Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme P... K... E..., M. R... G..., M. Q... K... et Mme B... N... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions de l'autorité consulaire française Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. G..., M. K..., Mme N... et aux enfants O... D... et I... J... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2207598 du 27 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistré le 21 avril 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme K... E..., M. G..., M. K... et Mme N... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les refus de visa opposés à M. G... et M. K... ne sont pas entachés d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 561-2 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les intéressés étaient âgés de plus de 19 ans à la date d'introduction de la demande de réunification familiale ;
- les documents d'état-civil produits pour établir l'identité et le lien de filiation de M. G... et M. K... revêtent un caractère frauduleux ;
- les documents d'état-civil produits pour établir l'identité et le lien familial de Mme J..., Mme D... et Mme N... sont entachés d'irrégularité leur ôtant toute valeur probante ;
- les liens familiaux allégués ne sont pas établis par possession d'état.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2024, Mme K... E..., M. G..., M. K... et Mme N..., représentés par Me Béarnais, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les décisions de refus de visa en litige méconnaissent l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme K... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 27 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme K... E..., M. G..., M. K... et Mme N..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 22 février 2022 des autorités consulaires françaises à Kinshasa rejetant les demandes de visa de long séjour présentées, au titre de la réunification familiale, pour M. K..., Mme N... et les enfants O... D... et I... J..., qui se sont substituées à des décisions implicites des mêmes autorités nées le 6 septembre 2021, ainsi que contre la décision implicite, née le 6 septembre 2021, émanant de la même autorité rejetant la demande de visa d'entrée et de long séjour présentée pour M. G... au titre de la réunification familiale. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables (...) ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ".
3. Aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire formé à l'encontre des décisions de refus de visa de l'autorité consulaire, adressé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 5 janvier 2022, que, pour rejeter la demande de visa de long séjour présentée pour M. K..., Mme N... et les enfants O... D... et I... J... au titre de la réunification familiale, la commission de recours s'est appropriée les motifs de refus opposés par l'autorité consulaire dans ses décisions du 22 février 2022, tirés, pour chacun, de ce que les déclarations de l'intéressé conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale et en outre, pour M. K..., de ce que l'intéressé était âgé de plus de 19 ans à la date de sa demande de visa, pour Mme N..., de ce que l'acte d'état-civil présenté n'est pas conforme à la législation locale et, pour les enfants O... D... et I... J..., de ce que, l'autre parent n'étant ni décédé, ni déchu de l'autorité parentale, l'intérêt supérieur de l'enfant commande qu'il reste auprès de cet autre parent dans son pays d'origine. Il ressort des écritures en défense du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes que, pour rejeter la demande de visa présentée pour M. G... au titre de la réunification familiale, la commission de recours s'est fondée sur deux motifs tirés, l'un, de ce que le lien de filiation unissant M. G... à Mme K... E... n'est pas établi et, l'autre, de ce que l'intéressé était âgé de plus de 19 ans à la date de sa demande de réunification familiale.
7. En premier lieu, pour justifier de l'identité et du lien de filiation de M. G..., ont été produits un jugement supplétif d'état-civil du tribunal de paix de Goma rendu sous le n° RC 589 le 5 mars 2017, ainsi qu'un acte de naissance n° 0144 établi par le bureau principal d'état-civil de Goma le 27 juillet 2018 en transcription de ce jugement. Ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur, si le jugement supplétif du 5 mars 2017 mentionne le prénom, le nom et la date de naissance de l'intéressé, il ne comporte aucune mention s'agissant de sa filiation et ne peut donc établir le lien de filiation entre M. G... et Mme K... E.... Si l'acte d'état-civil du 27 juillet 2018 renseigne la filiation maternelle de M. G..., il ajoute ainsi des mentions essentielles de l'état-civil au jugement supplétif du 5 mars 2017 et, dans cette mesure, ne peut être regardé comme transcrivant ce jugement. En outre, le jugement supplétif du 5 mars 2017 indique que M. G... est né le 30 avril 1999, tandis que l'acte de naissance établi en transcription indique qu'il est né le 30 mai 1999. Ainsi, c'est par une exacte application des dispositions précitées que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a estimé que le lien de filiation allégué entre M. G... et Mme K... E... n'était pas établi par les actes d'état-civil produits.
8. Toutefois, aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme K... E... a mentionné M. G... en le présentant comme son fils dans des échanges avec l'administration en vue du déclenchement d'une procédure de réunification familiale dans des courriers datés du 25 avril 2018 et du 9 juillet 2019, ainsi que dans un formulaire remis à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 septembre 2021. Mme K... E... et M. G... produisent en outre de nombreux transferts d'argent effectués par Mme K... E... pour l'entretien de ses enfants, depuis l'année 2018, dont une dizaine de transferts adressés directement à M. G... à compter de 2019. Ils produisent encore des attestations nombreuses et circonstanciées de personnes attestant de la composition de la famille de Mme K... E... et de sa volonté de le faire venir en France depuis sa propre entrée sur le territoire français. Ils produisent enfin des extraits de conversations sur messagerie instantanée et des photographies. Si ces éléments sont relativement récents, ils doivent être regardés, eu égard à leur nombre, leur diversité et leur caractère probant, comme établissant, par possession d'état, le lien de filiation allégué entre Mme K... E... et M. G.... Ainsi, en rejetant la demande de visa présentée au profit de M. G... au motif que son lien de filiation avec Mme K... E... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'appréciation au regard des dispositions précitées des articles L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 311-1 du code civil.
10. En deuxième lieu, pour justifier de l'identité et du lien de filiation de M. K... ont été produits un jugement supplétif d'état-civil rendu sous le n° RCG. 9.309/II le 6 mai 2020 par le tribunal de paix de Kinshasa Matete, ainsi qu'un acte de naissance n° 1722 établi par le service d'état-civil de Matete le 23 avril 2021 en transcription de ce jugement. Le ministre de l'intérieur fait valoir que l'intéressé s'est vu délivrer un passeport avant l'intervention du jugement supplétif du 6 mai 2020 et soutient que, dès lors que la réglementation locale prévoit qu'un acte d'état-civil doit être produit à l'appui d'une demande de passeport, cette circonstance établit que l'intéressé dispose d'un autre acte de naissance, antérieur au jugement supplétif, qui est pourtant motivé, notamment, par l'absence de tout acte d'état-civil de M. K.... Toutefois, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif du 6 mai 2020. Ainsi, en estimant que les actes produits ne permettent pas d'établir le lien de filiation unissant M. K... et Mme K... E..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
11. En troisième lieu, pour justifier de l'identité et du lien de filiation des autres enfants ont été produits un jugement supplétif d'état-civil commun aux trois enfants B... N..., O... D... et I... J... rendu, sous le n° RCE 5869bis/II par le tribunal pour enfants de Kinshasa/Matete, le 16 octobre 2008, ainsi que trois actes d'état-civil établis en transcription de ce jugement par le service d'état-civil de la commune de Matete, le 9 avril 2021, sous les n°s 1488, 1491 et 1492. D'une part, la circonstance que le jugement supplétif du 16 octobre 2008 a été rendu sur avis du ministère public et non après enquête du ministère public, dont le ministre de l'intérieur ne soutient d'ailleurs pas qu'il serait de ce fait contraire droit local, n'est pas de nature à faire regarder ce jugement comme revêtant un caractère frauduleux. D'autre part, la seule circonstance que les intéressées se sont vu délivrer un passeport avant l'intervention de ce jugement supplétif n'est pas, à elle seule, de nature à établir le caractère frauduleux de ce jugement. Enfin, la circonstance que le prénom et le nom des enfants I... J... et O... D... sont intervertis sur leur passeport n'est pas de nature à ôter aux actes d'état-civil produits leur caractère probant. Ainsi, en estimant que les actes produits ne permettent pas d'établir le lien de filiation unissant Mme N..., les enfants O... D... et I... J... et Mme K... E..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
12. En quatrième lieu, selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.
13. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (C 133/19, C-136/19 et C-137/19) du 16 juillet 2020 et Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C-279/20) du 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales. Tel est le cas lorsque l'enfant, mineur au moment de la demande d'asile, est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent demandant le bénéfice du droit au regroupement familial. Dans cette situation, l'âge de l'enfant doit être apprécié à la date de la demande d'asile, sous réserve que la demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection et peu important que l'Etat membre concerné ait fait usage ou non de la faculté ouverte par l'article 12 de la même directive de fixer un délai pour introduire une demande de regroupement familial dont le non-respect permet d'opposer les conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du droit au regroupement familial de droit commun des étrangers.
14. Aux termes l'article R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du même code que : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ".
15. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande.
16. Toutefois, eu égard à ce qui a été dit au point 13, les dispositions précitées des articles L. 561-2, L. 561-5 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent recevoir application dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Dans cette hypothèse, sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection, l'âge doit être apprécié à la date de la demande d'asile.
17. Le courrier daté du 25 avril 2018 adressé par Mme K... E... aux services du ministère de l'intérieur, qui se borne à solliciter des renseignements sur la procédure de réunification familiale sans demander la délivrance de visas, ne peut être regardé comme une première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale. En revanche, il ressort des pièces du dossier que, par lettre du 9 juillet 2019, reçue par les services du ministère de l'intérieur le 11 juillet 2019, Mme K... E... a sollicité des visas au titre de la réunification familiale pour M. G..., M. K..., Mme N... et les enfants O... D... et I... J... et a annoncé le dépôt de demandes de visa auprès des services consulaires compétents. Alors même que les demandes de visa n'ont été enregistrées par les services consulaires que le 6 juillet 2021, cette lettre doit être regardée comme constituant la première démarche tendant à l'obtention d'un visa au titre de la réunification familiale.
18. D'une part, à la date de la première démarche tendant à l'obtention d'un visa au titre de la réunification familiale, le 11 juillet 2019, M. K..., né le 29 novembre 2001, n'avait pas dépassé son dix-neuvième anniversaire. En refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale au motif que, à la date d'enregistrement de sa demande de visa, il avait dépassé son dix-neuvième anniversaire, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 561-1, L. 561-5 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
19. D'autre part, à la date de la première démarche tendant à l'obtention d'un visa au titre de la réunification familiale, le 11 juillet 2019, M. G..., né le 30 mai 1999, avait dépassé son dix-neuvième anniversaire. Par ailleurs, il n'a dépassé son dix-neuvième anniversaire qu'après que Mme K... E... s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 juin 2017 et ne peut dès lors se prévaloir de l'exception mentionnée au point 16 ci-dessus. Ainsi, en refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale au motif que, ayant dépassé son dix-neuvième anniversaire à la date de sa demande, il n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une exacte application des dispositions précitées.
20. Toutefois, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
21. La mère de M. G... réside en France et, la qualité de réfugiée lui ayant été reconnue, n'a pas vocation à retourner dans son pays d'origine. Les quatre membres de sa fratrie, avec lesquels M. G... a grandi, ont également vocation à rejoindre Mme K... E... en France au titre de la réunification familiale. Il n'est pas contesté que M. G..., dont la filiation paternelle est inconnue, est isolé et sans revenu dans son pays d'origine et qu'il était, à la date de la décision contestée, temporairement hébergé dans une institution religieuse. Dans ces conditions et alors même qu'il était âgé de vingt-deux ans à la date de la décision contestée, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
22. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 24 février 2022 en ce que cette décision refuse les visas sollicités pour M. K..., Mme N... et les enfants O... D... et I... J... et, d'autre part, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le même jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé la même décision en ce qu'elle refuse le visa sollicité pour M. G....
Sur les frais liés au litige :
23. Mme K... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Béarnais de la somme de 1 200 euros hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Béarnais une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Mme P... K... E..., à M. R... G..., à M. Q... K... et à Mme B... N....
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01160