Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite, née le 25 juin 2022, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 31 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Douala (Cameroun) refusant de délivrer aux jeunes A... C... D... et G... D..., des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2212576 du 16 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 août 2023, Mme E..., représentée par Me Mazas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes A... C... D... et G... D... les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans un délai de trente jours ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme E... soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée en fait ;
- la réunification familiale partielle est justifiée ; son époux violent s'oppose au départ de son plus jeune enfant ; les refus de visas sont dès lors entachés d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés ;
- les motifs tirés de ce que la demande de réunification familiale présente un caractère partiel, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce qu'il n'est pas justifié d'une délégation, par le père de l'enfant G... D..., de son autorité parentale au profit de Mme E... peuvent être substitués au motif initial illégal ;
- il entend se référer à l'ensemble de ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... relève appel du jugement du 16 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite, née le 25 juin 2022, de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, rejetant son recours formé contre la décision du 31 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Douala (Cameroun) refusant de délivrer aux jeunes A... H... et G... D... des visas d'entrée et de long séjour, au titre de la réunification familiale.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". L'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration précise cependant que : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
3. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
4. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable, en vertu de l'article 3 du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023 impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
5. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
6. L'accusé de réception du recours formé par Mme E... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire. Il en résulte que la décision implicite de la commission, qui s'est substituée à la décision des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de cette dernière décision et que, contrairement à ce que soutient le ministre, Mme E... peut utilement faire valoir que la décision en litige est insuffisamment motivée, alors même qu'elle n'a pas sollicité préalablement la communication des motifs de cette décision. La décision des autorités consulaires comporte une case cochée portant la mention suivante : " Vos déclarations conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale ". Cette seule mention, alors par ailleurs que la case comportant la mention " Les documents d'état civil présentés présentent les caractéristiques d'un document frauduleux " n'a pas été cochée et que la rubrique " Remarques " figurant à la fin du formulaire n'a pas été renseignée, n'énonce pas avec suffisamment de précision les considérations de fait permettant à l'intéressée de les contester utilement. Il suit de là que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer qui admet que le motif énoncé au point 6 est entaché d'illégalité demande que soient substitués à ce motif illégal les motifs tirés de ce que la demande de réunification familiale présente un caractère partiel, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce qu'il n'est pas justifié d'une délégation, par le père de l'enfant G... D..., de son autorité parentale au profit de Mme E.... Toutefois, cette éventuelle substitution ne saurait, en tout état de cause, remédier au vice de forme résultant de l'insuffisance de motivation de cette décision.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et sur les autres moyens de la requête, Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 6, l'exécution du présent arrêt implique seulement que les demandes de visas des jeunes A... H... et G... D... soient réexaminées. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme E... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 16 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme E... contre la décision des autorités consulaires à Douala refusant aux jeunes A... C... D... et G... D..., des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de se prononcer de nouveau sur les demandes de visa des jeunes A... C... D... et G... D... dans un délai de deux mois.
Article 4 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme E... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme B... E....
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
M. F...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02441