Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de la décision n° 793-2022 du 11 avril 2022 par laquelle le préfet de la région Normandie a prononcé à son encontre des sanctions administratives en matière de pêche maritime.
Par un jugement n° 2202480 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 décembre 2023 et 1er août 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 septembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... A... présentée devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- la décision du préfet de la région Normandie du 11 avril 2022 est suffisamment motivée en ce qui concerne l'amende administrative appliquée à M. A... ainsi qu'en ce qui concerne les points de pénalité qui lui ont été attribués ;
- il est jugé par le Conseil d'Etat, en matière de sanctions administratives, qu'une décision de sanction est suffisamment motivée lorsqu'elle vise les textes qui définissent le manquement sanctionné et déterminent le mode de calcul de la sanction et qu'elle indique par ailleurs que la sanction est infligée en raison de la méconnaissance de ces textes ;
- le requérant était en mesure, à la lecture de la décision litigieuse, de comprendre la sanction qui lui était infligée et ses bases de calcul ;
- contrairement à ce que soutient M. A..., les trois manquements retenus contre lui sont suffisamment caractérisés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 juin 2024 et 2 septembre 2024,
M. B... A..., représenté par Me Croix et Me Hebert, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la décision n° 793/2022 du 11 avril 2022 est insuffisamment motivée ; ce défaut de motivation de la décision du 11 avril 2022 en vicie la légalité externe, mais aussi la légalité interne, faute que l'administration ait caractérisé la gravité des infractions qui lui étaient reprochées, condition prévue par les articles R. 946-4 à 946-21 du code rural et de la pêche maritime pour que des points de pénalité puissent être légalement infligés ; les moyens soulevés par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, les autres moyens invoqués en première instance doivent être accueillis, et notamment celui tiré de ce que le manquement à l'obligation de recourir à un système de pesée agréé pourrait lui être reproché ;
- en ne lui notifiant pas qu'il pouvait se taire dans le cadre de la procédure de sanction administrative, le préfet a méconnu les droits de la défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 404/2011 de la Commission du 8 avril 2011 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 28 juillet 2017 fixant les règles d'emport et d'utilisation des équipements d'enregistrement et de communication électronique des données relatives aux activités de pêche professionnelle au format ERS en version 3, à bord des navires sous pavillon français, ainsi que des navires sous pavillon étranger qui se trouvent dans les eaux sous juridiction française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 20 juillet 2021, les agents de l'unité affaires nautiques et contrôles de la direction départementale des territoires et de la mer du Calvados ont procédé à un contrôle croisé des données sur le navire de pêche " Morjolène " immatriculé CN 925 656, dont M. B... A... est capitaine et armateur. A l'issue de ce contrôle, il a été relevé par procès-verbal du 20 juillet 2021 que, sur la période du 1er février 2021 au 9 février 2021, le navire avait navigué et pêché la coquille Saint-Jacques dans une zone où la pêche était interdite, que M. A... n'avait pas respecté son obligation de peser les produits de sa pêche sur des systèmes de pesée agréés, et qu'il n'avait pas non plus respecté son l'obligation de transmettre, via son journal de pêche électronique, les données de ses activités de pêche. Par une décision du 11 avril 2022 prise en application de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, le préfet de la région Normandie a infligé à M. A..., pour l'ensemble de ces faits, une amende de 3 000 euros, six points de pénalités en sa qualité de capitaine du navire de pêche et six points de pénalités en sa qualité d'armateur du même navire, et a ordonné la publication de cette décision pendant trente jours auprès des représentants de la profession. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé pour insuffisance de motivation la décision prononçant ces sanctions.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime : " Indépendamment des sanctions pénales qui peuvent être prononcées et sous réserve de l'article L. 946-2, les manquements à la réglementation prévue par les dispositions du présent livre, les règlements de l'Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche et les textes pris pour leur application, y compris les manquements aux obligations déclaratives et de surveillance par satellite qu'ils prévoient, et par les engagements internationaux de la France peuvent donner lieu à l'application par l'autorité administrative d'une ou plusieurs des sanctions suivantes : / 1° Une amende administrative égale au plus : / a) A cinq fois la valeur des produits capturés, débarqués, transférés, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation, les modalités de calcul étant définies par décret en Conseil d'Etat ; / b) A un montant de 1 500 € lorsque les dispositions du a ne peuvent être appliquées / Lorsque la quantité des produits capturés, débarqués, détenus, acquis, transportés ou mis sur le marché en violation de la réglementation est supérieure au quintal, l'amende est multipliée par le nombre de quintaux de produits en cause. / En cas de manquement aux règles relatives aux systèmes de surveillance par satellite d'une durée supérieure à une heure, l'amende est multipliée par le nombre d'heures passées en manquement à ces règles. / En cas de manquements aux autres règles relatives aux obligations déclaratives, l'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de manquement à ces règles. / Les montants d'amende mentionnés aux a et b peuvent être portés au double en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans. (...) / 3° L'attribution au titulaire de licence de pêche ou au capitaine du navire de points dans les conditions prévues à l'article 92 du règlement (CE) n° 1224 / 2009 du 20 novembre 2009 et l'inscription au registre national des infractions à la pêche maritime ; (...) / L'autorité administrative compétente peut, en outre, ordonner la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
4. La motivation de la décision du 11 avril 2022 ne permet pas de distinguer, pour chacune des infractions constatées, si elle a été réellement sanctionnée, et par quelle sanction, ou à quelle hauteur elle l'a été. L'administration fait d'ailleurs valoir elle-même, pour justifier du bien-fondé et du caractère proportionné de la décision litigieuse, dans son mémoire en défense enregistré le 8 juin 2023 devant le tribunal administratif que, " bien que la pesée [soit] relevée dans le cadre du PV et de la décision de sanction administrative, elle n'a pas été réprimée par l'administration ", et, d'autre part, qu'elle a " seulement attribué des points [de pénalité] au requérant pour les infractions aux obligations déclaratives et non pour l'infraction de pêche dans une zone interdite ", précisions qui ne ressortent nullement de la décision attaquée. Elle a également précisé devant les premiers juges avoir procédé à un plafonnement du nombre de points retirés. Ainsi, la motivation de cette décision ne permettait pas à l'intimé d'identifier clairement les faits réprimés par l'autorité compétente et de discuter utilement des niveaux de sanction retenus par celle-ci pour chacun de ces faits.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 11 avril 2022 du préfet de la région Normandie en retenant qu'elle était entachée d'une insuffisance de motivation.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de
M. A... fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera transmise au préfet de la région Normandie.
Délibéré après l'audience du 13 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2025.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03578