Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 15 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 29 mars 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer aux enfants D..., B... et E... A... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2210565 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 juillet 2023 et 3 octobre 2023, M. A..., représenté par Me le Floch, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours née le 15 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France contestée a été prise au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, faute qu'il lui ait été demandé de compléter sa demande en justifiant de jugements de délégation d'autorité parentale ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des articles L. 561-2 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il justifie de son autorité parentale sur les enfants ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que la décision de refus de visa contestée peut être légalement fondée sur un motif tiré de l'absence de jugement déléguant à M. A... l'autorité parentale sur les enfants D..., B... et E... A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Le Floch, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 15 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises à Abidjan du 29 mars 2022 rejetant les demandes de visa de long séjour présentées pour les enfants D..., B... et E... A... au titre de la réunification familiale. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire formé par M. A... à l'encontre des décisions de l'autorité consulaire du 29 mars 2022, adressé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 19 avril 2022, que, pour rejeter la demande de visa de long séjour présentée pour les enfants D..., B... et E... A... au titre de la réunification familiale, la commission de recours s'est appropriée les motifs des refus opposés par l'autorité consulaire dans ses décisions du 29 mars 2022, tirés premièrement de ce que le lien familial de chacun des enfants avec M. A... ne lui permettait pas d'obtenir un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale, deuxièmement de ce que les enfants n'ont pas été déclarés comme membres de sa famille par M. A... lors de la déclaration par celui-ci de sa situation familiale en application de l'article R. 722-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, troisièmement de ce que les documents d'état-civil présentés pour justifier de l'identité et du lien de filiation des enfants présentent les caractéristiques de documents frauduleux et quatrièmement de ce que les déclarations des demandeurs de visa conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
3. En premier lieu, l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. ". Il résulte des motifs de la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, rappelés au point précédent, que la commission n'a pas rejeté les demandes de visa formées pour les enfants D..., B... et E... A... au motif que le dossier de demande de visa était incomplet. Le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration faute que les demandeurs aient été invités à compléter leur dossier de demande ne peut dès lors qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...). ". L'article L. 561-4 du même code dispose : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
5. Aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
8. Pour justifier de l'identité des enfants D..., B... et E... A... et de leur lien de filiation avec lui, M. A... produit un acte de naissance établi le 26 octobre 2006 pour l'enfant D... A..., soit dans le délai de déclaration de trois mois à compter de la naissance de l'enfant le 20 septembre 2006 prévu par la législation locale, ainsi qu'un acte de naissance établi le 21 avril 2009 pour l'enfant E... A..., soit dans le délai de trois mois suivant sa naissance le 22 février 2009. Ces actes de naissance ne sont pas critiqués par le ministre de l'intérieur. Pour justifier de l'identité de l'enfant B... et de son lien de filiation avec lui, M. A... produit, en dernier lieu, un jugement supplétif du 10 février 2023 du tribunal de première instance d'Abidjan déclarant nul l'acte de naissance du 11 décembre 2012 initialement produit au soutien de la demande de visa, décidant que le jugement tiendrait lieu d'acte de naissance à l'enfant et ordonnant sa transcription dans les registres de l'état-civil. M. A... produit également l'acte de naissance établi en transcription de ce jugement par le centre principal d'état-civil de la commune de Marcory n° 1323 du 30 mars 2023. Le ministre de l'intérieur ne critique aucunement ce jugement supplétif et cet acte de naissance qui établissent l'identité et la filiation paternelle de l'enfant B... A....
9. Ainsi et alors même qu'il ressort des pièces du dossier que M. A... a déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides être célibataire et sans enfants en rejetant la demande de visa au motif que l'identité des enfants D..., B... et E... A... et leur lien de filiation avec M. A... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
10. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
11. Pour établir que la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir que M. A... ne justifie pas être le bénéficiaire d'une délégation de l'autorité parentale sur chacun des trois enfants prononcée par la décision d'une juridiction étrangère.
12. Aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article
L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / (...) 2° (...) lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". Aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
13. M. A... produit, pour chacun, un " certificat de l'autorité parentale " établi le 19 août 2020 par le juge des tutelles du tribunal de première instance d'Abidjan, attestant de ce qu'il dispose de l'autorité parentale sur ces enfants, sans que ce jugement n'indique cependant que cette autorité parentale est exclusive de celle de la mère de chaque enfant, ainsi qu'un " certificat d'autorisation parentale " dressé le même jour par le même juge, attestant que la mère de chaque enfant a autorisé ce mineur à quitter le territoire ivoirien afin de rejoindre M. A... en France. Cette autorisation de sortie du territoire ne constitue cependant pas davantage une délégation de l'autorité parentale de la mère de chaque enfant. Contrairement à ce que soutient M. A..., il ne ressort pas des pièces du dossier que le droit local et notamment l'article 13 de la loi ivoirienne n° 2019-572 du 27 juin 2019 invoqué ferait obstacle à ce qu'une délégation d'autorité parentale soit prononcée au bénéfice de l'autre parent de l'enfant. Ainsi, le défaut de délégation de l'autorité parentale à M. A... sur chacun des enfants était de nature à fonder légalement les décisions de refus de visa contestées.
14. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Il y a lieu de procéder à la substitution de motifs sollicitée, qui ne prive l'intéressé d'aucune garantie procédurale dès lors notamment que le motif substitué se rapportant à une condition de fond prescrite par les dispositions précitées et non à l'incomplétude du dossier, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'aurait pas été tenue de lui demander de compléter ce dossier par application des dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration.
15. Eu égard à ce qui précède, la décision contestée, qui maintient chacun des enfants auprès de sa mère qui exerce sur lui l'autorité parentale et avec laquelle il réside depuis sa naissance, n'a pas porté une atteinte excessive au droits des intéressés au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni méconnu l'intérêt supérieur des enfants garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02283