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31/01/2025 | FRANCE | N°24NT00862

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 31 janvier 2025, 24NT00862


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le refus tacite opposé par l'administration à sa demande d'indemnisation et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 250 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 2106106 du 13 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête

de M. A....



Procédure devant la cour



Par une requête et un mémoire enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le refus tacite opposé par l'administration à sa demande d'indemnisation et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 250 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 2106106 du 13 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 mars 2024 et le 19 novembre 2024,

M. B... A..., représenté en dernier lieu par Me Salkazanov, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2023 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 250 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bretagne Atlantique la somme de 3 600 euros TTC au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a été soumis à des conditions de détention indignes au centre pénitentiaire de

Rennes-Vezin-le-Coquet du 22 mai 2017 au 4 janvier 2018 ; le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) note dans ses rapports de visite de 2010 et 2017 les mauvaises conditions de prise en charge et d'hébergement dans les quartiers disciplinaire et d'isolement ;

- il a été privé, dans les cellules qu'il a occupées, en raison des fenêtres équipées de barreaux ou de caillebotis, d'une luminosité naturelle suffisante au détriment de sa santé physique et psychique ; le CGLPL a constaté, dans son rapport de 2017, que les cours de promenade du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin-le-Coquet sont exiguës et dépourvues de tout attrait, sont entourées de hauts murs n'offrant aucune autre perspective visuelle que le ciel vu à travers une couverture métallique formée par un caillebotis serré, des grilles et des rouleaux de concertina ;

- il a été maintenu ou placé de manière injustifiée au quartier d'isolement ou en quartier disciplinaire, sur la base d'incidents anciens et contestés, qui avaient déjà motivé son placement initial à l'isolement et ne pouvaient donc justifier à nouveau une telle mesure, constituant la sanction de l'exercice de son droit à contester ses conditions de détention et, par suite, une mesure de rétorsion et un détournement de procédure ; il a été placé illégalement en quartier disciplinaire, par une décision de la commission de discipline lui appliquant la sanction maximale, en dépit d'une relaxe partielle ;

- ses correspondances avec son avocat ont été ouvertes en méconnaissance des articles L. 345-4, R. 313-15 et R. 313-16 du code pénitentiaire ;

- il n'a pu disposer d'une plaque chauffante électrique individuelle, nécessaire à la préservation de son état de santé ;

- il a été porté atteinte à ses droits au maintien des liens familiaux et à la réinsertion sociale par des conditions d'incarcération et des transfèrements qui l'ont éloigné de sa famille installée en Normandie, notamment de ses enfants adolescents et de son père, et l'ont privé du soutien des siens lors du décès de sa mère en 2015 ; il lui a été systématiquement refusé un accès au travail, constituant pourtant un droit fondamental, notamment comme auxiliaire à la buanderie ou aux cuisines malgré son indigence et son expérience professionnelle dans l'hôtellerie-restauration ; ses parcours de formation ont été mis à mal ou interrompus ;

- il a subi onze transferts en sept ans et demi de détention (quatorze désormais), loin de sa famille ;

-ses préjudices doivent être évalués à 2 250 euros s'agissant du préjudice moral qu'il a subi pour 7 mois de détention au centre pénitentiaire de Rennes-Vézin et 15 000 euros s'agissant des troubles dans les conditions d'existence résultant des conséquences de ses transferts, soit notamment la privation des visites de ses proches et le maintien dans une situation persistante d'indigence lui interdisant de cantiner pour pourvoir à ses besoins quotidiens indispensables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- il convient de tenir compte non seulement des conditions de détention elles-mêmes, mais également des contraintes pesant sur le service public pénitentiaire et du soin qu'apportent les administrations à prendre des mesures pour améliorer ces conditions de détention ainsi que de la vulnérabilité de la personne détenue ; un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour être considéré comme contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le requérant a toujours été placé seul en cellule et a bénéficié d'un espace individuel supérieur à 9 m2 au cours de sa détention à Rennes-Vezin ;

- les cellules disciplinaires et d'isolement disposent d'un éclairage naturel suffisant et le lien entre la présence de caillebotis aux fenêtres et les problèmes de vue du requérant n'est pas établi ;

- compte tenu du comportement de M. A... et du grand nombre d'actes de destruction et d'agression dont il s'est rendu coupable en détention, ses plaques de cuisson ont été consignées et conservées à son vestiaire pour des raisons de sécurité ; le requérant n'établit pas avoir été privé d'une alimentation équilibrée, laquelle est distribuée trois fois par jour, ni que son état de santé se serait détérioré en l'absence d'une telle plaque, qu'il n'établit d'ailleurs pas avoir demandée ;

- s'agissant du maintien des liens familiaux, il doit être noté qu'au cours de la période de détention du requérant à Rennes-Vezin, l'ensemble de ses permis de visite étaient suspendus ; s'il a été plusieurs fois transféré, c'est pour des raisons d'ordre et de sécurité, en raison de son comportement ;

- si M. A... n'a exercé aucune activité en détention, c'est en raison de son mauvais comportement général, établi par les nombreux comptes rendus d'incident et d'observations ; l'objectif de réinsertion sociale des détenus qu'il invoque n'est pas au nombre des droits et libertés fondamentaux des détenus.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu l'ordonnance n° 22NT04056 du magistrat désigné de la cour administrative de Nantes du 1er février 2023.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les conclusions de M. Catroux.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., écroué depuis le 6 décembre 2013, relève appel du jugement du

13 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis, d'une part, en raison de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin (Ille-et-Vilaine) du 22 mai 2017 au 4 janvier 2018, et, d'autre part, des nombreux transfèrements auxquels il a été soumis depuis le début de son incarcération.

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ; (...) Par dérogation aux dispositions qui précèdent, en cas de connexité avec un litige susceptible d'appel, les décisions portant sur les actions mentionnées au 8° peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un appel (...) ". Aux termes de l'article R. 222-14 du même code : " Les dispositions du 10° de l'article précédent sont applicables aux demandes dont le montant n'excède pas 10 000 euros. " et aux termes de l'article R. 222-15 de ce code : " Ce montant est déterminé par la valeur totale des sommes demandées dans la requête introductive d'instance. Les demandes d'intérêts et celles qui sont présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 sont sans effet sur la détermination de ce montant. Le magistrat n'est compétent pour statuer en application du 7° de l'article R. 222-13 que si aucune demande accessoire, incidente ou reconventionnelle n'est supérieure au taux de sa compétence. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 351-2 du même code : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence du Conseil d'Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d'Etat qui poursuit l'instruction de l'affaire (...) ".

3. Les litiges relatifs à des indemnités dont le montant demandé n'excède pas la somme de 10 000 euros relèvent de la compétence en premier et dernier ressort des tribunaux administratifs en application des dispositions précitées du 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 7 250 euros. Dès lors que la demande d'indemnisation présentée par M. A... en première instance ne dépasse pas le seuil de 10 000 euros, le jugement n° 2106106 du tribunal administratif de Rennes est insusceptible d'appel. Sont à cet égard sans incidence les circonstances que, d'une part,

M. A... a aussi demandé devant le tribunal administratif l'annulation de la décision rejetant implicitement sa réclamation indemnitaire préalable, laquelle n'a pour objet et pour effet que de lier le contentieux indemnitaire, d'autre part, que les prétentions de ce justiciable aient été portées en appel à un montant de 17 250 euros supérieur au seuil de 10 000 euros mentionné ci-dessus, et, enfin, que M. A... ait présenté devant différents tribunaux administratifs des requêtes indemnitaires tendant à l'indemnisation, au-delà de 10 000 euros, de ses conditions de détention ou des transfèrements, selon lui abusifs, dont il a fait l'objet entre différents lieux de détention depuis le début de son incarcération, circonstance qui ne rend pas le présent litige connexe à des litiges susceptibles d'appel. De même, s'il ressort des pièces du dossier que M. A..., parallèlement à sa demande indemnitaire devant le tribunal administratif de Rennes, a saisi le juge des référés de ce tribunal d'une demande de provision portant sur les mêmes préjudices et réclamant une somme de 12 000 euros supérieure à 10 000 euros et si ce justiciable a ensuite régulièrement contesté en appel l'ordonnance de rejet rendue par ce juge le 8 décembre 2022 sous le n° 2106102, l'existence de cette procédure d'appel close par une ordonnance de rejet

n° 22NT04056 du 1er février 2023 ne constitue pas, au sens de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, un " cas de connexité avec un litige susceptible d'appel " justifiant qu'il soit dérogé, pour la présente instance, au principe selon lequel le tribunal statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux indemnités dont le montant demandé n'excède pas la somme de 10 000 euros. La requête présentée par M. A... contre le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2023 a, par suite, le caractère d'un pourvoi en cassation qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Le dossier de la requête de M. A... est transmis au Conseil d'Etat.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

Le président,

G.-V. VERGNE

L'assesseure la plus ancienne,

I. MARION

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00862


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00862
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;24nt00862 ?
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