Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... E... et M. D... F... D... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 février 2021 de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à M. D... F... D... C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2210545 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2023, M. B... D... E... et M. D... F... D... C..., représentés par Me Rouillé-Mirza, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 24 mai 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à M. D... E... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en ce qu'elle examine la condition d'âge du réunifiant en se plaçant à la date de la demande de réunification familiale et non à la date de demande de protection internationale du réunifiant, la décision contestée méconnaît la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... D... E... et de M. D... F... D... C... tendant à l'annulation de la décision du 24 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 février 2021 de l'autorité consulaire française à Khartoum refusant de délivrer à M. D... F... D... C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale. M. B... D... E... et M. D... F... D... C... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.
3. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (C 133/19, C-136/19 et C-137/19) du 16 juillet 2020 et Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C-279/20) du 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales. Tel est le cas lorsque l'enfant, mineur au moment de la demande d'asile, est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent demandant le bénéfice du droit au regroupement familial. Dans cette situation, l'âge de l'enfant doit être apprécié à la date de la demande d'asile, sous réserve que la demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection et peu important que l'Etat membre concerné ait fait usage ou non de la faculté ouverte par l'article 12 de la même directive de fixer un délai pour introduire une demande de regroupement familial dont le non-respect permet d'opposer les conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du droit au regroupement familial de droit commun des étrangers.
4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais (...) ". Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande.
6. Toutefois, eu égard à ce qui a été dit au point 3, les dispositions précitées des articles L. 561-2, L. 561-5 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent recevoir application dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Dans cette hypothèse, sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection, l'âge doit être apprécié à la date de la demande d'asile.
7. Pour refuser de délivrer le visa sollicité par M. D... F... D... C... en tant que fils de M. B... D... E..., à qui a été reconnu la qualité de réfugié par décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 octobre 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur un motif tiré de ce que M. D... F... D... C..., âgé de plus de 19 ans à la date de la demande de visa, n'entrait pas dans le champ de la réunification familiale.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. D... F... D... C..., né le 29 septembre 1999, avait dépassé son dix-neuvième anniversaire lors de sa première démarche tendant à la délivrance d'un visa au titre de la réunification familiale en juillet 2019. D'autre part, s'il a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de M. B... D... E... formée le 17 août 2016 et la reconnaissance, le 12 octobre 2018, de la qualité de réfugié de ce dernier par décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sa demande de réunification familiale n'a pas été présentée dans les trois mois suivant la décision octroyant à son père le statut de réfugié. Ainsi, en refusant de lui délivrer le visa d'entrée et de long séjour sollicité au titre de la réunification familiale, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit au regard des articles L. 561-2, L. 561-5 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni méconnu l'article 4 de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
10. Alors même que la mère et les cinq frères et sœurs de M. D... F... D... C... ont obtenu des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale, l'intéressé, âgé de 22 ans et dix mois à la date de la décision contestée, n'a pas vocation à demeurer auprès de ses parents et de sa fratrie. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé serait, comme il le soutient, sans famille, sans logement et sans revenu au Soudan, pays dont il a la nationalité et dans lequel il a toujours vécu. Dans ces conditions, la décision contestée n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux objectifs en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... D... E... et M. D... F... D... C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... D... E... et M. D... F... D... C..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... D... E... et M. D... F... D... C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. B... D... E... et M. D... F... D... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... D... E... et M. D... F... D... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... E..., à M. D... F... D... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02287