Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D... E... et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 20 août 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 31 mai 2022 des services consulaires de l'ambassade de France en Iran refusant de délivrer à M. D... E... et aux enfants C... D... E... et G... D... E... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2211821 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 août 2022 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée par M. D... E... et Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France pouvait être légalement fondée sur les motifs tirés de ce que Mme A... est entrée frauduleusement sur le territoire français et de ce que, ayant bénéficié du principe d'unité familiale, elle ne peut en faire bénéficier les membres de sa propre famille.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 août 2023 et 2 novembre 2023, M. D... E... et Mme A..., représentés par Me Alquier, concluent au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les décisions de refus de visa ne sont pas motivées ;
- la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas régulièrement examiné leur recours ;
- la décision de refus de visa est entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de visa méconnaît les stipulations des articles 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les moyens invoqués par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2023, M. D... E... et Mme A..., représentés par Me Alquier, concluent au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête du ministre de l'intérieur.
Ils soutiennent que le litige a perdu son objet dès lors que les visas sollicités ont été délivrés à M. D... E... et aux enfants C... D... E... et G... D... E....
M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... E... et de Mme A..., la décision implicite née le 20 août 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 31 mai 2022 des services consulaires de l'ambassade de France en Iran refusant de délivrer à M. D... E... et aux enfants C... D... E... et G... D... E... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur l'exception de non-lieu :
2. La circonstance que, ainsi que le lui avait enjoint le jugement attaqué, le ministre de l'intérieur a délivré à M. D... E... et aux enfants C... D... E... et G... D... E... les visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale sollicités pour eux ne rend pas sans objet son recours formé contre ce jugement. L'exception de non-lieu opposée par M. D... E... et Mme A... doit dès lors être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'une personne bénéficiant de la qualité de réfugié, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. "
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du 11 mars 2021 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le ministre de l'intérieur ne conteste pas que M. D... E..., qu'elle a épousé le 13 août 2016, est son conjoint, ni que les enfants C... D... E... et G... D... E... nés, respectivement, les 29 mai 2017 et 18 août 2018, sont les enfants du couple, ainsi qu'en attestent les documents d'état-civil établis par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qu'elle produit.
5. En premier lieu, la circonstance, à la supposer établie, que Mme A... est entrée irrégulièrement sur le territoire français serait sans incidence sur sa qualité de personne bénéficiant de la protection subsidiaire et, par suite, sur son droit à être rejointe par son époux et les enfants du couple au titre de la réunification familiale. Le ministre de l'intérieur n'est dès lors pas fondé à soutenir que la décision de refus de visa litigieuse pouvait être légalement fondée sur un motif tiré de ce que Mme A... est entrée frauduleusement sur le territoire français.
6. En deuxième lieu, le ministre ne peut utilement se prévaloir du principe selon lequel une personne s'étant vu reconnaître le statut de réfugié au bénéfice du principe d'unité familiale ne peut à son tour faire bénéficier du même principe les membres de sa propre famille pour l'octroi d'une protection internationale, dès lors que la décision contestée n'a pas pour objet la reconnaissance de la qualité de réfugié.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 août 2022 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés au litige :
8. M. D... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Alquier de la somme de 1 200 euros hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Alquier une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Mme B... A... et à M. F... D... E....
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02103