Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune du Mans a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet de la Sarthe a fixé le montant de la reprise financière au titre de son exercice 2019 à la somme de 2 485 937 euros en application de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Par un jugement n° 2101594 du 29 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 janvier et 3 décembre 2024, la commune du Mans, représentée par Me Marchand, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 décembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dépenses de fonctionnement du centre de santé qu'elle a créé en 2018 correspondent à la survenance d'éléments exceptionnels affectant significativement son résultat comptable au sens de l'article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 et auraient dû, dès lors, être prises en compte par le préfet aux termes de l'arrêté litigieux ; la notion de dépenses exceptionnelles ne se limite pas au seul cas de force majeure ; la désertification médicale observée sur le territoire communal constitue une circonstance exceptionnelle ; la création du centre de santé a pour objet de faire face à cette situation d'urgence ; le préfet ne pouvait pas se fonder sur une liste limitative de dépenses exceptionnelles ; la comparaison du niveau des dépenses réelles de fonctionnement d'une année sur l'autre doit nécessairement tenir compte de la création ou du développement de politiques publiques par les communes ; le préfet a ainsi commis une erreur d'appréciation ;
- la reprise financière en litige porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et à celui de la liberté contractuelle.
Par des mémoires en défense enregistrés les 24 et 25 octobre 2024, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la commune du Mans n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chabernaud,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gourdain, substituant Me Marchand, pour la commune du Mans.
Considérant ce qui suit :
1. La commune du Mans a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet de la Sarthe a fixé le montant de la reprise financière au titre de son exercice budgétaire 2019 à la somme de 2 485 937 euros en application de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Par un jugement n° 2101594 du 29 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête. La commune du Mans fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 : " I. Des contrats conclus à l'issue d'un dialogue entre le représentant de l'Etat et les régions, la collectivité de Corse, les collectivités territoriales de Martinique et de Guyane, les départements et la métropole de Lyon ont pour objet de consolider leur capacité d'autofinancement et d'organiser leur contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public. Des contrats de même nature sont conclus entre le représentant de l'Etat, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont les dépenses réelles de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l'année 2016 sont supérieures à 60 millions d'euros. (...) III. - Les dépenses réelles de fonctionnement s'entendent comme le total des charges nettes de l'exercice entraînant des mouvements réels au sein de la section de fonctionnement des collectivités ou établissements concernés. Elles correspondent aux opérations budgétaires comptabilisées dans les comptes de classe 6, à l'exception des opérations d'ordre budgétaire, et excluent en totalité les valeurs comptables des immobilisations cédées, les différences sur réalisations (positives) transférées en investissement et les dotations aux amortissements et provisions. / (...) V. - A compter de 2018, il est constaté chaque année la différence entre le niveau des dépenses réelles de fonctionnement exécuté par la collectivité territoriale ou l'établissement et l'objectif annuel de dépenses fixé dans le contrat. Cette différence est appréciée sur la base des derniers comptes de gestion disponibles. Dans le cas où cette différence est supérieure à 0, il est appliqué une reprise financière dont le montant est égal à 75 % de l'écart constaté. Le montant de cette reprise ne peut excéder 2 % des recettes réelles de fonctionnement du budget principal de l'année considérée. Le niveau des dépenses réelles de fonctionnement considéré pour l'application du deuxième alinéa du présent V prend en compte les éléments susceptibles d'affecter leur comparaison sur plusieurs exercices, et notamment les changements de périmètre et les transferts de charges entre collectivité et établissement à fiscalité propre ou la survenance d'éléments exceptionnels affectant significativement le résultat. Le représentant de l'Etat propose, s'il y a lieu, le montant de la reprise financière. La collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dispose d'un mois pour adresser au représentant de l'Etat ses observations. Si la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre présente des observations, le représentant de l'Etat, s'il y a lieu, arrête le montant de la reprise financière. Il en informe la collectivité ou l'établissement en assortissant cette décision d'une motivation explicite. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le mécanisme de reprise financière prévu pour les collectivités engagées contractuellement avec l'Etat ne s'applique qu'à l'issue d'une procédure contradictoire. Sous le contrôle du juge administratif, le représentant de l'Etat doit prendre en compte les éléments susceptibles d'affecter la comparaison du niveau des dépenses réelles de fonctionnement de l'année en cause avec celui des exercices précédents. Il en va ainsi, notamment, des changements de périmètre des compétences des collectivités territoriales, des transferts de compétences opérés entre collectivités ou établissements publics de coopération intercommunale et de la survenance de certains " éléments exceptionnels ". Le montant de la reprise ne peut, dans tous les cas, excéder 2 % des recettes réelles de fonctionnement du budget principal de l'année considérée.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 6323-1 du code de la santé publique : " Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité, dispensant des soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours et pratiquant à la fois des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre, sans hébergement, ou au domicile du patient. Ils assurent, le cas échéant, une prise en charge pluriprofessionnelle, associant des professionnels médicaux et des auxiliaires médicaux. (...) ". Selon l'article L. 6323-1-3 du même code : " I.-Les centres de santé sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par les départements, soit par les communes (...). ".
5. Par un contrat signé le 5 juillet 2018, confirmé par un arrêté du préfet de la Sarthe du 30 août suivant, l'Etat et la commune du Mans ont défini le niveau maximum annuel des dépenses réelles de fonctionnement que la commune s'est engagée à atteindre au titre des années 2018 à 2020 en application des dispositions précitées de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Le préfet a, par la suite, constaté un écart entre le niveau des dépenses réelles de fonctionnement réalisées par la commune en 2019 et le niveau maximal de ces dépenses fixé par l'arrêté précité du 30 août 2018, qui prend comme base de référence l'année 2017 majorée d'un taux annuel d'augmentation maximum des dépenses de fonctionnement de 1,2 %. Aux termes de l'arrêté contesté du 30 décembre 2020, le préfet a donc procédé à une reprise financière à hauteur de 75 % de cet écart, soit la somme de 2 485 937 euros, et rejeté la demande de la commune du Mans tendant à neutraliser les dépenses de fonctionnement relatives au centre de santé communal créé en 2018, qui se sont élevées, en 2019, à la somme de 540 223 euros.
6. La création de ce centre de santé et les dépenses de fonctionnement qu'elle entraîne ne peuvent être regardées comme correspondant à la survenance d'éléments exceptionnels au sens des dispositions précitées du V de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018, dès lors qu'elles se rapportent à la décision de la commune du Mans de prendre en charge volontairement un nouvel équipement, ainsi que le service de soins y afférent, sur le fondement des articles L. 6323-1 et L. 6323-1-3 précités du code de la santé publique, afin de répondre aux besoins de sa population, et ce dans la durée. Toutefois, la création d'un tel centre de santé en 2018 constitue un élément susceptible d'affecter de manière significative les compétences de la commune et la comparaison des dépenses réelles de fonctionnement entre les exercices, au sens de ces mêmes dispositions, dès lors que l'année de référence retenue par le préfet est 2017 et que la reprise financière litigieuse est opérée au titre de l'année 2019. Par ailleurs, ni les dispositions de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 ni celles de leur décret d'application n° 2018-309 du 27 avril 2018 ne dressent une liste limitative des éléments devant être pris en compte à ce titre et, dès lors, ne peuvent être regardées comme excluant les dépenses de fonctionnement se rattachant à une nouvelle compétence exercée à titre facultatif par une collectivité territoriale dans la mesure où celles-ci correspondent à un besoin de la population locale, comme c'est le cas en l'espèce au regard de la désertification médicale que connaît le département de la Sarthe et qui justifie d'ailleurs le versement, pour le centre de santé communal, d'une aide de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Sarthe et d'une subvention du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Dans ces conditions, il appartenait au préfet de la Sarthe d'écarter les dépenses de fonctionnement relatives au centre de santé exposées par la commune du Mans au titre de l'exercice 2019, pour un montant de 540 223 euros, de l'assiette de la reprise financière qu'il a effectuée aux termes de son arrêté du 30 décembre 2020. En conséquence, cet arrêté doit être annulé dans cette mesure.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen soulevé, que la commune du Mans est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 décembre 2020.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la commune du Mans au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 29 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 décembre 2020 est annulé en tant qu'il intègre dans l'assiette de la reprise financière mise à la charge de la commune du Mans en application du V de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 les dépenses de fonctionnement relatives au centre de santé communal exposées au titre de l'exercice 2019 pour un montant de 540 223 euros.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la commune du Mans au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Mans et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2025.
Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de la Sarthe chacun en ce qui les concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00240