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21/03/2025 | FRANCE | N°24NT00150

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 21 mars 2025, 24NT00150


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national des accidents médicaux, des affections et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser de ses préjudices au titre de l'assistance d'une aide-ménagère et de lui allouer la somme de 34 599,72 euros au titre de ses autres préjudices personnels et patrimoniaux.



Par un jugement n°2100369 du 24 novembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 18 janvier 2024, Mme B...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national des accidents médicaux, des affections et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser de ses préjudices au titre de l'assistance d'une aide-ménagère et de lui allouer la somme de 34 599,72 euros au titre de ses autres préjudices personnels et patrimoniaux.

Par un jugement n°2100369 du 24 novembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 janvier 2024, Mme B..., représentée par

Me Quesnel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 novembre 2023 ;

2°) de condamner l'ONIAM à l'indemniser de ses préjudices au titre de l'assistance d'une aide-ménagère et de lui allouer la somme de 34 599,72 euros au titre de ses autres préjudices personnels et patrimoniaux ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal et les affirmations du médecin référent de l'ONIAM, sa chute survenue le 21 octobre 2012 a bien été provoquée par la rupture de sa prothèse.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 13 mars et 25 juillet 2024, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise avant dire droit soit ordonnée.

Il fait valoir que :

- la solidarité nationale n'est pas engagée alors qu'aucune investigation n'a été faite sous la forme d'un signalement aux fabricants du matériel et d'une enquête métallurgique et, par ailleurs, à supposer que le bris de la prothèse soit imputable à un défaut, seule la responsabilité du producteur du produit de santé ou la responsabilité sans faute du service public hospitalier peuvent être recherchées ;

- il existe une incertitude sur la cause de la rupture de la prothèse : les dommages subis par l'intéressée ne sont pas imputables à un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique en l'absence de faute médicale,

- si la cour s'estime insuffisamment éclairée, il y a lieu d'ordonner une expertise avant dire droit pour déterminer la ou les causes du dommages et les responsabilités.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2024, la société Stryker France, représentée par Mes Gateau et Renard, conclut :

- à titre principal, à l'incompétence de la juridiction administrative et à sa mise hors de cause ;

- à titre subsidiaire, au rejet de la demande d'expertise avant dire droit présentée par l'ONIAM,

- à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'une expertise avant dire droit soit ordonnée ;

- à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître d'une action en responsabilité dirigée contre une entreprise privée, en l'occurrence le fabricant d'un produit de santé défectueux ;

- le lien de causalité entre le bris de la prothèse et le prétendu défaut de sa fabrication n'est pas établi alors qu'une rupture de prothèse peut avoir de multiples causes et qu'aucun défaut de série du type de prothèse de hanche implantée sur Mme B... n'est connu ;

- le recours à une expertise serait parfaitement inutile alors, qu'ainsi que l'a qualifiée le Dr A..., expert de la CCI de Bretagne, cette rupture constitue un accident médical non fautif ;

- si une expertise était ordonnée, il conviendrait de confier à l'expert entre autres missions celle de préciser si la rupture peut avoir pour origine un mauvais assemblage lors de l'opération d'implantation ou un défaut de la prothèse posée le 2 novembre 2010.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2024, la société Protheos industrie, représentée par Me Cariou, conclut à l'incompétence de la juridiction administrative et à sa mise hors de cause et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître d'une action en responsabilité dirigée contre une entreprise privée,

- la responsabilité d'un producteur de produit de santé ne peut être engagée qu'en cas de défectuosité prouvée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce alors que l'expert de la CCI de Bretagne et la CCI de Bretagne ont retenu que la rupture de la prothèse procédait d'un accident médical non fautif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2024, le centre hospitalier de Quimper, représenté par le cabinet Le Prado et Gilbert, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que les conclusions présentées par Mme B... n'étant pas dirigées contre l'hôpital, il doit être mis hors de cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née le 10 avril 1955, a développé une coxarthrose bilatérale et a bénéficié au centre hospitalier de Quimper, le 10 juin 2010, d'une opération de mise en place d'une prothèse de hanche droite et le 2 novembre 2010, d'une prothèse de la hanche gauche. Le 21 octobre 2012, Mme B... indique avoir ressenti une douleur brutale entraînant sa chute et a été transportée aux urgences du centre hospitalier de Bretagne sud à Lorient. Les radiographies pratiquées ont montré une rupture de la partie supérieure de l'implant fémoral de la prothèse de la hanche gauche. Mme B... a dû subir au centre hospitalier de Quimper une opération de reprise de la prothèse de hanche gauche et être immobilisée pendant de longs mois. Le 31 juillet 2015, l'intéressée a demandé à être indemnisée de ses dommages à la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Bretagne à raison de la rupture prématurée après seulement deux années de sa prothèse de hanche gauche. Par un avis du 1er juin 2017, la CCI de Bretagne a considéré que la rupture prématurée de la prothèse de Mme B... constituait un accident médical non fautif engageant la solidarité nationale. Le 15 septembre 2017, l'ONIAM a néanmoins informé Mme B... qu'il refusait de suivre l'avis émis par la CCI de Bretagne estimant que l'accident subi par Mme B... ne relevait pas d'un cas d'engagement de la solidarité nationale mais du régime de responsabilité applicable en matière de défectuosité d'un produit de santé. Par un jugement 24 novembre 2023, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'indemnisation présentée à l'encontre de l'ONIAM au motif qu'aucun lien direct n'était établi entre la rupture de la prothèse et l'acte de soins réalisé deux ans plus tôt.

2 . Dans un arrêt du 21 décembre 2011 par lequel elle s'est prononcée sur une question dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " la responsabilité d'un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d'une prestation de services telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n'est pas le producteur au sens des dispositions de l'article 3 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation ne relève pas du champ d'application de cette directive " et que " cette dernière ne s'oppose dès lors pas à ce qu'un État membre institue un régime,(...) prévoyant la responsabilité d'un tel prestataire à l'égard des dommages ainsi occasionnés, même en l'absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ".

3. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt n° C-495/10 du 21 décembre 2011 que la directive 85/374/CEE du

25 juillet 1985 ne fait pas obstacle à l'application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d'être exercées à l'encontre du producteur d'un produit de santé ou appareil de santé, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise. Ce principe trouve à s'appliquer lorsque le service public hospitalier implante, au cours de la prestation de soins, un produit ou un appareil de santé défectueux dans le corps d'un patient.

4. Aux termes de l'article 1245-3 du code civil, issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 mentionnée ci-dessus : " Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. / (...) ". En conséquence, à supposer même qu'il puisse être établi comme certain que le centre hospitalier de Quimper ait utilisé le 2 novembre 2010, une prothèse défectueuse dans le cadre de l'opération de la hanche gauche de Mme B..., seule la responsabilité sans faute de l'établissement de santé ayant utilisé le produit de santé au cours de l'acte de soins pouvait être recherchée pour réparer les conséquences dommageables subies par la requérante ayant résulté de l'utilisation d'un produit de santé défectueux. En cas de condamnation de l'établissement public de santé au titre de la responsabilité sans faute du fait de la prothèse défectueuse, il est alors loisible à cet établissement de santé d'exercer une action récursoire à l'encontre du producteur du produit de santé. Par suite, l'action en responsabilité présentée par Mme B... à l'encontre de l'ONIAM n'est pas susceptible d'engager la solidarité nationale et est donc mal dirigée.

5. Il résulte de ce qui précède, que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les exceptions d'incompétence soulevées par les sociétés Stryker France et Prothéos industries, Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme B... et aux sociétés Stryker France et Prothéos industrie les sommes qu'elles demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les sociétés Stryker France et Prothéos industrie sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la société Stryker France et la société Prothéos industrie.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00150


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00150
Date de la décision : 21/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SARL LE PRADO GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-21;24nt00150 ?
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