août 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 11 janvier 2023. M. E..., Mme G... B... et M. F... I... B... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement du 10 novembre 2023 de ce tribunal rejetant leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises au Pakistan, sur les circonstances d'une part que l'identité des demandeurs de visas et le lien familial avec le réunifiant ne sont pas établis et, d'autre part, que l'incohérence des déclarations de M. E... relatives au nombre de ses enfants conduit à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir les visas sollicités.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. En premier lieu, pour justifier de l'identité de M. F... I... B... et des enfants F... A... B... et D... B... ainsi que de leurs liens familiaux, ont été produit, pour chacun d'entre eux, une taskera, un certificat de naissance et un passeport. Pour justifier de l'identité de Mme G... B... a été produit une taskera et un passeport et, s'agissant de la jeune C... B..., a été produit une taskera et un acte de naissance. Ces actes d'état civil, qui ne sont pas critiqués par le ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense, présentent des informations suffisantes et concordantes pour établir leur identité et leur lien familial avec M. E.... Par ailleurs, la circonstance que les taskeras des demandeurs de visas aient été établies postérieurement à la demande d'asile de M. E... n'est pas par elle-même de nature à établir le caractère irrégulier, falsifié ou inexact des actes produits. Il en va de même de la circonstance que les certificats de naissance aient été délivrés postérieurement aux taskeras des demandeurs de visas. En outre, s'il ressort des pièces du dossier que le mariage de Mme G... B... avec M. E... n'a pas été enregistré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en raison de l'âge des époux en 1984, date de la célébration, qui est contraire à l'ordre public français, toutefois ceux-ci ont été enregistrés en tant que concubins. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visas et partant leurs liens familiaux avec M. E... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. En second lieu, M. E... a déclaré lors de l'entretien avec l'OFPRA, le 23 février 2018, être père de dix enfants mais n'a déclaré que quatre d'entre eux sur le formulaire de demande d'asile qu'il a complété ainsi que sur sa fiche familiale de référence, et n'a sollicité le bénéfice de la réunification familiale que pour ces quatre enfants. Toutefois, M. E... fait valoir n'avoir déclaré que ses quatre enfants à charge, éligibles au bénéfice de la réunification familiale, ses six autres enfants nés entre 1984 et 1996, étant majeurs ; il produit pour le justifier les taskeras et les cartes d'identité, produites pour la première fois en appel, qui corroborent ses affirmations. Ainsi, alors comme il a été dit au point précédent que l'identité et le lien familial des demandeurs de visas sont établis, la seule circonstance que M. E... a initialement déclaré être père de dix enfants n'est pas de nature à établir que les demandes de visas seraient entachées de fraude. Dans ces conditions, en estimant que l'incohérence des déclarations de M. E... relatives au nombre de ses enfants conduit à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir les visas sollicités, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme G... B..., à M. F... I... B... et aux enfants F... A... B..., C... B... et D... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer de tels visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300091 du 10 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 11 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visas d'entrée et de long séjour en France présentées pour Mme G... B..., M. F... I... B... et les enfants F... A... B..., C... B... et D... B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme G... B..., à M. F... I... B... et aux enfants F... A... B..., C... B... et D... B... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E..., à Mme G... B..., à M. F... I... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01103