Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle.
Par un jugement n°2001011 du 26 août 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision (article 1er), a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2), a mis à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme A... (article 4).
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2022, et un mémoire, enregistré le 27 février 2023, qui n'a pas été communiqué, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Plateaux, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 août 2022 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une contradiction interne de motifs révélant une insuffisance de motivation ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique avait entaché sa décision d'erreur d'appréciation ; les faits reprochés à Mme A..., qui ont justifié la décision de retrait, sont matériellement établis ; ils justifiaient, à eux-seuls, le retrait de l'agrément d'assistante maternelle, compte tenu de la gravité de la blessure qu'a subi le jeune C... au cours de la garde de l'enfant par Mme A... le 21 septembre 2018 ;
- à titre subsidiaire, la décision de retrait pouvait être fondée sur d'autres motifs, dont il sollicite la substitution, tirés de ce que Mme A... a laissé le jeune C... sans surveillance, ne pouvait déléguer l'accueil à des tiers et a méconnu les dispositions de l'article R. 421-40 du code de l'action sociale et des familles ;
- le seul risque que les conditions d'accueil de l'enfant ne garantissent plus sa sécurité, sa santé et son épanouissement est de nature à justifier légalement le retrait de l'agrément ;
- aucun autre moyen soulevé en première instance n'est de nature à confirmer l'annulation de la décision contestée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 novembre 2022 et 9 février 2023, Mme A..., représentée par Me Deniau, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-10 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le département de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 22NT03273 du 1er décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête d'appel formée par le département de la Loire-Atlantique et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision n° 491421 du 5 novembre 2024, le Conseil d'Etat, saisi par le département de la Loire-Atlantique et statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 1er décembre 2023, puis a renvoyé l'affaire, qui porte désormais le n° 24NT03163, devant la cour.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires, enregistrés les 25 novembre 2024 et 16 janvier 2025, Mme A..., représentée par Me Deniau, conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens que dans ses précédentes écritures.
Par un mémoire, enregistré le 18 décembre 2024, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Plateaux, conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens que dans ses précédentes écritures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard ;
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public ;
- et les observations de Me Plateaux, représentant le département de la Loire-Atlantique et de Me Deniau, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... bénéficiait, en 2018, d'un agrément en qualité d'assistante maternelle, délivré le 2 juillet 2012, par le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique afin de lui permettre d'accueillir à son domicile trois enfants âgés de 0 à 10 ans et un enfant âgé de 2 à 10 ans. A la suite de l'hospitalisation d'un des enfants dont Mme A... assurait la garde, victime d'une fracture du tibia, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a, par une décision du 4 octobre 2018, suspendu son agrément. Par une décision du 5 février 2019, il a restreint sa capacité d'accueil à deux enfants âgés de 0 à 10 ans. Par une décision du 19 décembre 2019, à la suite des conclusions de l'enquête pénale, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a prononcé le retrait de cet agrément. Mme A... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 26 août 2022, l'a annulée et a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de réexaminer la situation de l'intéressée. Par un arrêt n° 22NT03273 du 1er décembre 2023, la présente cour a rejeté la requête d'appel formée par le département de la Loire-Atlantique. Par une décision n° 491421 du 5 novembre 2024, sur recours en cassation du département de la Loire-Atlantique, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour. Dans cette nouvelle instance enregistrée sous le n° 24NT03163, les parties reprennent leurs précédentes conclusions et écritures.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le département de la Loire-Atlantique fait valoir que le jugement attaqué serait entaché d'une contradiction interne de motifs, révélant une insuffisance de motivation, puisque le tribunal administratif, a prononcé l'annulation de la décision litigieuse en se fondant sur un moyen de légalité interne, mais ne lui a pourtant enjoint que de procéder au réexamen de la situation de Mme A.... Cependant, un tel moyen, qui se rattache au bien-fondé du jugement, lequel est par ailleurs suffisamment motivé, est sans incidence sur sa régularité.
3. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du 26 août 2022 à laquelle le tribunal administratif a rendu son jugement, l'agrément de Mme A... était arrivé à expiration. Cette circonstance faisait légalement obstacle à ce que le tribunal enjoigne au département de la Loire-Atlantique de restituer l'agrément de Mme A... et lui permettait seulement d'enjoindre qu'il soit procédé au réexamen de sa situation, ainsi que le demandait la requérante, à titre subsidiaire.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
4. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel (...) est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) / L'agrément est accordé (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". L'article R. 421-3 du même code précise que pour obtenir cet agrément, le candidat doit : " 1° Présenter les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ". Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 421-6 du même code : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...) / Toute décision de retrait de l'agrément (...) doit être dûment motivée (...) ". L'article R. 421-40 de ce code prévoit que : " L'assistant maternel employé par un particulier est tenu de déclarer sans délai au président du conseil départemental tout décès ou tout accident grave survenu à un mineur qui lui est confié. (...) " et l'article R. 421-26 dispose que : " Un manquement grave ou des manquements répétés aux obligations de déclaration et de notification prévues aux articles R. 421-38, R. 421-39, R. 421-40 et R. 421-41 ainsi que des dépassements du nombre d'enfants mentionnés dans l'agrément et ne répondant pas aux conditions prévues par l'article R. 421-17 peuvent justifier, après avertissement, un retrait d'agrément. ".
5. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil chez l'assistant maternel garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément de l'assistant maternel si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est exposé à de tels comportements ou risque de l'être. Par ailleurs, si la légalité d'une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de tenir compte, le cas échéant, d'éléments factuels antérieurs à cette date mais révélés postérieurement.
6. D'autre part, il résulte des termes mêmes de l'article R. 421-26 du code de l'action sociale et des familles qu'un manquement aux obligations de déclaration et de notification incombant à un assistant maternel agréé, notamment l'obligation de déclarer sans délai au président du conseil départemental toute modification des informations relatives à sa situation familiale ou aux personnes vivant à son domicile, ne peut justifier un retrait d'agrément qu'après un avertissement et à la condition qu'il soit grave ou répété.
7. Pour retirer l'agrément en qualité d'assistante maternelle dont bénéficiait Mme A... depuis le 2 juillet 2012, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'il n'était plus en mesure de garantir qu'elle présentait les qualités nécessaires pour assurer la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis. Le tribunal administratif a cependant considéré que cette décision était entachée d'une " erreur d'appréciation " dès lors qu'aucune pièce du dossier ne permettait d'imputer les faits litigieux à Mme A... ou de révéler un manquement, de sa part, aux règles de sécurité.
8. Il ressort des pièces du dossier que le jeune C..., accueilli par Mme A... dans la journée du 21 septembre 2018 entre 9 heures et 17 heures, a été admis aux urgences pédiatriques du centre hospitalier universitaire de Nantes à 19 heures 12 où il a été diagnostiqué que l'enfant souffrait d'une fracture du tibia. Contrairement à ce que soutient le département de la Loire-Atlantique, la matérialité des faits reprochés à Mme A... ne saurait toutefois être établie, avec certitude, par la seule production d'un courriel de la vice-procureure du tribunal judiciaire de Nantes du 18 février 2020, se référant lui-même à un précédant courriel du 26 septembre 2019, non produit, qui indiquerait qu'il ne s'agissait " pas d'un accident " et que les faits avaient eu lieu au domicile de l'assistante maternelle. Ni cet élément, ni les comptes rendus des différents entretiens réalisés par les services départementaux au cours de l'année 2019 ne permettent d'établir que la blessure serait imputable à Mme A..., ou se serait produite à son domicile. Par ailleurs, l'intéressée se prévaut de nombreuses attestations, émanant de parents d'enfants accueillis, qui font état de son professionnalisme et de l'attention qu'elle porte à la sécurité et au bien-être des enfants. De plus, il ressort tant des différentes évaluations établies dans le cadre du renouvellement de son agrément en qualité d'assistante maternelle, que du bilan d'activité rédigé le 24 octobre 2019, que l'intéressée faisait preuve d'une grande implication dans son métier, montrait de l'intérêt pour la petite enfance et offrait un accueil très satisfaisant en étant à l'écoute des enfants et des parents. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments permettant de considérer que les conditions d'accueil proposées par Mme A... ne garantissaient plus la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants dont elle assurait la garde, en se fondant uniquement sur l'incident survenu le 21 septembre 2018, dont les circonstances restaient indéterminées, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a entaché sa décision d'illégalité.
Sur la substitution de motifs sollicitée par le département :
9. Aux termes de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, (...) il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. L'assistant maternel (...) concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. (...) ".
10. Il résulte des dispositions citées aux points 4 et 9 que, s'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément de l'assistant maternel si ces conditions ne sont plus remplies, il ne peut le faire qu'après avoir saisi pour avis la commission consultative paritaire départementale compétente, devant laquelle l'intéressé est en droit de présenter ses observations écrites ou orales, en lui indiquant, ainsi qu'à l'assistant maternel concerné, les motifs de la décision envisagée. La consultation de cette commission sur ces motifs, à laquelle est attachée la possibilité pour l'intéressé de présenter ses observations, revêt ainsi pour ce dernier le caractère d'une garantie. Il en résulte qu'un tel retrait ne peut intervenir pour un motif qui n'aurait pas été soumis à la commission consultative paritaire départementale et sur lequel l'intéressé n'aurait pu présenter devant elle ses observations.
11. Le département de la Loire-Atlantique reproche à Mme A... d'avoir, au cours de l'après-midi du 21 septembre 2018, laissé sans surveillance le jeune C... sur un tapis de jeu au rez-de-chaussée alors qu'elle changeait un autre enfant à l'étage, d'avoir confié la garde des enfants aux membres de sa famille présents à son domicile et d'avoir méconnu les dispositions de l'article R. 421-40 du code de l'action sociale et des familles. Il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que Mme A... aurait été informée, dans les conditions prévues par l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles que ces griefs étaient susceptibles de fonder le retrait de son agrément, ni même qu'ils auraient été évoqués lors de la séance de la commission consultative paritaire départementale du 10 décembre 2019. Dans ces conditions, la substitution de motifs demandée par le département aurait pour effet de priver Mme A... de la garantie procédurale tenant à la consultation de la commission consultative paritaire départementale et à la possibilité d'assurer sa défense devant cette instance. Par suite, le département de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à demander qu'au motif initialement retenu pour prononcer le retrait de l'agrément de Mme A..., soit substitué celui tiré du défaut de surveillance, de la délégation de l'accueil des enfants à des tiers ou du défaut de signalement d'un évènement grave ainsi que le prévoit l'article R. 421-40 du code de l'action sociale et des familles.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 19 décembre 2019 portant retrait d'agrément d'assistante maternelle.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au département de la Loire-Atlantique de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique le versement à Mme A... d'une somme de 1500 euros au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête du département de la Loire-Atlantique est rejetée.
Article 2 : Le département de la Loire-Atlantique versera à Mme A... une somme de 1 500 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Loire-Atlantique et à Mme D... A... épouse B....
Délibéré après l'audience du 20 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2025.
La rapporteure,
V. GELARD
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24NT031632