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11/02/2025 | FRANCE | N°24NT00579

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 11 février 2025, 24NT00579


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme G... et M. E... D..., agissant en leur nom propre et au nom des enfants mineurs F... et A... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Aman (Jordanie) refusant de leur délivrer les visas de long séjour sollicités afin de demander l'asile en France.




Par un jugement n° 2304440 du 6 novembre 2023, le tribunal administratif de Nant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... et M. E... D..., agissant en leur nom propre et au nom des enfants mineurs F... et A... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Aman (Jordanie) refusant de leur délivrer les visas de long séjour sollicités afin de demander l'asile en France.

Par un jugement n° 2304440 du 6 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 février et 19 mai 2024, Mme H... G... et M. E... D..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et directement aux requérants en cas de refus de l'aide juridictionnelle.

Ils soutiennent que :

- la décision est entachée d'un défaut de motivation alors qu'ils ont vainement demandé la communication de ses motifs ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'instruction de la demande dès lors qu'il est fait obstacle à leur demande de protection internationale ; leurs craintes légitimes en Irak, en qualité de chrétiens, sont établies ; leurs conditions de vie en Jordanie sont très précaires ; la famille de Mme G... s'est vu reconnaitre la qualité de réfugiée en France et ses parents peuvent les accueillir ;

- la décision juridictionnelle est entachée d'une erreur de droit quant au risque d'expulsion vers l'Irak ;

- la décision méconnait les stipulations des articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme G... n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 26 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, représentant Mme G... et M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... G... et M. E... D..., ressortissants irakiens, ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en vue de demander l'asile en France, auprès de l'autorité consulaire française à Amman (Jordanie), ainsi que pour leurs deux enfants mineurs. Saisie d'un recours administratif préalable obligatoire formé contre le refus consulaire qui leur a été opposé, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, à son tour, refusé de délivrer les visas sollicités par une décision implicite. Par un jugement du 6 novembre 2023, dont Mme G... et M. D... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme G... et M. D... soutiennent que le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors que les premiers juges ont retenu, pour écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation à avoir rejeté leur demande, la circonstance qu'ils n'avaient pas apporté d'éléments suffisamment circonstanciés de nature à établir qu'ils seraient exposés à des risques sérieux d'éloignement vers l'Irak alors qu'une telle condition n'avait pas à être remplie. Toutefois, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, un tel moyen est inopérant. L'irrégularité alléguée du jugement attaqué doit dont être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les autorités consulaires françaises en Jordanie ont rejeté les demandes de visa de Mme G... et M. D... et de leurs enfants par un message, envoyé sur leur téléphone, qu'ils affirment avoir reçu le 28 avril 2022. Ils ont alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre cette décision le 19 juillet 2022. Par un courrier du 21 juillet 2022, la commission leur a opposé l'irrecevabilité de leur demande au motif que l'existence même de la décision contestée n'avait pu être établie faute de production de la lettre de refus de visa ou de la quittance délivrée par l'autorité consulaire lors de l'enregistrement de leurs demandes de visa. Ils ont été invités à produire ces pièces afin de pouvoir instruire leur recours. Mme G... et M. D... affirment ne pas avoir reçu ce courrier et établissent avoir saisi l'administration, le

10 décembre 2022, d'une demande de communication des motifs de la décision qui serait née, selon eux, du silence gardé par la commission sur leur recours du 19 juillet 2022. La commission leur a répondu par un courrier, que les intéressés indiquent avoir reçu le 6 janvier 2023, leur expliquant qu'il avait été répondu à cette demande par un courrier du 21 juillet 2022 dont une copie est annexée à cet envoi. Le 13 janvier 2023 Mme G... et M. D... ont alors répondu à la commission en exposant qu'ils ne disposaient pour toute décision consulaire que d'un SMS, dont ils ont joint pour la première fois une copie, et qu'il ne leur avait pas été communiqué de quittance de leurs frais de demande de visa. Ils ont également demandé à la commission de statuer sur leur recours. La commission a gardé le silence sur cette demande.

4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté comme irrecevable le recours de Mme G... et de M. D... par un courrier du 21 juillet 2022, alors même que ceux-ci affirment ne pas l'avoir reçu. Cette réponse leur a été adressée à l'adresse, en Jordanie, dont ils avaient fait mention dans leur recours. Le 10 décembre 2022, ils ont saisi la commission d'une demande de communication des motifs de la décision implicite née, selon eux, du silence gardé sur leur recours du 19 juillet 2022. En réponse, la commission leur a expliqué qu'elle avait statué sur leur recours par le courrier précité du 21 juillet 2022. Par suite, et alors que la décision consulaire de refus de visa contestée ne comportait pas de mention des voies et délais de recours, leur courrier du 13 janvier 2023 adressé à la commission, envoyé le 17 janvier suivant, auquel ils ont joint pour la première fois une copie du SMS de refus de visa qui leur a été opposé, et où ils sollicitent explicitement qu'il soit statué sur leur recours, s'analyse comme un nouveau recours formé contre cette décision consulaire. La commission a opposé un refus implicite à cette demande et les intéressés n'ont pas sollicité la communication de ses motifs. Par suite, Mme G... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que cette décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France serait irrégulière faute d'avoir été motivée en réponse à leur demande de communication des motifs présentée le 10 décembre 2022.

5. En deuxième lieu, en l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas dans lesquels un visa de long séjour en vue de déposer une demande d'asile en France peut être refusé, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises, saisies d'une telle demande, disposent, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général.

6. Aux termes du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit fondamental reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire. De même, l'invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à raison de menaces susceptibles d'être encourues à l'étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d'un visa d'entrée en France.

7. Dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.

8. Il ressort notamment des écritures en défense du ministre de l'intérieur, que pour rejeter les demandes de visa présentées par Mme G... et M. D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait qu'il n'était pas établi qu'ils présentaient des difficultés particulières eu égard à leur situation personnelle en Irak et en Jordanie.

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme G... et M. D... sont des ressortissants irakiens de confession chrétienne nés respectivement en 1993 et 1992 qui se sont unis en Irak en 2016 et dont les deux enfants sont nés en 2017 et 2018. En 2016, ils ont quitté l'Irak pour la Jordanie en compagnie des parents de Mme G... et de ses trois sœurs. En août 2017, ils sont retournés en Irak avant de revenir en Jordanie en février 2022 et demander alors des visas pour solliciter l'asile en France. En 2018, les parents de Mme G... et leurs trois filles, restés pour leur part en Jordanie, ont bénéficié de visas afin de venir en France, où ils ont obtenu le bénéfice d'une protection internationale en 2019 et où ils résident depuis lors. Si Mme G... et M. D... font état de leurs difficultés en Irak, il résulte de leurs déclarations qu'ils y ont vécu l'essentiel de leur vie, et qu'ils ont choisi d'y retourner en 2017 alors qu'ils étaient entrés en Jordanie. Ils y sont restés près de cinq ans dans une ville comportant un nombre conséquent de chrétiens et M. D... y a travaillé. Ils expliquent leur nouveau départ pour la Jordanie en 2022 par des menaces que ce dernier aurait subi à son travail en lien avec sa confession, dont il est fait état de manière peu circonstanciée. Par ailleurs, si les intéressés mentionnent leurs difficultés matérielles en Jordanie, il n'est pas établi qu'ils ne pourraient absolument pas y travailler. Ils y sont enregistrés auprès du HCR depuis leur retour dans ce pays et à ce titre, à la date de la décision contestée, ils bénéficiaient d'une aide financière et exposent avoir également bénéficié d'une aide de coreligionnaires. Dans ces conditions, et alors même que leur famille arrivée en France pourrait les accueillir et les aider en France, c'est sans faire une inexacte application des dispositions citées au point 7 et sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation que la commission a rejeté les recours formés par Mme G... et M. D....

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

11. Ainsi qu'il a été exposé, Mme G... et M. D... sont majeurs, mariés depuis 2016, et ils ne vivent plus depuis à tout le moins août 2017 avec les parents et les sœurs de Mme G..., lesquels sont désormais installés en France. Le couple et ses deux jeunes enfants sont réunis en Jordanie. Par suite, et alors même que les intéressés maintiennent une relation étroite avec la partie de leur famille installée en France, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés doit être écarté.

12. En quatrième lieu, pour les motifs exposés au point 6 les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'asile et des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnait les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme G... et de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... et M. D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00579


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00579
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;24nt00579 ?
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