Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2024 du préfet de la Sarthe portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant son pays de renvoi et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant une durée de 5 ans.
Par un jugement n° 2404381 du 30 juillet 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision, a enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de 4 mois et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, et a mis la somme de 1 000 euros à verser à son conseil à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 août 2024, le préfet de la Sarthe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 juillet 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. B....
Il soutient que :
- M. B..., qui avant la réforme du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile entrée en vigueur le 26 janvier 2024 ne pouvait pas être éloigné du territoire français, représente une menace pour l'ordre public ;
- son éloignement ne porte pas une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2024, M. A... B..., représenté par Me Murillo, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, au préfet de la Sarthe de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il demande en outre à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Sarthe ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Sarthe relève appel du jugement du 30 juillet 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 23 juillet 2024 pris à l'encontre de M. A... B..., ressortissant marocain alors placé au centre de rétention administrative de Rennes, et portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant son pays de renvoi et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant une durée de 5 ans.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour (...) sans en avoir demandé le renouvellement ; (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, (...), à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, (...) ".
4. Il est constant que M. B..., qui est né en 1987 au Maroc, a grandi en France où il est arrivé à l'âge de quatre ans avec sa mère et ses frère et sœurs dans le cadre du regroupement familial pour rejoindre leur père et mari. L'intéressé a cependant fait l'objet de très nombreuses condamnations pour des infractions pénales commises à compter de l'année 2016. Il a notamment été interpellé le 23 juillet 2024 pour des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Si M. B... fait valoir que cette affaire été classée sans suite par le procureur de la République, il ressort toutefois du procès-verbal d'enquête préliminaire qu'il a reconnu, au cours de son audition, avoir en février 2024 " pris une fois par la gorge " sa compagne et avoir " un peu serré effectivement " puis, en mai de la même année, l'avoir " poussée à deux ou trois reprises " alors qu'elle était enceinte. Il est constant que M. B... a été condamné en 2009 pour des faits identiques commis sur une précédente compagne et qu'en 2015, il a été condamné pour des violences " habituelles " commises sur son fils alors mineur. L'intéressé a par ailleurs été incarcéré durant plusieurs années pour " trafic en récidive et usage illicite de stupéfiants ". Enfin, si M. B..., dont les parents sont décédés, fait valoir qu'il est le père de deux enfants français, il n'établit ni contribuer à leur entretien et leur éducation, ni même avoir conservé des contacts avec ceux-ci. Dans ces conditions, le préfet de la Sarthe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a estimé que les décisions litigieuses étaient contraires aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et devant la cour.
Sur les moyens dirigés contre l'ensemble des décisions contestées :
6. Par un arrêté n°2024-0148 du 17 juin 2024, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la Sarthe n°87, le préfet de la Sarthe a donné délégation à Mme D... C..., sous-préfète, directrice de cabinet du préfet et signataire de l'arrêté attaqué, à l'effet de signer notamment les décisions prises à l'égard des ressortissants étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement du secrétaire général de la préfecture, dont il n'est pas établi qu'il n'était pas absent ou empêché. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
Sur les autres moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, le requérant entend se prévaloir à l'encontre de la décision attaquée de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et soutient qu'il n'a pas été entendu sur sa situation familiale et professionnelle. L'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'adresse, toutefois, qu'aux institutions de l'Union européenne et ne peut donc pas être utilement invoqué à l'encontre d'une décision d'une autorité d'un Etat membre. Par ailleurs, le requérant avait la possibilité, pendant la procédure en cours, de faire connaître de manière utile et effective, les éléments relatifs à sa situation personnelle. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (Aff. C-383/13 du 10 septembre 2013), une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise, que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents, qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, que M. B... aurait eu de nouveaux éléments à faire valoir qui auraient pu conduire le préfet à prendre une décision différente. En outre, il ressort des procès-verbaux d'enquête préliminaire que l'intéressé a été entendu avant l'édiction de la mesure contestée. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en prenant à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire, sans le mettre en mesure de présenter ses observations, le préfet de la Sarthe aurait porté atteinte au principe général du droit de l'Union européenne garantissant à toute personne, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle l'affectant défavorablement et les droits de la défense, ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, la décision contestée vise les textes dont il est fait application, notamment les articles L. 611-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les articles 3 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle rappelle longuement les éléments de fait relatifs au parcours et à la situation personnelle de M. B.... Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée manque en fait et doit être écarté. Pour les mêmes motifs, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que le préfet n'aurait pas procédé à un examen suffisant de sa situation personnelle et familiale.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée en vigueur depuis le 28 janvier 2024 : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle est édictée après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués. ". Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des éléments rappelés au point 4 du présent arrêt, et alors que M. B... a fait l'objet le 8 janvier 2021 d'une précédente obligation de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutée, que la décision litigieuse méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que rappelés au point 4, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
11. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il est constant que M. B... est le père de deux enfants français et que sa compagne était enceinte de 4 mois à la date de la décision contestée. Toutefois, pour les motifs exposés au point 4, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
Sur les autres moyens dirigés contre la décision portant interdiction de retour pour une durée de 5 ans :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de son recours dirigé contre la décision portant interdiction de retour.
13. En deuxième lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 13 que la décision portant interdiction de retour doit être motivée. D'autre part, aux termes de l'article L. 612-6 du même code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
14. Si le préfet doit tenir compte, pour décider de prononcer, à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter sans délai le territoire français, une interdiction de retour et fixer sa durée de chacun des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu''une telle mesure soit décidée quand bien même une partie de ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, ne serait pas remplie. La décision litigieuse rappelle, en se référant aux dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. B... a été condamné et est défavorablement connu des services de police et qu'il présente une menace à l'ordre public. Elle précise en outre que l'intéressé a fait l'objet d'une précédente obligation de quitter le territoire français avec interdiction de retour en France d'une durée de 3 ans, qu'il n'a pas exécuté. Par suite, en fixant à 5 ans, ce qui n'est pas la durée maximale, la durée de l'interdiction de retour prononcée contre l'intéressé, le préfet de la Sarthe n'a entaché sa décision, ni d'un défaut de motivation, ni d'une erreur de droit. Ces moyens doivent en conséquence être écartés.
15. En troisième et dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'évoqués au point 4, le préfet de la Sarthe ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale et ainsi entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce moyen doit dès lors être écarté.
Sur les autres moyens dirigés contre la décision fixant le pays de renvoi :
16 L'obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, M. B... n'est pas fondé à demander, par voie de conséquence, l'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation des décisions contestées du 23 juillet 2024 du préfet de la Sarthe doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction et de celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2404381 du 30 juillet 2024, du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi qu'en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B....
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Marion, première conseillère,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 février 2025.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
GV. VERGNE
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02671