La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/02/2025 | FRANCE | N°24NT02621

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 28 février 2025, 24NT02621


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 27 février 2023 par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au profit de son épouse et de leur fils mineur et d'enjoindre au préfet du Calvados d'autoriser le regroupement familial sollicité dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans le même délai.



Par un j

ugement n° 2302413 du 8 juillet 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision préfector...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 27 février 2023 par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au profit de son épouse et de leur fils mineur et d'enjoindre au préfet du Calvados d'autoriser le regroupement familial sollicité dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans le même délai.

Par un jugement n° 2302413 du 8 juillet 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision préfectorale du 27 février 2023 et a enjoint au préfet du Calvados d'autoriser le regroupement familial sollicité par M. B... au profit de son épouse et de leur enfant mineur dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 août et 16 octobre 2024 et un mémoire enregistré le 24 janvier 2025 qui n'a pas été communiqué, le préfet du Calvados demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 8 juillet 2024 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- la communauté de vie entre les époux n'est pas établie ;

- la décision du 27 février 2023 ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'injonction prononcée par le tribunal doit donc être annulée ;

- en tout état de cause, aucune injonction d'autoriser le regroupement familial ne pouvait être prononcée dès lors que M. B... ne justifie pas disposer des ressources prévues par l'article R. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'Etat n'étant pas la partie perdante, l'article 3 du jugement attaqué doit également être annulé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Cavelier, conclut au rejet de la requête et que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a justifié d'une communauté de vie avec son épouse ;

- la décision préfectorale est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par une décision du 27 janvier 2025, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25%.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- et les observations de Me Cavelier pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C... B..., ressortissant guinéen né le 1er mai 1992, est entré irrégulièrement en France en 2007 à l'âge de 15 ans. Il a bénéficié de titres de séjour en qualité de parent d'enfant français entre le 2 décembre 2011 et le 1er décembre 2014, puis d'une carte de résident valable jusqu'au 1er décembre 2024. Par un courrier du 11 avril 2023, il a déposé une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de leur fils mineur. Par une décision du 17 février 2022, le préfet du Calvados a rejeté sa demande. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Caen le 25 novembre 2022 qui a fait injonction au préfet de réexaminer la demande de l'intéressé. Par une décision du 27 février 2023 dont M. B... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation, le préfet du Calvados a, à nouveau, refusé de faire droit à sa demande. Par un jugement n° 2302413 du 8 juillet 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision préfectorale du 27 février 2023 et a enjoint au préfet du Calvados d'autoriser le regroupement familial sollicité par M. B... au profit de son épouse et de leur enfant mineur dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet du Calvados fait appel de ce jugement.

Sur la légalité du refus de regroupement familial :

2. Aux termes de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 434-7 du même code : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : / 1° Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ; / 2° Il dispose ou disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; / 3° Il se conforme aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. ". Aux termes de l'article L. 434-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : (...) / 3° Un membre de la famille résidant en France. ". Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence illégale sur le territoire français de membres de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a épousé en France Mme B... le 8 août 2020. Ils ont eu un enfant né à Caen le 25 décembre 2018. Des éléments médicaux attestent que le suivi de grossesse de Mme B... et le suivi de l'enfant depuis sa naissance ont eu lieu en France. Mme B... a obtenu le renouvellement de ses droits à l'aide médicale d'Etat le 11 avril 2019. Des attestations de la caisse d'allocations familiales du Calvados font état de leur adresse commune au cours des années 2019, 2020, 2021 et 2022. M. B... a déclaré son mariage sur sa déclaration d'impôts pour les revenus de l'année 2020. Ainsi, alors même que Mme B..., qui habitait en Belgique avant de venir en France et y avait déposé une demande d'asile, a obtenu deux documents, les 8 janvier 2019 et 20 février 2020, de la part de l'ambassade de la République de Guinée en Belgique et que M. B... a coché la case " T " (parent isolé) et ait indiqué être célibataire sur sa déclaration d'impôts pour les revenus 2021, ces derniers éléments ne suffisent pas à établir l'absence de vie commune entre les intéressés. Par conséquent, à la date de la décision contestée, M. B... justifiait d'une vie familiale stable depuis près de cinq ans en France. Enfin, la circonstance que Mme B... pourrait bénéficier d'un titre de séjour ne saurait intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation familiale de M. B... en cas de refus de regroupement familial. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, dans les circonstances de l'espèce, en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par le requérant au motif que son épouse et leur fils séjournaient déjà en France de manière irrégulière, le préfet du Calvados a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale.

Sur l'injonction prononcée par les premiers juges :

5. Contrairement à ce que soutient le préfet, compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution du jugement et du présent arrêt implique nécessairement qu'il lui soit enjoint d'admettre Mme B... et son enfant né en 2018 au bénéfice du regroupement familial, alors même que ni les ressources, ni le logement, ni le respect des principes qui régissent la vie familiale en France n'ont été examinés par le préfet.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision préfectorale du 27 février 2023, lui a enjoint d'autoriser le regroupement familial sollicité par M. B... au profit de son épouse et de leur enfant mineur dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais liés au litige :

7. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle, à hauteur de 25 %. Son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cavelier, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cavelier de la somme de 1 200 euros hors taxe.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Calvados est rejetée.

Article 2 : L'État versera à Me Cavelier la somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. A... C... B... et à Me Cavelier.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 4 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2025.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02621


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02621
Date de la décision : 28/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-28;24nt02621 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award