Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision née le 21 août 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er juin 2023 de l'autorité consulaire à Téhéran (Iran) refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2313863 du 25 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 mars 2024, 27 août 2024 et 12 septembre 2024 (ces deux derniers non communiqués), Mme B..., représentée par Me Kati, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours née le 21 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie du lien matrimonial qui l'unit à son époux, à qui a été reconnu le statut de réfugié ; ce mariage est conforme tant au droit afghan qu'à l'ordre public français ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 25 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 21 août 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er juin 2023 des autorités consulaires françaises à Téhéran (Iran) rejetant sa demande de visa de long séjour présentée au titre de la réunification familiale. Mme B... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'une personne bénéficiant de la qualité de réfugié, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressée avec la personne protégée.
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. " Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa version applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. " Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Aux termes de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours ". Conformément à ces dispositions, la décision implicite du 21 août 2023 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France contestée doit être regardée comme étant fondée sur le même motif que la décision de l'autorité consulaire du 1er juin 2023 à laquelle elle s'est substituée, tiré de ce que la demandeuse de visa n'a pas justifié de son identité et de sa situation de famille, les documents produits n'étant pas probants.
6. Il ressort des écritures en défense du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes que la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France contestée est fondée sur le motif tiré de ce que Mme B... ne peut se prévaloir de la qualité de conjoint d'une personne s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié dès lors que son mariage, conclu alors qu'elle n'était âgée que de quatorze ans, est contraire à la conception française de l'ordre public international et n'est dès lors pas opposable aux autorités administratives françaises.
7. Pour justifier du lien matrimonial l'unissant à M. C... B..., ressortissant afghan qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié par décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 22 décembre 2017, Mme B... produit un certificat de mariage établi par la cour d'appel de Kaboul le 5 octobre 2019, attestant de son mariage avec l'intéressé le 16 février 2014. Ce document indique notamment qu'elle est née le 1er janvier 1994, de même que son acte de naissance, établi le 16 septembre 2022, un document d'identité dénommé " taskera ", établi le 1er septembre 2022, ainsi que son passeport, établi le 8 octobre 2022. La seule circonstance, invoquée par le ministre de l'intérieur, que M. B... a déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que son épouse était née le 1er janvier 2000, n'est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause les mentions concordantes de ces documents d'identité et d'état-civil. Ainsi, à la date de son mariage le 16 février 2014, Mme B... était âgée de 20 ans. Il en résulte qu'en refusant de tenir compte de son lien matrimonial au motif que ce mariage, contracté avec une épouse de 14 ans, était contraire à la conception française de l'ordre public international, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 mars 2024 est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 21 août 2023 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24NT00929