Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 6 décembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 septembre 2022 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à M. D... un visa d'entrée et de court séjour en vue de son mariage avec Mme B....
Par un jugement n° 2300749 du 27 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2024, Mme B... et M. D..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite née le 6 décembre 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de refus de visa contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à la réalité de l'intention matrimoniale du couple, le caractère suffisant des ressources de M. D... pour financer son séjour en France et le risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires ;
- cette décision méconnaît les stipulations des articles 8 et 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.
Par une ordonnance du 10 janvier 2025, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat.
Un mémoire présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, a été enregistré le 6 mars 2025, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 27 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... et de M. D... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 6 décembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 septembre 2022 de l'autorité consulaire française à Oran refusant de délivrer à M. D... un visa d'entrée et de court séjour en vue de son mariage avec Mme B.... M. D... et Mme B... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " L'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au recours formé par Mme B... et M. D... : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ".
4. Enfin, aux termes de l'article 32 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 : " (...) 2. La décision de refus et ses motivations sont communiquées au demandeur au moyen du formulaire type figurant à l'annexe VI. (...) ".
5. Les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions précitées du 8° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
6. Lorsque, dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, le demandeur a été averti au préalable de ce que la décision implicite par laquelle la commission de recours rejetterait, le cas échéant, sa demande s'approprierait les motifs de la décision de l'autorité consulaire, l'intéressé peut utilement faire valoir devant le juge que cette décision consulaire est insuffisamment motivée, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement.
7. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire formé par Mme B... et M. D... à l'encontre de la décision de l'autorité consulaire du 13 septembre 2022, adressé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 11 octobre 2022, que, pour rejeter la demande de visa de court séjour présentée par M. D... par une décision qui s'est substituée à celle de l'autorité consulaire, la commission de recours s'est appropriée le motif de refus opposé par l'autorité consulaire dans sa décision, tiré de ce que " un ou plusieurs Etats membres estiment que vous représentez une menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ".
8. Ainsi que le soutiennent Mme B... et M. D..., cette motivation ne comporte aucune indication quant aux dispositions sur lesquelles l'autorité administrative a entendu fonder sa décision et pas davantage de précision quant au type de menaces pris en compte par l'administration ni quant à l'Etat ou aux Etats à l'origine du signalement ayant conduit l'administration à regarder l'entrée sur le territoire français de M. D... comme constitutive d'une menace potentielle pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un ou plusieurs Etats membres. La décision implicite contestée de la commission, qui s'est appropriée les motifs de la décision des autorités consulaires, est dès lors insuffisamment motivée en droit et en fait et méconnaît les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni la demande de substitution de motif présentée par le ministre devant le tribunal administratif de Nantes, qui ne saurait, en tout état de cause, remédier au vice de forme résultant de l'insuffisance de motivation de la décision contestée, que Mme B... et M. D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt implique seulement, eu égard au motif qui le fonde, que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur réexamine la demande de M. D.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de court séjour présentée par M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Floch de la somme de 1 500 euros, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 27 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite née le 6 décembre 2022 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa d'entrée et de court séjour présentée par M. D..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Le Floch une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à M. C... D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Montes-Derouet, présidente,
- M. Mas, premier conseiller,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
I. MONTES-DEROUET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00214