Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de la décision n° 1448/2022 du 7 octobre 2022 par laquelle le préfet de la région Normandie a prononcé à son encontre des sanctions administratives en matière de pêche maritime.
Par un jugement n° 2202798 du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 mai 2024 et 5 février 2025, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- la décision du préfet de la région Normandie du 7 octobre 2022 est suffisamment motivée en ce qui concerne l'amende administrative appliquée à M. B... ainsi qu'en ce qui concerne les points de pénalité qui lui ont été attribués ;
- il est jugé par le Conseil d'Etat, en matière de sanctions administratives, qu'une décision de sanction est suffisamment motivée lorsqu'elle vise les textes qui définissent le manquement sanctionné et déterminent le mode de calcul de la sanction et qu'elle indique par ailleurs que la sanction est infligée en raison de la méconnaissance de ces textes ;
- le requérant était en mesure, à la lecture de la décision litigieuse, de comprendre la sanction qui lui était infligée et ses bases de calcul ;
- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 novembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Croix et Me Hebert, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la décision litigieuse a été prise au terme d'une procédure irrégulière puisqu'il n'a pas été avisé de son droit de garder le silence ;
- il a toujours soutenu qu'il n'y avait pas eu de pêche en baie de Seine (zone B4) ; il s'ensuit qu'en indiquant, dans les motifs de sa décision, qu'il a reconnu l'ensemble des faits et donc les infractions qui lui sont reprochées, et en s'abstenant de tenir compte du fait qu'il n'exerçait pas la fonction de capitaine au moment des faits, le préfet a porté atteinte au principe général des droits de la défense ;
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée compte tenu de références, non à des dispositions précises, mais à des textes trop généraux, et dès lors qu'elle ne précise pas quelle disposition légale ou réglementaire l'obligeait à détenir une autorisation spéciale pour pêcher en zone BC1 et donc quel était l'élément légal permettant de retenir à son encontre l'infraction de pêche sans autorisation et que la justification du quantum retenu par l'administration pour chaque infraction n'est pas compréhensible ; la décision litigieuse ne précise pas sur quelle disposition l'autorité administrative s'est fondée pour déterminer chacune des sanctions prononcées ni à quelle infraction elles correspondent ; l'attribution de points de pénalité devait être spécifiquement motivée par la démonstration d'infractions rentrant dans l'une des catégories énumérées à l'annexe XXX du règlement (UE) n° 404/2011 et dont la gravité soit caractérisée au cas par cas en tenant compte de critères tels que le dommage causé, sa valeur, l'étendue de l'infraction ou sa répétition ;
- l'autorité administrative ne peut suspendre directement la licence européenne d'un navire de pêche en dehors du mécanisme des points de pénalité ;
- en l'absence d'infraction pouvant être qualifiée de grave, l'autorité administrative ne pouvait lui attribuer des points de pénalité ;
- les faits sanctionnés sont imputables au capitaine du navire et non à l'armateur, de sorte qu'ils ne sauraient justifier une sanction à son encontre ;
- l'attribution cumulative de points de pénalité au capitaine et à l'armateur méconnaît les dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- l'omission de la réalisation des obligations déclaratives relève de la responsabilité du seul capitaine.
Un mémoire a été enregistré pour M. B... le 31 mars 2025, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) no 1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 ;
- le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 novembre 2021, les agents de l'unité littorale des affaires maritimes (ULAM) de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Calvados ont procédé à un contrôle croisé des données concernant, sur la période du 15 au 19 novembre 2021, le navire de pêche " Iz My " immatriculé CN 189 275, dont M. A... B... est armateur. A l'issue de ce contrôle, il a été relevé par procès-verbal du 25 novembre 2021 que le navire avait navigué et pêché la coquille Saint-Jacques dans une zone où la pêche était interdite, qu'il ne détenait pas la licence de pêche pour cette espèce et cette zone, et qu'il ne respectait pas ses obligations de transmission des données de ses activités de pêche. Par une décision du 7 octobre 2022 prise en application de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, le préfet de la région Normandie a infligé à M. B..., pour les infractions de " pêche maritime d'une espèce dans une zone où sa pêche est interdite ", d' " exercice d'activité de pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêche ", et de " pêche maritime sans autorisation ", douze points de pénalité en sa qualité d'armateur du navire de pêche, une amende de 4 500 euros, la suspension de la licence européenne du navire pour une durée de 7 jours du 12 au 18 décembre 2022 inclus, et a ordonné la publication de cette décision pendant trente jours auprès des représentants de la profession. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement du 20 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé la décision prononçant ces sanctions.
Sur les moyens retenus par le tribunal administratif :
2. D'une part, aux termes de l'article 42 du règlement (UE) n° 1005/2008 du 29 septembre 2008, dit règlement INN : " Infractions graves / 1. Aux fins du présent règlement, on entend par infractions graves : / a) les activités considérées comme de la pêche INN conformément aux critères établis à l'article 3 ; / (...) / 2. La gravité de l'infraction est déterminée par l'autorité compétente d'un État membre en tenant compte des critères énoncés à l'article 3, paragraphe 2. ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " Navires de pêche pratiquant la pêche INN / 1. Un navire de pêche est présumé pratiquer la pêche INN s'il est démontré qu'il a, en violation des mesures de conservation et de gestion applicables dans la zone d'exercice de ces activités : a) pêché sans être titulaire d'une licence, d'une autorisation ou d'un permis en cours de validité, délivré par l'État de son pavillon ou l'État côtier compétent ; ou / b) manqué à ses obligations d'enregistrement et de déclaration des données de capture ou des données connexes, y compris les données à transmettre par système de surveillance des navires par satellite ou les notifications préalables au titre de l'article 6 ; ou / c) pêché dans une zone d'interdiction, au cours d'une période de fermeture, en dehors de tout quota ou une fois le quota épuisé, ou au-delà d'une profondeur interdite ; (...) ". L'article 44 de ce règlement fixant les " sanctions en cas d'infractions graves " prévoit l'infliction d'une sanction pécuniaire tenant compte de la valeur des produits de la pêche obtenus dans le cadre de l'infraction constatée et de la valeur du préjudice causé aux ressources halieutiques et au milieu marin concernés, et son article 44 prévoit la possibilité pour l'autorité compétente d'appliquer des "sanctions accessoires ", parmi lesquelles " (...) 4) la suspension ou le retrait de l'autorisation de pêche ; 5) la réduction ou le retrait des droits de pêche (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime : " Indépendamment des sanctions pénales qui peuvent être prononcées et sous réserve de l'article L. 946-2, les manquements à la réglementation prévue par les dispositions du présent livre, les règlements de l'Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche et les textes pris pour leur application, y compris les manquements aux obligations déclaratives et de surveillance par satellite qu'ils prévoient, et par les engagements internationaux de la France peuvent donner lieu à l'application par l'autorité administrative d'une ou plusieurs des sanctions suivantes : / 1° Une amende administrative égale au plus : / a) A cinq fois la valeur des produits capturés, débarqués, transférés, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation, (...) ; / b) A un montant de 1 500 € lorsque les dispositions du a ne peuvent être appliquées / Lorsque la quantité des produits capturés, débarqués, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation est supérieure au quintal, l'amende est multipliée par le nombre de quintaux de produits en cause. / En cas de manquement aux règles relatives aux systèmes de surveillance par satellite d'une durée supérieure à une heure, l'amende est multipliée par le nombre d'heures passées en manquement à ces règles. / En cas de manquements aux autres règles relatives aux obligations déclaratives, l'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de manquement à ces règles. / Les montants d'amende mentionnés aux a et b peuvent être portés au double en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans. / L'autorité administrative peut, compte tenu des circonstances et notamment des conditions de travail de l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées à raison des faits commis par le capitaine ou un membre de l'équipage d'un navire est en totalité ou en partie à la charge de l'armateur, qu'il soit propriétaire ou non du navire. / (...) / 2° La suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation ; 3° L'attribution au titulaire de licence de pêche ou au capitaine du navire de points dans les conditions prévues à l'article 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 du 20 novembre 2009 et l'inscription au registre national des infractions à la pêche maritime ; (...) / L'autorité administrative compétente peut, en outre, ordonner la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci. ". L'article R. 946-4 du même code dispose que : " La présente section définit les " infractions graves ", au sens de l'article 42 du règlement (CE) n° 1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ainsi que du paragraphe 1 de l'article 90 du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime communautaire de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche. / Ces infractions donnent lieu à l'attribution de points de pénalité au titulaire d'une licence de pêche et au capitaine d'un navire de pêche en vertu de l'article 92 du règlement (CE) n° 1224/2009 précité et des dispositions prises pour son application. / Le nombre de points de pénalité est fonction des catégories d'infractions mentionnées à l'annexe XXX du règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime communautaire de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
En ce qui concerne le défaut de motivation :
5. Pour annuler la décision litigieuse, les premiers juges ont retenu d'abord que celle-ci était insuffisamment motivée, M. B... n'étant pas à même, à sa seule lecture, de comprendre le nombre de points de pénalités mis à sa charge pour chaque infraction.
6. Il ressort toutefois de la décision 7 octobre 2022 qu'elle vise notamment les dispositions pertinentes constituant le fondement juridique des sanctions prononcées, notamment le règlement (CE) no 1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, ainsi que l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoit en ses 1°, 2° et 3° l'infliction de sanctions de la nature de celles décidées à l'encontre de M. B..., et l'article R. 946-4 du même code définissant, avec ceux qui le suivent, les douze catégories d' " infractions graves " justifiant, selon les cas, l'application de 3 à 7 points de pénalité, le nombre total de points susceptibles d'être appliqués par inspection étant limité à 16. Elle mentionne également les motifs qui la fondent en indiquant qu'il résulte du procès-verbal dressé le 25 novembre 2021 par les agents de l'ULAM de la DDTM du Calvados que le navire de pêche " Iz My " ne respecte pas les obligations déclaratives relatives à son activité de pêche, en omettant de transmettre à l'administration les messages obligatoires, qu'il a pêché la coquille Saint-Jacques en baie de Seine sans être titulaire de la licence requise, et qu'il a opéré en zone BC1 alors que la pêche de cette espèce n'y était pas ouverte, en vertu d'arrêtés préfectoraux dont les références sont indiquées. Sa motivation, si elle est commune aux trois infractions constatées, montre que l'administration a entendu sanctionner chacune de ces trois infractions, d'une part, par l'application du montant maximal de 1 500 euros par infraction constatée prévue au b) du 1° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, et, d'autre part, par l'attribution à M. B..., sur le fondement du 3° du même article, en sa qualité d'armateur, des points de pénalité prévus aux articles R. 946-4 et suivants du code applicable, et qu'elle a décidé en outre, eu égard à la gravité des infractions constatées au regard du règlement (CE) no 1005/2008 et à l'exigence de gestion durable et équitable de la ressource halieutique, de faire application du 2° du même article L. 946-1 en suspendant la licence européenne du navire pour une durée de 7 jours du 12 au 18 décembre 2022 inclus. La seule circonstance que le nombre de points de pénalité susceptibles d'être appliqués par type d'infraction n'est pas précisé dans la décision par un renvoi précis aux articles R. 946-5, R. 946-11 et R. 946-12 du code rural et de la pêche maritime, correspondant aux trois infractions relevées, ou aux catégories pertinentes de l'annexe XXX du règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 qui fixe, en vertu de l'article 126 de ce règlement, les points à attribuer en cas d'infractions graves commises par le titulaire de la licence de pêche, et qui est seulement visé dans la décision litigieuse, ne suffit pas pour caractériser un défaut ou une insuffisance de motivation de cette décision. En effet ces informations étaient aisément accessibles grâce à l'indication, au dernier considérant de la décision litigieuse, que celle-ci est fondée sur l'article R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime, ouvrant la " Section 2. - Système de points pour les infractions graves " qui reprend exactement, à ses articles R. 946-5 à R. 946-16, les douze catégories d'infractions de l'annexe XXX susmentionnée et le nombre de points de pénalité applicable à chacune d'elle. De même, compte tenu de ce renvoi suffisant à l'article R. 946-4, la décision n'avait pas à expliquer, à peine d'irrégularité, pour quels motifs l'administration considérait les infractions constatées comme des "infractions graves". C'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que la décision litigieuse, qui est suffisamment motivée, ne permettait pas à M. B... de comprendre le montant de l'amende et les modalités d'attribution des points de sanction qui lui étaient infligés, alors au surplus que l'intéressé, conformément à la procédure contradictoire spécifique applicable, avait auparavant reçu notification par écrit des faits relevés à son encontre, des dispositions enfreintes et des sanctions encourues, et avait fait valoir ses observations lors d'un entretien.
En ce qui concerne l'erreur de droit :
7. Les premiers juges ont estimé que les textes communautaires applicables, au regard desquels doivent être interprétées les dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, ne permettaient une suspension d'une licence de pêche que dans l'hypothèse où l'exploitant du navire cumulait un nombre de points de pénalités supérieur à 18 points. Ils ont jugé qu'en prononçant une suspension de la licence de pêche du navire " Iz My " indépendamment de la constatation d'un dépassement de ce seuil de 18 points, l'autorité administrative avait entaché sa décision d'erreur de droit.
8. Les manquements reprochés à M. B... consistent, d'une part, à ne pas respecter ses obligations d'enregistrement et de déclaration des données de captures, d'autre part, à pratiquer la pêche dans des zones de la baie de Seine, référencées B4 et BC1, pour lesquelles il ne disposait pas de la licence lui permettant de pêcher la coquille Saint-Jacques, et, enfin, à pêcher ces coquillages en zone BC1 pourtant fermée aux détenteurs d'une telle licence par l'effet d'un arrêté préfectoral 168/2021 du 10 novembre 2021. Ces manquements relèvent des dispositions des a), b) et c) du 1. de l'article 3 du règlement 1005/2008 dit règlement INN cité ci-dessus au point 2. Elles constituent des " infractions graves " au sens de l'article 42 de ce même règlement, passibles à ce titre des mesures exécutoires immédiates ou des sanctions accessoires prévues par les articles 43 et 45 de ce texte prévoyant la possibilité de suspendre ou de retirer l'autorisation de pêche ou de réduire ou de retirer des droits de pêche, possibilité rappelée au 2° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime cité ci-dessus, qui prévoit la possibilité de sanctionner le contrevenant par " la suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ". Si cette possibilité de suspension ou de retrait est distincte du pouvoir attribué à l'autorité compétente, par le 3° du même article L. 946-1 et par l'article 92 du règlement CE) n° 1224/2009 du conseil , d'attribuer des points de pénalité pouvant conduire, au-delà d'un seuil atteint de 18 points, à la suspension automatique de la licence de pêche pour une période minimale de deux mois, elle ne s'applique qu'à l' " autorisation de pêche ", définie au point 10 de l'article 4 " Définitions " du règlement 1224/2009 comme une " autorisation de pêche délivrée à un navire de pêche en plus de sa licence de pêche et lui conférant le droit d'exercer des activités de pêche spécifiques pendant une période déterminée, dans une zone déterminée ou pour une pêcherie déterminée, sous certaines conditions " et non à la " licence de pêche ", définie au point 9 du même article, comme le " document officiel conférant à son détenteur le droit, défini par les règles nationales, d'utiliser une certaine capacité de pêche pour l'exploitation commerciale des ressources aquatiques vivantes. Elle contient les informations minimales relatives à l'identification, aux caractéristiques techniques et à l'armement d'un navire de pêche ". Par suite, l'administration ne pouvait pas, sur le fondement du 2° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, procéder comme elle l'a fait à la suspension de la licence européenne du navire de pêche " L'Iz My ". Si, sur ce point, le ministre fait valoir dans ses écritures que le droit communautaire de la pêche n'exclut pas la prise par les autorités nationales de mesures plus contraignantes que celles résultant du seul droit de l'Union, se référant ainsi au point 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1224/2009 prévoyant qu'il s'applique lui-même " sans préjudice des mesures nationales de contrôle allant au-delà de ses exigences minimales, pour autant qu'elles soient conformes à la législation de l'Union ainsi qu'à la politique commune de la pêche ", il ressort des dispositions des règlements (CE) no 1005/2008, n° 1224/2009 et n° 404/2011 que, s'agissant de la possibilité de suspendre ou de retirer une licence européenne de pêche, les institutions de l'Union ont entendu définir un régime entièrement harmonisé pouvant seulement conduire à la remise en cause, provisoire puis définitive, de la licence de pêche lorsque sont atteints certains seuils de cumul de points de pénalité par le propriétaire du navire. Il suit de là que, comme l'a jugé le tribunal, la suspension de la licence européenne à laquelle il a été procédé par les autorités de pêche est entachée d'erreur de droit et la décision litigieuse prise le 7 octobre 2022 par ces autorités doit être annulée dans cette mesure.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé dans sa totalité, pour le motif exposé ci-dessus au point 5, la décision litigieuse du 17 octobre 2022 du préfet de la région Normandie. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... dirigés contre la décision attaquée en tant qu'elle lui inflige douze points de pénalité et une amende de 4 500 euros.
Sur les autres moyens invoqués par M. B... :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il résulte de ces dispositions le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Elles impliquent que la personne poursuivie ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Toutefois, dans le cas où une personne sanctionnée n'a pas été informée du droit qu'elle a de se taire alors que cette information était requise, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de la personne concernée et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressée n'avait pas été informé de ce droit.
11. S'il est constant que M. B..., qui a été reçu en entretien pour qu'il puisse présenter ses observations sur les faits qui lui étaient reprochés avant la prise de toute sanction à son encontre, n'a pas été informé, avant cet entretien, de son droit de garder le silence, les sanctions décidées à son encontre procèdent de manière déterminante des seules constatations d'infractions consignées dans le procès-verbal dressé le 25 novembre 2021 par les agents de l' ULAM de la DDTM du Calvados. Il ne résulte pas de l'instruction, par ailleurs, que les déclarations de M. B..., qui a contesté les infractions retenues à son encontre lors de son entretien du 26 août 2022 avec le représentant de la DDTM, lui auraient préjudicié, que ce soit parce qu'il aurait admis certaines infractions retenues contre lui alors qu'elles n'étaient pas suffisamment démontrées par ailleurs, ou au contraire parce que les sanctions retenues contre lui auraient été aggravées du fait d'un comportement de déni qui lui serait reproché. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit être écarté. Si M. B... reproche aussi à l'administration de ne pas avoir tenu compte, dans les motifs de sa décision, des objections et explications qu'il a présentées lors de l'entretien, tenant notamment au fait qu'il n'était pas le capitaine du navire à la date des infractions, et d'avoir même déformé ses déclarations, il ne caractérise pas par cette argumentation une atteinte aux droits de la défense ou au caractère contradictoire de la procédure, alors qu'il est constant qu'il a été reçu avec son avocat le 7 décembre 2021 par le représentant de la DDTM et qu'il a signé le compte rendu retraçant les déclarations qu'il avait faites au cours de cet entretien et dont il peut se prévaloir pour contester le bien-fondé de la décision litigieuse s'il estime qu'elles n'ont pas été fidèlement prises en compte.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal établi le 25 novembre 2021 que le contrôle par la DDTM du navire " Iz-My " a révélé que, pour la marée du 18 novembre 2021, ce bateau de pêche se situait dans les zones de pêche B4 et BC1 définies par l'arrêté préfectoral 103/2021 du 18 août 2021, sans être titulaire de la licence lui permettant de pêcher la coquille Saint-Jacques dans ces zones, la zone BC1 étant en outre interdite à la pêche de ce coquillage même pour les détenteurs de ladite licence, et qu'il avait débarqué et vendu le lendemain 973 kg de coquilles Saint-Jacques à Fécamp. Il a aussi été relevé que les dernières données déclaratives au format papier issues du journal de pêche du navire transmises à la DDTM du Calvados dataient du mois d'août, alors que les données satellites et de vente concernant l'" Iz-My " prouvaient l'exploitation de ce navire pour la pêche postérieurement à cette date. L'infraction poursuivie tenant à l'exercice d'une activité de pêche sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle de ces activités est donc matériellement démontrée, en l'absence d'accomplissement de l'obligation de transmission des informations figurant dans le journal de pêche au plus tard 48 heures après le débarquement des produits de la pêche, conformément au point 6 de l'article 14 du règlement (CE) 1224/2009. Il en est de même, d'une part, de l'infraction de " pêche maritime d'une espèce dans une zone où sa pêche est interdite ", compte tenu d'une action de pêche de la coquille Saint-Jacques interdite en zone BC1 même pour les pêcheurs titulaires de la licence permettant la pêche de ce coquillage, sans que M. B..., armateur et pêcheur averti, puisse utilement faire valoir qu'il ignorait cette interdiction dûment publiée, et, d'autre part, de l'infraction de " pêche maritime sans autorisation ", M. B... se bornant à produire une licence nationale " AEP Coquille Saint-Jacques " sans démontrer qu'il était titulaire, pour la campagne 2021-2022 de la licence spécifique " Baie de Seine " lui permettant localement la pêche de ce coquillage dans la zone où ont été constatées les infractions qui lui sont reprochées.
13. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime citées au point 2 prévoient " l'attribution au titulaire de licence de pêche ou au capitaine du navire de points dans les conditions prévues à l'article 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 du 20 novembre 2009 et l'inscription au registre national des infractions à la pêche maritime ". Aux termes de l'" Article 92 Système de points pour les infractions graves " du règlement précité : " (...) / 2. Lorsqu'une personne physique a commis une infraction grave aux règles de la politique commune de la pêche ou qu'une personne morale est reconnue responsable d'une telle infraction un nombre de points approprié est attribué au titulaire de la licence de pêche (...) / 3. Lorsque le nombre total de points est égal ou supérieur à un certain nombre de points, la licence est automatiquement suspendue pour une période minimale de deux mois. Cette période est fixée à quatre mois si c'est la deuxième fois que la licence de pêche est suspendue, à quatre mois si c'est la deuxième fois (...), à huit mois si c'est la troisième fois (...) et à un an si c'est la quatrième fois (...) Si le titulaire atteint une cinquième fois ce nombre de points, la licence de pêche lui est retirée définitivement (...) / (...) 6. Les Etats membres appliquent également un système de points sur la base duquel le capitaine d'un navire se voir attribuer le nombre de points approprié s'il commet une infraction grave aux règles de la politique commune de la pêche ". Enfin, l'article R. 946-4 du code rural et de la pêche maritime déjà cité au point 2 prévoit, pour les infractions graves, qu'elles " donnent lieu à l'attribution de points de pénalité au titulaire d'une licence de pêche et au capitaine d'un navire de pêche en vertu de l'article 92 du règlement (CE) n° 1224/2009 précité et des dispositions prises pour son application ".
14. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les exigences, rappelées aux articles 89 et 90 du règlement (CE) n° 1224/2009, que les infractions graves sont poursuivies " de manière systématique ", que les personnes responsables " fassent l'objet de sanctions administratives effectives, proportionnées et dissuasives ", et que le niveau global des sanctions et des sanctions accessoires est défini " de telle manière que les contrevenants soient effectivement privés des avantages économiques découlant des infractions graves qu'ils sont commises ", que l'administration peut appliquer des points de pénalité, en cas d'infraction grave, tant à l'armateur titulaire de la licence de pêche du navire, qu'au capitaine de celui-ci, et, le cas échéant, en sa qualité de capitaine et en sa qualité d'armateur lorsque l'intéressé cumule ces deux qualités lorsqu'est constatée l'infraction. Le moyen tiré de ce que l'attribution de points de pénalités à M. B... en qualité d'armateur en plus de la sanction identique appliquée pour les mêmes faits à l'encontre de M. C..., capitaine du navire, constituerait un cumul contraire aux dispositions de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté, de même que l'atteinte alléguée au principe à valeur constitutionnelle de personnalisation des sanctions. Pour les mêmes motifs, eu égard aux dispositions rappelées ci-dessus, visant à responsabiliser les bénéficiaires des opérations de pêche irrégulières, la circonstance que la tenue et la transmission du journal de pêche soient décrites comme incombant au capitaine du navire, défini comme responsable de l'exactitude des données qui y sont enregistrées, par l'article 14 de du règlement (CE) n° 1224/2009 ne fait pas obstacle à l'infliction de sanctions à l'armateur également, voire à celui-ci seulement, le 9ème alinéa de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime prévoyant que l'autorité administrative peut, compte tenu des circonstances et notamment des conditions de travail de l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées à raison des faits commis par le capitaine ou un membre de l'équipage d'un navire est en totalité ou en partie à la charge de l'armateur, qu'il soit propriétaire ou non du navire. Or en l'espèce, M. C..., capitaine du navire à la date des infractions, a déclaré au cours de la procédure le concernant que M. B..., seul initialement poursuivi en l'absence de déclaration de l'activité de pêche de l'" Iz My " comportant l'indication du nom de son capitaine, lui avait indiqué les zones où il devait se rendre pour pêcher.
15. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 946-5 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Constituent une " infraction grave " entrant dans la catégorie n° 1 mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 946-4 et donnent lieu à l'attribution de trois points de pénalité lorsqu'ils sont commis dans une ou plusieurs des conditions définies au II : 1° Les manquements aux obligations déclaratives concernant le navire, ses déplacements, les opérations de pêche, (...) II.- Les conditions mentionnées au I sont les suivantes : 1° Lors d'une action de pêche, de transbordement ou de débarquement sur une espèce régulée ou interdite pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures ; 2° Lors d'une action de pêche dans une zone interdite (...) ". L'article R. 946-11 du même code dispose que " Constitue une" infraction grave" entrant dans la catégorie n° 7 mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 946-4 et donne lieu à l'attribution de sept points de pénalité la pêche sans autorisation de pêche délivrée en application de la réglementation lorsqu'elle est commise dans une ou plusieurs des circonstances suivantes : 1° Lors d'une action de pêche, de transbordement ou de débarquement sur une espèce régulée ou interdite pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures ; 2° Dans une zone interdite (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 946-12 de ce code : " I. - Constituent une " infraction grave " entrant dans la catégorie n° 8 mentionnée au troisième alinéa de l'article R. 946-4 et donnent lieu à l'attribution de six points de pénalité lorsqu'ils sont commis dans une ou plusieurs des circonstances définies au II : (...) 2° La pêche de certaines espèces dans une zone, à une profondeur ou période où leur pêche est interdite ; (...) II. -Les circonstances définies au I sont les suivantes : / 1° Lors d'une action de pêche, d'un transbordement ou d'un débarquement réalisés sur une espèce régulée ou interdite pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures (...) ".
16. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient M. B... dont le navire " Iz-My " a débarqué au port de Fécamp et vendu 973 kg de coquilles Saint-Jacques, les infractions en litige doivent être qualifiées d' " infractions graves ", dès lors qu'elles ont toutes été commises dans l'une au moins des circonstances énumérées aux articles R. 946-5, R. 946-11 et R. 946-12 du code rural et de la pêche maritime et consistant dans le fait d'avoir mené une action de pêche dans une zone interdite et sur une espèce régulée ou interdite pour des quantités supérieures à 100 kg ou à 20 % des captures. Ces infractions justifiaient, par application des dispositions précitées et sans qu'il soit besoin de caractériser d'autres indices de gravité tels que le dommage causé, sa valeur, l'étendue de l'infraction ou sa répétition, l'attribution de 3 points, 7 points et 6 points de pénalité à M. B... en tant qu'armateur, soit un total de 16 points ramené à 12 par application du plafonnement à 12 points par inspection prévu par l'article R. 946-18 du code rural et de la pêche maritime.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé sa décision du 7 octobre 2022 en tant qu'elle a sanctionné M. B... d'une amende de 4 500 euros et de douze points de pénalité en sa qualité d'armateur du navire de pêche " Iz My ".
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 7 octobre 2022 est annulée en tant qu'elle a suspendu pour une durée de 7 jours, du 12 au 18 décembre 2022, la licence européenne du navire de pêche " Iz My " dont M. B... est l'armateur.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2024 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le surplus de la demande de M. B... et ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera transmise au préfet de la région Normandie.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2025.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01490