Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F..., agissant en son nom et en tant que représentant légal des enfants D... B... F..., G... A... F..., E... F... et C... H... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 avril 2022 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer aux enfants D... B... et G... A... F... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2215387 du 17 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 février 2024, M. D... F..., agissant en son nom et en tant que représentant légal des enfants G... A... F..., E... F... et C... H... F..., ainsi que M. D... B... F..., représentés par Me Regent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 15 septembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée méconnait les dispositions des articles L. 561-2 à L. 561-5 et L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que M. D... B... F..., et le jeune G... A... F... sont membres de la famille d'une réfugiée ;
- la décision de l'autorité consulaire est entachée d'incompétence dès lors que le consul s'est cru lié par les dispositions des articles L. 561-2 à L. 561-5 et L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tout comme la commission de recours ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie ;
- le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visas et leur lien de filiation n'est pas établi, substitué au motif initial de la décision contestée, est de nature à la fonder légalement.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- les observations de Me Regent, représentant MM. F....
Considérant ce qui suit :
1. La jeune C... H... F..., ressortissante guinéenne née le 1er novembre 2019, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office française de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 20 octobre 2020. Les jeunes D... B... et G... A... F..., nés les 5 mai 2005 et 16 avril 2010, qu'elle présente comme ses frères, ont déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone, qui a rejeté cette demande par une décision du 6 avril 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 15 septembre 2022. M. F..., père des intéressés, a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Il relève appel, ainsi que M. D... B... F... devenu majeur, du jugement du 17 octobre 2023 de ce tribunal rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierre Leone, sur la circonstance qu'en tant que frères d'une réfugiée mineure, les demandeurs de visas n'entrent pas dans le cadre du droit à réunification familiale prévu par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective (...) ".
4. Ces dispositions, issues de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, qui ont en outre le droit à une carte de résident en application de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou en sont dispensés parce qu'ils sont mineurs, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial, en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.
5. M. D... B... F... et le jeune G... A... F... sont les frères de la jeune C... H... F..., qui a obtenu le statut de réfugiée et dont le père réside déjà en France. Leur lien familial avec celle-ci ne correspond donc pas à l'un des cas leur permettant de demander un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale en qualité de membre de famille de réfugié. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent se prévaloir, ni des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, qui ne trouvent pas à s'appliquer aux frères et sœurs de la personne admise au statut de réfugié. Par suite, la commission de recours n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en retenant que le lien familial de la réfugiée avec les jeunes D... B... et G... A..., pour lesquels les visas sont demandés, ne leur permet pas d'en obtenir la délivrance.
6. En deuxième lieu, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, qui a rejeté le recours présenté par M. F... contre la décision consulaire du 6 avril 2022 portant refus de visa, s'est substituée à cette décision consulaire. Par suite, le moyen tiré de ce que le consul se serait cru lié par les dispositions citées au point 3, doit être écarté comme inopérant. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de la motivation de sa décision, que la commission de recours se serait estimée en situation de compétence liée pour rejeter les demandes de visa litigieuses.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Comme il a été dit au point 5, les jeunes D... B... et G... A... F..., nés en 2005 et 2010, ont sollicité la délivrance d'un visa pour rejoindre en France leur sœur, la jeune C... H... F..., qui a obtenu le statut de réfugiée. M. F..., père des enfants, fait valoir que la décision contestée conduit à la séparation de la famille et qu'il est de l'intérêt supérieur de ces derniers de les rejoindre en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. F... a quitté la Guinée en 2017 en confiant les demandeurs de visas, qui ont toujours vécu en Guinée, à l'oncle de ces derniers, et il ne ressort pas des pièces du dossier que cette prise en charge ne pourrait se poursuivre. A cet égard, si les requérants indiquent que les intéressés ont fait l'objet de maltraitances en Guinée, toutefois, il résulte des déclarations même des requérants que ces violences ont cessé depuis que l'oncle des demandeurs de visas qui avait dû quitter la Guinée, a repris en charge les jeunes D... B... et G... A... F.... En outre, alors que M. F... a quitté son pays d'origine en 2017, les quelques preuves de versement d'argent ainsi que d'échanges électroniques entre M. F... et ses enfants, sont insuffisantes pour établir les liens matériels et affectifs entretenus à la date de la décision contestée. Par ailleurs, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que M. F... disposerait de ressources suffisantes et stables permettant d'accueillir, outre les deux enfants avec lesquels il réside déjà en France, les jeunes D... B... et G... A... F.... Enfin, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que M. F..., qui n'a pas été admis au statut de réfugié, serait empêché de rendre visite à ses deux enfants en Guinée ou dans un pays tiers avec sa fille C... H... F.... Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la substitution de motifs demandée par le ministre, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par MM. F... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de MM. F... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de MM. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F..., à M. D... B... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00627