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04/04/2025 | FRANCE | N°24NT01830

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 avril 2025, 24NT01830


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet d'Eure-et-Loir portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2402197 du 30 mai 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant l

a cour :



Par une requête enregistrée le 17 juin 2024, Mme A..., représentée par Me Moulin, demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet d'Eure-et-Loir portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2402197 du 30 mai 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juin 2024, Mme A..., représentée par Me Moulin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 mai 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler cet arrêté du 22 mars 2024 du préfet d'Eure-et-Loir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ; il n'a pas été précédé d'un examen particulier de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 521-1 et L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; dès lors qu'elle a exprimé son intention, lors de son interpellation, de présenter une demande d'asile, elle ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet d'Eure-et-Loir qui n'a pas produit d'observations.

Par courrier du 19 février 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible d'enjoindre d'office au préfet territorialement compétent, de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen.

Par une décision du 11 décembre 2024, le président du bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne, née le 4 mai 1994 à Conakry (Guinée), a déclaré être entrée sur le territoire français le 19 mars 2024. Par un arrêté du 22 mars 2024, le préfet d'Eure-et-Loir l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement du 30 mai 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, (...), ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". Aux termes de l'article L. 521-7 dudit code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 521-1 du même code : " (...) lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département et, à Paris, du préfet de police ". Et selon son article R. 521-4 : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. (...) Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile et dispensent pour cela la formation adéquate à leurs personnels. ".

3. Les dispositions précitées ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger formule une demande d'asile, à l'occasion de son interpellation. Hors les cas concernant l'hypothèse d'un ressortissant étranger formulant sa demande d'asile à la frontière ou en rétention et hors les cas visés aux c) et d) du 2° de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet saisi d'une demande d'asile est ainsi tenu de délivrer au demandeur l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 cité ci-dessus. Ces dispositions font donc nécessairement obstacle à ce que l'autorité administrative prenne une mesure d'éloignement à l'encontre de l'étranger qui, avant le prononcé d'une telle mesure, a clairement exprimé le souhait de former une demande d'asile devant les services de police lors de son interpellation, même s'il ne s'est pas volontairement présenté devant eux.

4. Il ressort du procès-verbal d'audition par les services de gendarmerie de Thivars le 22 mars 2024 que Mme A... a, en particulier, déclaré " Je viens tout juste d'arriver en France, je n'ai pas encore eu le temps d'effectuer mes démarches. Dès la semaine prochaine, je vais effectuer ma demande d'asile ". Mme A... a ainsi exprimé, de manière claire et non équivoque, son intention de solliciter l'asile, avant l'édiction de la mesure d'éloignement. Cette demande, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante aurait relevé des cas prévus aux c) et d) du 2° de l'article L. 542-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisait obstacle à ce que le préfet d'Eure-et-Loir prononce à l'encontre de Mme A... une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa demande d'asile. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet d'Eure-et-Loir portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen.

Sur les frais liés au litige :

7. La demande d'aide juridictionnelle de Mme A... a été déclarée caduque. Son avocat ne peut donc se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a toutefois lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 30 mai 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes et l'arrêté du 22 mars 2024 du préfet d'Eure-et-Loir sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen.

Article 3 : l'Etat versera à Mme A... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.

La présidente-rapporteure,

C. BRISSON

Le président-assesseur,

G-V. VERGNE

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT018302


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01830
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : MOULIN

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-04;24nt01830 ?
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