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04/04/2025 | FRANCE | N°23NT01369

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 04 avril 2025, 23NT01369


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... et Mme C... B... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser une somme de 20 107,43 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du refus de visa de long séjour opposé à M. D....



Par un jugement n° 2000446 du 24 janvier 202

3, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. et Mme D... une indemnité de 1 765...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme C... B... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser une somme de 20 107,43 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du refus de visa de long séjour opposé à M. D....

Par un jugement n° 2000446 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. et Mme D... une indemnité de 1 765,06 euros, assortie des intérêts à compter du 17 mai 2018 et de la capitalisation de ces intérêts au 17 mai 2019 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser au conseil de M. et Mme D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2023, M. et Mme A... et C... D..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande ;

2°) de porter à 18 181, 45 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de demande préalable et de leur capitalisation, la somme que l'Etat a été condamné à leur verser en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du refus de visa de long séjour opposé à M. D... ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. et Mme D... soutiennent que :

- la décision par laquelle la commission de recours a rejeté le recours formé par M. D... contre le refus de visa de long séjour qui lui a été opposé par les autorités consulaires à Oran a été annulée par un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes, le 30 octobre 2017 ;

- l'illégalité du refus de visa opposé à M. D... et constatée par cet arrêt de la cour est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à leur égard ;

- en raison de cette faute, ils ont été séparés pendant une période de plus de quatre ans, contraints de vivre dans une situation précaire et privés de leur droit de mener une vie familiale normale ;

- en raison de la séparation, Mme D... a exposé une somme de 228 euros pour se rendre en Algérie auprès de son époux ; il appartient à l'Etat de réparer ce préjudice ;

- pour les mêmes motifs, elle a exposé une somme de 226,17 euros en frais d'appels téléphoniques pour communiquer avec son époux ;

- les frais de justice qu'ils ont engagés s'élèvent à la somme de 126,69 euros ; ils n'ont pas bénéficié des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ce préjudice est indemnisable ;

- la situation d'angoisse et de précarité engendrée par le refus de visa illégalement opposé à M. D... est constitutive d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence, qu'il appartiendra à l'Etat de réparer en leur versant une indemnité de 17 600 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête et s'en remet à ses écritures de première instance.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt n°16NT01949 du 30 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé, sur la requête de M. et Mme D..., le jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Nantes rejetant la demande des intéressés tendant à l'annulation de la décision du 18 septembre 2014 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision expresse du 29 août 2014 des autorités consulaires françaises à Oran refusant de délivrer à M. D... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Par ce même arrêt, la cour a annulé cette décision et a enjoint la délivrance du visa sollicité dans un délai de deux mois. Celui-ci a été délivré à M. D..., le 8 février 2018. Le 17 mai suivant, M. et Mme D... ont sollicité l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du refus de visa opposé à M. D.... Le silence gardé pendant plus de deux mois sur cette demande par le ministre de l'intérieur a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. et Mme D... une somme de 1 765,06 euros, assortie des intérêts à compter du 17 mai 2018 et de la capitalisation de ces intérêts au 17 mai 2019 et, à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en réparation des préjudices matériel et moral subis par M. et Mme D..., a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à leur conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme D.... Ces derniers relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande indemnitaire.

Sur la responsabilité :

2. Par un arrêt du 30 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé, sur requête de M. et Mme D..., la décision du 18 septembre 2014 de la commission de recours au motif que cette commission avait fait une inexacte application de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se fondant, pour refuser le visa sollicité par M. D... en qualité de conjoint d'une ressortissante française que son mariage était frauduleux. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de ce dernier et de son épouse, pour autant qu'il en soit résulté pour eux un préjudice direct et certain.

Sur le préjudice :

En ce qui concerne les préjudices matériels :

S'agissant des frais de voyage entre la France et l'Algérie :

3. Il résulte de l'instruction que, postérieurement au refus de visa opposé à M. D..., son épouse lui a rendu visite à Oran, en Algérie, du 26 janvier 2016 au 17 février suivant et qu'elle s'y est rendue en avion, pour un montant de 228 euros, ainsi qu'il ressort des justificatifs versés au dossier. Ces frais de voyage présentent un lien de causalité direct avec l'illégalité entachant le refus de visa opposé à M. D.... M. et Mme D... peuvent donc prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 228 euros.

S'agissant des frais de téléphone :

4. Il résulte de l'instruction que Mme D... a droit à l'indemnisation des frais d'appels téléphoniques passés à son époux depuis son retour en Algérie, sans qu'y fasse obstacle la possibilité d'utiliser gratuitement des applications de messagerie instantanée. Il ressort des justificatifs produits que Mme D... a passé deux appels à son époux depuis le téléphone de son voisin, pour un montant de 23,23 euros, qu'elle a acheté deux recharges téléphoniques d'un montant de 10 euros chacune permettant d'appeler le Maghreb, et que ses relevés d'appels téléphoniques indiquent 5 appels passés vers le numéro de son époux, pour un montant total de 14,46 euros. Ces frais présentent aussi un lien de causalité directe avec l'illégalité fautive entachant le refus de visa opposé à M. D.... M. et Mme D... peuvent donc prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 57,69 euros.

S'agissant des frais de justice :

5. Les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative (CJA), le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions.

6. Il résulte de l'instruction que Mme D... qui, n'a pas bénéficié des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, peut bénéficier des frais d'affranchissement des courriers postaux qu'elle a adressés à son conseil devant le tribunal administratif, dans le cadre de la contestation du refus de visa opposé à son époux. Il résulte de l'instruction qu'hormis deux accusés de réception de courriers adressés en 2017 à des destinataires sans lien avec l'illégalité du refus de visa contesté (n°s 1 A 125 777 6323 3 et 1A 141 311 032 4), un accusé de réception dont les mentions, illisibles, ne permettent pas d'identifier le destinataire (n°1A 136 107 4650 3) et une facture de 5,80 euros du 2 mars 2017 dont le lien avec l'illégalité invoquée n'est pas établie, les justificatifs produits attestent des frais exposés par Mme D... pour expédier des courriers à son conseil, à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ainsi qu'au ministre de l'intérieur. Ces frais d'affranchissement présentent un lien de causalité direct avec l'illégalité affectant le refus de visa opposé à M. D.... Au vu des justificatifs produits, M. et Mme D... peuvent donc prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 121,04 euros.

En ce qui concerne les préjudices moraux et les troubles dans les conditions d'existence :

7. Il résulte de l'instruction que le refus de délivrance du visa de long séjour sollicité par M. D... a été, tant pour lui que pour son épouse, à l'origine d'anxiété et de troubles dans leurs conditions d'existence au cours de la période comprise entre le 29 août 2014, date à laquelle les autorités consulaires françaises à Oran ont expressément refusé de délivrer un visa à M. D..., et le 8 février 2018, date à laquelle ce dernier s'est vu délivrer le visa sollicité. Au cours de cette période, Mme D... a notamment suivi un traitement médicamenteux en raison de l'état anxiodépressif consécutif à l'absence de son époux. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des troubles subis par M. et Mme D... dans leurs conditions d'existence, en les évaluant à la somme de 5 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à demander que le montant de l'indemnité que le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à leur verser soit porté à la somme de 5 406,73 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

9. M. et Mme D... ont droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 5 406,73 euros à compter du 17 mai 2018 date de réception de la demande indemnitaire par le ministre de l'intérieur.

10. La capitalisation des intérêts a été demandée le 14 janvier 2020. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 1 765,06 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. et Mme D... par le jugement du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes est portée à 5 406,73 euros.

Article 2 : Le jugement du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme C... B... épouse D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01369


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01369
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-04;23nt01369 ?
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