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14/02/2025 | FRANCE | N°23NT01757

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 14 février 2025, 23NT01757


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal du jeune A... B..., M. C... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 25 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 mars 2019 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B..

. et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal du jeune A... B..., M. C... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 25 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 mars 2019 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial.

Par un jugement n° 2205992 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 juin 2023 et 18 juillet 2024, M. B... et autres, représentés par Me Pronost, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 25 novembre 2021 de la commission de recours ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise biologique à fin de comparaison des empreintes génétiques de M. F... B... avec celles du jeune A... B..., de M. D... B... et de M. C... B....

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... les visas sollicités dans le mois suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de réexaminer les demandes de visas, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 200 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. B... et autres soutiennent que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- l'identité et les liens de filiation invoqués sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;

- les motifs tirés de ce que la demande de regroupement familial a été introduite près de 9 ans après l'entrée en France du regroupant, et de ce que M. B... n'aurait pas justifié du maintien de ses liens familiaux avec ses trois enfants sont entachés d'erreur de droit ;

- le motif tiré de ce que le regroupant n'a pas maintenu les liens familiaux avec ses enfants est entaché d'une erreur de fait ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. F... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55 %) par une décision du 14 avril 2023.

M. C... B... et M. D... B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 24 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 24 juillet 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné son accord à la demande de regroupement familial déposée par M. F... B..., ressortissant guinéen, au profit de ses trois enfants, M. C... B..., M. D... B... et le jeune A... B..., nés respectivement les 6 octobre 2000, 29 novembre 2002, et 25 novembre 2005. Par un jugement du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... et autres tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 mars 2019 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial. M. B... et autres relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".

3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".

4. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour des motifs d'ordre public au nombre desquels figure le défaut de valeur probante des actes de mariage ou de filiation produits.

5. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée que, pour rejeter le recours de M. B..., la commission s'est fondée sur les motifs tirés, premièrement, de ce que la demande de regroupement familial, introduite près de 9 ans après l'arrivée en France du regroupant, n'avait pas été présentée dans des délais raisonnables, deuxièmement, de ce que les actes d'état civil produits ne permettaient pas d'établir l'identité des demandeurs et les liens de filiation allégués, troisièmement, de ce que M. B... ne justifiait pas avoir maintenu des liens familiaux avec les demandeurs de visas.

6. En premier lieu, pour justifier de son identité, M. F... B... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n°4044, rendu le 12 juillet 2017 par le tribunal de première instance de Conakry 3, ainsi que l'acte de naissance n°7042 transcrit le même jour, en marge des registres de l'état civil de la commune de Matam-Conakry. La circonstance que le jugement supplétif relatif à M. F... B... a été rendu après celui de ses trois enfants n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux de ce jugement. Si l'acte de naissance n°4044 établi en exécution de ce jugement mentionne le mariage de l'intéressé, le 2 juillet 1998 et ne comporte aucune mention sur son divorce, prononcé le 1er août 2014, ces circonstances ne suffisent pas à établir le caractère frauduleux des actes ainsi produits, alors au surplus, que les requérants ont produit une copie intégrale de l'acte de naissance n°4044, établie le 19 février 2022 qui porte mention de ce divorce.

7. En deuxième lieu, pour justifier de l'identité du jeune A... B..., de M. C... B... et de M. D... B... ainsi que des liens de filiation les unissant à M. F... B..., ont été produits trois jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance rendus le 5 janvier 2017 par le tribunal de première instance de Conakry sous les nos 314, 315 et 316, ainsi que les actes de naissance transcrits le 19 janvier 2017, sous les nos 353, 347 et 349, en marge des registres de l'état civil de la commune de Ratoma. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que les numéros des actes de naissance des intéressés ne correspondent pas aux 11èmes, 12èmes et 13èmes chiffres des numéros d'identification qui figurent sur leurs passeports biométriques, de sorte que ces passeports ont été délivrés au vu d'autres actes d'état civil et que les intéressés n'expliquent donc pas la raison pour laquelle ils ont eu recours à des jugements supplétifs. M. B... et autres soutiennent toutefois, sans être contredits, que ces passeports, délivrés le 28 octobre 2014, ont été établis sur la base d'actes de naissance antérieurs dont ils ne disposent plus dès lors que la mère des enfants s'est désintéressée d'eux et qu'ils ont changé de foyer, que les services de l'état civil n'ayant pas trouvé les registres correspondants n'ont pas pu leur délivrer des copies de ces actes, et que pour remédier à la perte de ces documents, ils ont saisi le tribunal de première instance de Conakry aux fins d'obtenir des jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissances. Compte tenu des explications ainsi apportées par les requérants et qui ne sont pas contredites par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, la seule circonstance que les numéros des actes de naissance établis en exécution des jugements supplétifs d'acte de naissance rendus le 5 janvier 2017 ne correspondent pas aux chiffres des numéros d'identification figurant sur leurs passeports biométriques ne permet pas d'établir le caractère frauduleux de ces jugements supplétifs. Par ailleurs, la circonstance que les actes de naissance auraient été établis en méconnaissance des dispositions de l'article 175 du code civil guinéen, ne permet pas davantage d'établir que les jugements supplétifs d'acte de naissance dont ils résultent présenteraient un caractère frauduleux. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, sur présentation des passeports susmentionnés, délivrés au jeune A... B..., à M. C... B... et à M. D... B..., le 28 octobre 2014, ces derniers ont été enregistrés dans le fichier national de l'état civil biométrique sous un numéro d'identification nationale et qu'ils se sont vu délivrer, le 15 septembre 2023, des actes de naissance dits " biométriques ", dont l'authenticité n'est pas contestée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, et dont les mentions essentielles relatives à l'identité des intéressés et à la filiation paternelle concordent avec celles figurant les autres actes d'état civil produits. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visas et les liens de filiation avec M. B... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

8. En troisième lieu, ni la circonstance que la procédure de regroupement familial a été engagée plus de 9 ans après l'entrée en France de M. B..., ni le fait que ce dernier ne justifierait pas du maintien des liens familiaux avec ses trois enfants ne sont au nombre des motifs d'ordre public permettant de refuser la délivrance d'un visa à une personne dont la venue en France a été autorisée au titre du regroupement familial. Par suite, en se fondant sur de tels motifs pour rejeter le recours de M. B..., la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni d'ordonner l'expertise génétique demandée, que M. B... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 mars 2019 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. M. D... B... et M. C... B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 3 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 25 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 mars 2019 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune A... B..., à M. D... B... et à M. C... B... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et autres est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à M. C... B..., à M. D... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET La greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01757
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-14;23nt01757 ?
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