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25/04/2025 | FRANCE | N°24NT01797

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 25 avril 2025, 24NT01797


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de la décision n° 1705/2022 du 21 décembre 2022 par laquelle le préfet de la région Normandie a prononcé à son encontre des sanctions administratives en matière de pêche maritime.



Par un jugement n° 2300448 du 16 avril 2024, le tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire,

enregistrés les 14 juin 2024 et 12 mars 2025, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de la décision n° 1705/2022 du 21 décembre 2022 par laquelle le préfet de la région Normandie a prononcé à son encontre des sanctions administratives en matière de pêche maritime.

Par un jugement n° 2300448 du 16 avril 2024, le tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 juin 2024 et 12 mars 2025, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 avril 2024 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif de Caen.

Il soutient que :

- la décision du préfet de la région Normandie du 21 décembre 2022 est suffisamment motivée en ce qui concerne l'amende administrative appliquée à M. B... ainsi qu'en ce qui concerne les points de pénalité qui lui ont été attribués ;

- il est jugé par le Conseil d'Etat, en matière de sanctions administratives, qu'une décision de sanction est suffisamment motivée lorsqu'elle vise les textes qui définissent le manquement sanctionné et déterminent le mode de calcul de la sanction et qu'elle indique par ailleurs que la sanction est infligée en raison de la méconnaissance de ces textes ;

- le requérant était en mesure, à la lecture de la décision litigieuse, de comprendre la sanction qui lui était infligée et ses bases de calcul ;

- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 janvier 2025, M. A... B..., représenté par Me Croix et Me Hebert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la décision n° 1705/2022 du 21 décembre 2022 est insuffisamment motivée, en raison, d'une part, d'un renvoi trop général aux règlements (CE) n° 1005/2008, n° 1224/2009, et n° 404/2011, et au livre IX du code rural et de la pêche maritime, constituant une insuffisante motivation en droit, et, d'autre part, d'une indication insuffisante des considérations de fait et des éléments de calcul sur lesquels s'est fondée l'autorité administrative pour décider du principe et du quantum des sanctions infligées ; les moyens soulevés par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ne sont pas fondés ;

- les autres moyens qu'il a invoqués en première instance sont maintenus et doivent être accueillis ;

- il entend faire valoir en outre, d'une part, que la décision attaquée méconnaît les dispositions des article R. 946-5 et R. 946-12 du code rural de la pêche maritime, en l'absence de démonstration que les infractions qu'il aurait commises l'auraient été dans les circonstances prévues par ces articles, et, d'autre part, qu'en ne lui notifiant pas qu'il pouvait se taire dans le cadre de la procédure de sanction administrative, le préfet a méconnu les droits de la défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 28 juillet 2017 fixant les règles d'emport et d'utilisation des équipements d'enregistrement et de communication électronique des données relatives aux activités de pêche professionnelle au format ERS en version 3, à bord des navires sous pavillon français, ainsi que des navires sous pavillon étranger qui se trouvent dans les eaux sous juridiction française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 avril 2022, les agents de l'unité littorale des affaires maritimes (ULAM) de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Calvados ont procédé à un contrôle croisé des données sur la période du 29 avril au 2 mai 2022 en ce qui concerne le navire de pêche " Iz My " immatriculé CN 189 275, dont M. A... B... est capitaine et armateur, et qui avait été repéré en action de pêche dans une zone où cette activité est interdite. A l'issue de ce contrôle, il a été relevé par procès-verbal du 9 juin 2022 que le navire avait navigué et pêché dans une zone où la pêche était interdite et qu'il se trouvait, lors des marées du 29 avril au 2 mai, sur la même zone alors qu'il ne déclarait pas être en mer sur son journal de pêches. Par une décision du 21 décembre 2022 prise en application de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, le préfet de la région Normandie a infligé à M. B..., pour les infractions de " pêche maritime dans une zone interdite " et d' " exercice d'activité de pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche ", une amende de 3 000 euros, neuf points (6+3) de pénalité en sa qualité de capitaine du navire de pêche et neuf points (6+3) de pénalité en sa qualité d'armateur du même navire, et a ordonné la publication de cette décision pendant trente jours auprès des représentants de la profession. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement du 17 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé pour insuffisance de motivation la décision prononçant ces sanctions.

Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime : " Indépendamment des sanctions pénales qui peuvent être prononcées et sous réserve de l'article L. 946-2, les manquements à la réglementation prévue par les dispositions du présent livre, les règlements de l'Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche et les textes pris pour leur application, y compris les manquements aux obligations déclaratives et de surveillance par satellite qu'ils prévoient, et par les engagements internationaux de la France peuvent donner lieu à l'application par l'autorité administrative d'une ou plusieurs des sanctions suivantes : / 1° Une amende administrative égale au plus : / a) A cinq fois la valeur des produits capturés, débarqués, transférés, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation, (...) ; / b) A un montant de 1 500 € lorsque les dispositions du a ne peuvent être appliquées / Lorsque la quantité des produits capturés, débarqués, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation est supérieure au quintal, l'amende est multipliée par le nombre de quintaux de produits en cause. / En cas de manquement aux règles relatives aux systèmes de surveillance par satellite d'une durée supérieure à une heure, l'amende est multipliée par le nombre d'heures passées en manquement à ces règles. / En cas de manquements aux autres règles relatives aux obligations déclaratives, l'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de manquement à ces règles. / Les montants d'amende mentionnés aux a et b peuvent être portés au double en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans. (...) / 3° L'attribution au titulaire de licence de pêche ou au capitaine du navire de points dans les conditions prévues à l'article 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 du 20 novembre 2009 et l'inscription au registre national des infractions à la pêche maritime ; (...) / L'autorité administrative compétente peut, en outre, ordonner la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci. ". L'article R. 946-4 du même code dispose que : " La présente section définit les " infractions graves ", au sens de l'article 42 du règlement (CE) n° 1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ainsi que du paragraphe 1 de l'article 90 du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime communautaire de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche. / Ces infractions donnent lieu à l'attribution de points de pénalité au titulaire d'une licence de pêche et au capitaine d'un navire de pêche en vertu de l'article 92 du règlement (CE) n° 1224/2009 précité et des dispositions prises pour son application. / Le nombre de points de pénalité est fonction des catégories d'infractions mentionnées à l'annexe XXX du règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime communautaire de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. Pour annuler la décision litigieuse, les premiers juges ont retenu que celle-ci était insuffisamment motivée, M. B... n'étant pas à même, à sa seule lecture, de comprendre le montant de l'amende et les modalités d'attribution des points de sanction qui lui étaient infligés.

5. Il ressort toutefois de la décision 21 décembre 2022 qu'elle sanctionne deux infractions distinctes relevées à l'encontre de M. B..., consistant, pour celle citée en premier, en une action de " pêche maritime dans une zone interdite ", et, pour celle citée en second, en l'" exercice d'activité de pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche ", l'une et l'autre passibles, d'une part, d'une sanction financière d'un montant maximal fixé à 1 500 euros ou calculée en fonction de la valeur, si elle a pu être mesurée, des produits de pêche irrégulièrement prélevés, et, d'autre part, de l'attribution de points de pénalité au capitaine et à l'armateur de navire. Selon les termes mêmes de son dispositif, après le rappel de ces deux infractions dans l'ordre indiqué ci-dessus, elle décide que l'intéressé est sanctionné par " le paiement d'une amende administrative de 3 000 euros ", " l'attribution de 9 points de pénalité (6+3) en sa qualité de capitaine (...) " et " l'attribution de 9 points de pénalité (6+3) en sa qualité d'armateur ".

6. La décision litigieuse vise notamment les dispositions pertinentes constituant le fondement juridique des sanctions prononcées, notamment le règlement (CE) n° 1224/2009 du 20 novembre 2009, et les articles L. 946-1 et R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime. Elle mentionne également les motifs qui la fondent en indiquant qu'il résulte du procès-verbal dressé le 9 juin 2022 par les agents de l'ULAM de la DDTM du Calvados que le navire de pêche " l'Iz My " a navigué dans une zone où la pêche des coquilles Saint-Jacques est interdite et qu'il ne respecte pas les obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche. Sa motivation, si elle est commune aux deux infractions constatées, révèle sans ambiguïté ni erreur d'interprétation possible, que l'administration a entendu sanctionner chacune de ces deux infractions, d'une part, par l'application du montant maximal de 1 500 euros prévu par le b) du 1° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, et, d'autre part, par l'attribution de 9 points de pénalité à M. B... en sa double qualité de capitaine du navire et d'armateur, soit 6 points pour la première infraction et 3 points pour la seconde, sur le fondement du 3° du même article, applicable aux "infractions graves", dont les conditions et modalités d'application sont prévues aux articles 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 et R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime, l'un et l'autre cités au dernier considérant de la décision. La circonstance que le nombre maximal de points de pénalité susceptibles d'être appliqués par type d'infraction n'est pas précisé dans la décision litigieuse par un renvoi précis aux articles R. 946-12 et R. 946-5 du code rural et de la pêche maritime, correspondant aux deux infractions relevées, ou aux catégories pertinentes de l'annexe XXX du règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 qui fixe, en vertu de l'article 126 de ce règlement, les points à attribuer en cas d'infractions graves commises par le titulaire de la licence de pêche, et qui est seulement visé dans la décision litigieuse, ne suffit pas pour caractériser un défaut ou une insuffisance de motivation de cette décision. En effet ces informations étaient aisément accessibles grâce à l'indication, au dernier considérant de la décision litigieuse, que celle-ci est fondée sur l'article R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime, ouvrant la " Section 2. - Système de points pour les infractions graves " qui reprend exactement, à ses articles R. 946-5 à R. 946-16, les douze catégories d'infractions de l'annexe XXX susmentionnée et le nombre de points de pénalité applicable à chacune d'elle. De même, compte tenu de ce renvoi suffisant à l'article R. 946-4, la décision n'avait pas à expliquer, à peine d'irrégularité, pour quels motifs l'administration considérait les infractions constatées comme des "infractions graves". C'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que la décision litigieuse, qui est suffisamment motivée, ne permettait pas à M. B... de comprendre le montant de l'amende et les modalités d'attribution des points de sanction qui lui étaient infligés, alors au surplus que l'intéressé, conformément à la procédure contradictoire spécifique applicable, avait auparavant reçu notification par écrit des faits relevés à son encontre, des dispositions enfreintes et des sanctions encourues, et avait fait valoir ses observations lors d'un entretien.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé pour le motif exposé ci-dessus la décision litigieuse du 21 décembre 2022 du préfet de la région Normandie. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

8. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il résulte de ces dispositions le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Elles impliquent que la personne poursuivie ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Toutefois, dans le cas où une personne sanctionnée n'a pas été informée du droit qu'elle a de se taire alors que cette information était requise, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de la personne concernée et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressée n'avait pas été informé de ce droit.

9. S'il est constant que M. B..., qui a été reçu en entretien pour qu'il puisse présenter ses observations sur les faits qui lui étaient reprochés avant la prise de toute sanction à son encontre, n'a pas été informé, avant cet entretien, de son droit de garder le silence, les sanctions décidées à son encontre procèdent de manière déterminante des seules constatations d'infractions consignées dans le procès-verbal dressé le 9 juin 2022 par les agents de l'ULAM de la DDTM du Calvados. Il ne résulte pas de l'instruction, par ailleurs, que les déclarations de M. B..., qui a contesté les infractions retenues à son encontre lors de son entretien du 26 août 2022 avec le représentant de la DDTM lui auraient préjudicié, que ce soit parce qu'il aurait admis certaines infractions retenues contre lui alors qu'elles n'étaient pas suffisamment démontrées par ailleurs, ou, au contraire, parce que les sanctions retenues contre lui auraient été aggravées du fait d'un comportement de déni qui lui serait reproché. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit être écarté.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal établi le 9 juin 2022 que le navire " Iz-My " a été contrôlé le 28 avril 2022 à 15h par deux fonctionnaires en mission de surveillance embarquée sur la commune de Luc-sur-Mer (Calvados), qui ont constaté visuellement que le navire était " en action de pêche, funes tendues et à l'eau, panneaux d'écartement immergés " à proximité et en dehors de la zone matérialisée de baignade, donc en zone de pêche interdite. Cette conclusion qu'une action de pêche était en cours n'est pas valablement contredite par l'argument du requérant selon lequel elle procèderait d'un contrôle visuel à distance, donc imprécis et insuffisant à défaut de constatation de la présence de produits de la pêche dans les cales ou sur le pont du navire, et par l'explication qu'il donne selon laquelle chaluts et panneaux n'étaient pas immergés pour la pêche, mais avaient été débarqués pour permettre d'arrimer aux funes du bateau des grappins afin de récupérer un chalut perdu. La position instantanée du navire dans une zone interdite à la pêche a été confirmée par le centre national de surveillance des pêches et, à leur retour à terre, les agents de la DDTM ont accédé au relevé des positions VMS (Vessel Monitoring System) de " L'Iz-My " par le logiciel ministériel Trident, qui a révélé la présence du navire sur cette zone toute la journée de 05h21 à 16h21. Enfin, l'examen du journal des pêches du navire consulté ultérieurement par le service a montré qu'aucune déclaration de pêche n'avait été faite pour la journée du 28 avril, les feuillets 7255303 et 72505304 ne déclarant des actions de pêche que les 27-28 avril (entre 18h30 et 07h00) et les 29-30 avril (entre 18h30 et 07h00). Alors en outre qu'il est établi par la production d'un relevé cartographique des trajectoires de " L'Iz-My " que, comme il est souligné dans le procès-verbal, d'autres investigations ont démontré que M. B... a poursuivi ses actions de pêche dans la même zone de pêche interdite, lors des marées du 29 avril au 2 mai 2022, les infractions poursuivies consistant en l'exercice de la " pêche maritime dans une zone interdite " et en l'" exercice d'activité de pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche " sont établies dans leur matérialité. L'explication donnée par le requérant à sa présence sur place tenant au fait qu'il serait venu en aide à un autre pêcheur qui lui demandait de l'aider à récupérer (" grappiner ") un chalut perdu n'est pas convaincante, malgré le témoignage produit en ce sens, compte tenu de la durée de la présence ainsi que du comportement et des trajectoires du bateau sur la zone.

11. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime citées au point 2 prévoient " l'attribution au titulaire de licence de pêche ou au capitaine du navire de points dans les conditions prévues à l'article 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 du 20 novembre 2009 et l'inscription au registre national des infractions à la pêche maritime ". Aux termes de l'" Article 92 Système de points pour les infractions graves " du règlement précité : " (...) / 2. Lorsqu'une personne physique a commis une infraction grave aux règles de la politique commune de la pêche ou qu'une personne morale est reconnue responsable d'une telle infraction un nombre de points approprié est attribué au titulaire de la licence de pêche (...) / 3. Lorsque le nombre total de points est égal ou supérieur à un certain nombre de points, la licence est automatiquement suspendue pour une période minimale de deux mois. Cette période est fixée à quatre mois si c'est la deuxième fois que la licence de pêche est suspendue, à quatre mois si c'est la deuxième fois (...), à huit mois si c'est la troisième fois (...) et à un an si c'est la quatrième fois (...) Si le titulaire atteint une cinquième fois ce nombre de points, la licence de pêche lui est retirée définitivement (...) / (...) 6. Les Etats membres appliquent également un système de points sur la base duquel le capitaine d'un navire se voit attribuer le nombre de points approprié s'il commet une infraction grave aux règles de la politique commune de la pêche ". Enfin, l'article R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime déjà cité au point 2 prévoit pour les infractions graves qu'elles " donnent lieu à l'attribution de points de pénalité au titulaire d'une licence de pêche et au capitaine d'un navire de pêche en vertu de l'article 92 du règlement (CE) n° 1224/2009 précité et des dispositions prises pour son application ".

12. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les exigences, rappelées aux articles 89 et 90 du règlement (CE) n° 1224/2009, que les infractions graves sont poursuivies " de manière systématique ", que les personnes responsables " fassent l'objet de sanctions administratives effectives, proportionnées et dissuasives ", et que le niveau global des sanctions et des sanctions accessoires est défini " de telle manière que les contrevenants soient effectivement privés des avantages économiques découlant des infractions graves qu'ils ont commises ", que l'administration peut appliquer des points de pénalité, en cas d'infraction grave, tant à l'armateur titulaire de la licence de pêche du navire, qu'au capitaine de celui-ci, et, le cas échéant, en sa qualité de capitaine et en sa qualité d'armateur si l'intéressé cumule ces deux qualités au moment de l'infraction. Le moyen tiré de ce que l'attribution de points de pénalités à M. B... en qualité de capitaine et en qualité d'armateur constituerait un cumul contraire aux dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 946-5 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Constituent une " infraction grave " entrant dans la catégorie n° 1 mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 946-4 et donnent lieu à l'attribution de trois points de pénalité lorsqu'ils sont commis dans une ou plusieurs des conditions définies au II : 1° Les manquements aux obligations déclaratives concernant le navire, ses déplacements, les opérations de pêche, (...) II.- Les conditions mentionnées au I sont les suivantes : (...) 2° Lors d'une action de pêche dans une zone interdite, ou à une profondeur interdite, ou à une période interdite ; (...) ". L'article R. 946-16 du même code dispose que " I. - Constituent une " infraction grave " entrant dans la catégorie n° 8 mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 946-4 et donnent lieu à l'attribution de six points de pénalité lorsqu'ils sont commis dans une ou plusieurs des circonstances définies au II : 1° La pêche dans une zone ou à une profondeur interdite ; (...) II. - Les circonstances définies au I sont les suivantes : 1° Lors d'une action de pêche, d'un transbordement ou d'un débarquement réalisés sur une espèce régulée ou interdite pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures ; 2° L'action de pêche est réalisée en dehors des eaux sous souveraineté ou juridiction française ou des eaux de l'Union européenne ; 3° Lorsque la valeur de vente des captures réalisées en infraction est supérieure à 10 000 € ou représente au moins 20 % de la valeur des captures totales de l'expédition maritime au cours de laquelle l'infraction a été commise ".

14. S'agissant, d'abord, de l'infraction d' " exercice d'activité de pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche " reprochée à bon droit à M. B..., il résulte de l'instruction qu'elle a été commise concomitamment à une action de pêche dans une zone interdite, soit dans la circonstance, visée au 2° du II de l'article R. 946-5 du code rural et de la pêche maritime cité ci-dessus, permettant de qualifier d' " infraction grave " l'infraction en cause et d'appliquer pour celle-ci trois points de pénalité au contrevenant, en tant qu'armateur comme en tant que capitaine. Le moyen de M. B... tiré ce que l'infraction ayant justifié que lui soient appliqués deux fois trois points de pénalité ne pouvait être qualifiée d'infraction grave doit être écarté. En revanche, s'agissant de l'infraction de " pêche maritime dans une zone interdite ", l'administration n'établit pas que M. B... se trouvait dans l'une des trois circonstances mentionnées au II de l'article R. 946-16 précité du code rural et de la pêche maritime permettant de qualifier d'infraction grave l'infraction relevée. Si, dans ses écritures en appel, le ministre se réfère à la circonstance, visée au 1° de ce II, consistant dans l'accomplissement d'une action de pêche, il n'est ni démontré, ni même allégué, que l'action de pêche en zone interdite pour laquelle M. B... a été poursuivi, aurait été réalisée sur une espèce régulée ou interdite et pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures comme le prévoit ce texte pour que l'infraction constatée soit considérée comme grave.

15. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que l'action de pêche de M. B... s'est effectuée irrégulièrement dans la " bande des 3 miles ", zone particulièrement protégée dont l'équilibre écologique est très fragile et sensible et pour laquelle les arts traînants, en particulier le chalut, sont très dommageables, les filets venant racler et endommager les fonds marins et prendre au piège plusieurs espèces, sans discrimination, et avec une faible chance pour les poissons de s'échapper du fait de la faible hauteur d'eau entre la surface et le fond. M. B... a déjà été poursuivi à de nombreuses reprises pour des faits de même nature, les derniers commis les 18 septembre, 29 septembre et 3 novembre 2021, et sanctionnés par l'application d'amendes administrative et l'attribution de points de pénalité les 29 novembre 2021 et 6 octobre 2022 en qualité de capitaine et d'armateur. En se bornant à souligner le cumul entre les amendes mises à sa charge et les points de pénalité qui lui sont attribués ainsi que l'absence de caractérisation par l'administration d'un préjudice causé aux ressources halieutiques, M. B... ne démontre pas le caractère disproportionné de l'amende administrative de 3 000 euros et des six points de pénalité (trois en qualité de capitaine du navire de pêche " Iz My " et 3 en qualité d'armateur du même navire) non remis en cause par le présent arrêt.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé sa décision du 21 décembre 2022 en tant qu'elle a sanctionné M. B... du paiement d'une amende administrative de 3 000 euros et de l'attribution de six points de pénalité en sa qualité de capitaine et d'armateur du navire de pêche " Iz My ".

Sur les frais liés au litige :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La pénalité de deux fois neuf points attribuée à M. B... en sa double qualité de capitaine et d'armateur du navire de pêche " Iz My " est réduite à deux fois trois points.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2024 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le surplus des conclusions de la demande de M. B... et ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera transmise au préfet de la région Normandie.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2025.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01797


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01797
Date de la décision : 25/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : STREAM AVOCATS AND SOLLICITORS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-25;24nt01797 ?
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