Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... F... I... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 juillet 2021 par laquelle la commission des recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à Mme A... D... F... et à l'enfant G... C... F... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2204097 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 mai et 8 novembre 2023, M. C... F... I..., représenté par Me Lietavova, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 28 juillet 2021 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- il justifie de l'existence d'une vie commune avec sa concubine avant sa demande d'asile ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle oppose le caractère partiel de la demande de réunification à l'ensemble des membres de sa famille alors que le principe d'unité familiale s'applique principalement aux enfants ;
- la décision contestée méconnaît l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son fils B... est issu de la brève relation qu'il a eue avec une autre femme, avec laquelle il n'a jamais vécu et qu'il n'est pas de l'intérêt supérieur de sa fille, qui ne connaît pas son demi-frère, de demeurer auprès de lui ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. C... F... I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet,
- et les observations de Me Lietavova, pour M. F... I....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... I..., de nationalité érythréenne, né le 9 septembre 1988 à Asmara (Erythrée), est entré en France le 23 novembre 2014. Par une décision du 21 août 2015 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), M. F... I... s'est vu reconnaître la qualité de réfugié. Le 13 octobre 2019, son épouse présumée, Mme A... D... F... et sa fille présumée, la jeune G... C... F..., ont sollicité la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Les autorités consulaires françaises à Khartoum ont refusé de leur délivrer les visas sollicités. Par une décision du 28 juillet 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires. Par un jugement du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. F... I... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. M. F... I... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour rejeter la demande de visa de long séjour présentée pour Mme A... D... F... et l'enfant G... C... F..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, du caractère fluctuant des déclarations de M. F... I... quant à sa situation matrimoniale et familiale, d'autre part, du caractère non probant des certificats de naissance de Mme A... D... F... et de l'enfant alléguée G... C... F... et, enfin, du caractère partiel de la demande de réunification familiale en ce qu'elle n'inclut pas le second enfant allégué du réunifiant, B..., né le 26 décembre 2010.
3. En premier lieu, aux termes aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...)/ ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. S'agissant de l'enfant G... C... F..., il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance, établi le 15 mars 2017, produit devant la commission de recours pour justifier de son lien de filiation à l'égard de M. F... I..., mentionnait une date de naissance de la mère de l'enfant, Mme A... D..., le 1er janvier 1996, date distincte de celle du 28 septembre 1992 indiquée sur l'acte de naissance de cette dernière. Toutefois, M. F... I... a produit, devant le tribunal administratif de Nantes, un courrier du 14 décembre 2021 par lequel le bureau d'enregistrement de la sous-région de Mai Aini reconnaît l'erreur commise sur la date de naissance de Mme A... D... ainsi qu'un nouvel acte de naissance de l'enfant G... C... F... mentionnant la naissance de l'intéressée à la date rectifiée du 28 septembre 1992. L'anomalie relevée par la commission de recours ayant été corrigée et le ministre ne contestant plus le caractère probant de l'acte de naissance de l'enfant G... C... F..., l'identité et le lien de filiation de l'enfant G... C... F... à l'égard de M. F... I... doivent être regardés comme établis.
7. S'agissant de Mme A... D..., il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité, celle-ci a produit un acte de naissance délivré le 11 janvier 2017 par le bureau d'état-civil de la sous-région de Mai Aini. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le ministre, Mme A... D... est née dans la localité de Adi Golgol, située dans la sous-région de Mai Aini, ainsi que l'indique cet acte de naissance. Les autres mentions, relatives à ses nom et prénom, à sa date de naissance et à sa propre filiation, de cet acte sont concordantes entre elles et avec les autres pièces du dossier, et ne sont d'ailleurs pas critiquées par le ministre.
8. Par ailleurs, pour justifier de l'existence, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, d'une relation de concubinage avec Mme A... D..., le requérant a produit un acte de fiançailles le liant, le 31 mai 2013, à Mme A... D... F.... Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 6, que de sa relation avec cette dernière est née, le 4 novembre 2013, l'enfant G.... Il ressort également des pièces du dossier que M. F... I... a poursuivi, dès son arrivée en France en 2014, et a maintenu sa relation avec sa compagne et sa fille, ainsi qu'en témoignent les nombreux échanges téléphoniques produits et les justificatifs d'envoi de mandats financiers et de colis par l'intermédiaire de compatriotes se déplaçant au Soudan où ces dernières se sont réfugiées.
9. Il résulte des points 6 à 8 que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une application inexacte des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en considérant que l'identité de l'enfant G... C... F... et celle de Mme A... D... F... ainsi que le lien de filiation de la première et le lien marital de la seconde à l'égard de M. F... I... n'étaient pas établis.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Il résulte de ces dispositions que le regroupement familial doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'un regroupement familial partiel ne peut être autorisé à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie. L'intérêt des enfants doit s'apprécier au regard de l'ensemble des enfants mineurs du couple, qu'ils soient ou non concernés par la demande de regroupement. C'est au ressortissant étranger qu'il incombe d'établir que sa demande de regroupement familial partiel est faite dans l'intérêt des enfants.
11. Il est constant qu'aucune demande de visa n'a été déposée le 13 octobre 2019 pour le jeune B..., enfant de M. F... I..., alors que ce dernier a déclaré, le 30 septembre 2017 dans sa fiche familiale de référence à l'OFPRA, être père de cet enfant. Toutefois, et alors qu'il explique que les mentions portées sur la fiche familiale de référence résultent d'une mauvaise compréhension de sa situation familiale par la personne qui l'a assisté lorsqu'il a renseigné ce document, M. F... I... établit que le jeune B... est issu d'une autre relation qu'il a eue avec Mme E..., en produisant un certificat de baptême qui, s'il ne constitue pas un document d'état-civil, mentionne Mme E... et M. F... I... comme la mère et le père du jeune B..., le carnet de santé de l'enfant qui mentionne également ces derniers comme ses parents ainsi que la carte d'identité de Mme E.... En outre, les allégations du requérant selon lesquelles le jeune B... réside en Erythrée avec sa mère, et non au Soudan où s'est réfugiée Mme A... H... F... avec l'enfant G..., sont corroborées par les transferts d'argent qu'il a effectués à destination de l'Erythrée pour le compte de son ancienne compagne, Mme E.... Il s'ensuit que la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se fondant sur le caractère partiel de la demande de réunification familiale pour refuser de délivrer les visas sollicités.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. F... I... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 juillet 2021 de la commission de recours refusant de délivrer les visas sollicités pour l'enfant G... C... F... et Mme A... D... F....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit aux demandes de visa. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités par Mme A... D... F... et l'enfant G... C... F..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir, dans les circonstances de l'espèce, cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. M. F... I... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Lietavova dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 28 juillet 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour Mme A... D... F... et l'enfant G... C... F... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... D... F... et l'enfant G... C... F... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Lietavova une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. C... F... I... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01356