La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2025 | FRANCE | N°23NT02262

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 31 janvier 2025, 23NT02262


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 17 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince (Haïti) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'une ressortissante française.





Par un jugement

n°2212166 du 19 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 7 juillet 2022 de la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 17 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince (Haïti) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'une ressortissante française.

Par un jugement n°2212166 du 19 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 7 juillet 2022 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme A... le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2022 de la commission de recours.

Il soutient que :

- la fille de Mme A... ne justifie pas de ressources financières suffisantes pour subvenir aux besoins de sa mère ;

- Mme A... ne justifie pas être à la charge de sa fille ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2024, Mme A..., représentée par Me Chadourne, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans le délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante haïtienne née le 22 mars 1957, a présenté une demande de visa de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'une ressortissante française. Par une décision du 17 mars 2022, les autorités consulaires françaises à Port-au-Prince ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision du 7 juillet 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 19 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme A..., la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme A... le visa sollicité, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Lorsqu'elles sont saisies d'une demande tendant à la délivrance d'un visa de long séjour par une personne étrangère faisant état de sa qualité d'ascendant à charge d'un ressortissant français ou de son conjoint étranger, les autorités consulaires peuvent légalement fonder leur décision de refus sur la circonstance que le demandeur ne saurait être regardé comme étant à la charge de son descendant, dès lors qu'il dispose de ressources propres lui permettant de subvenir aux besoins de la vie courante dans des conditions décentes, que son descendant de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou qu'il ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.

3. Pour refuser de délivrer à Mme A... le visa sollicité en qualité d'ascendante à charge, la commission de recours s'est fondée sur le motif tiré de ce que la fille de l'intéressée et son époux, tous deux ressortissants français, ne justifiaient pas de ressources suffisantes pour pourvoir aux besoins de Mme A....

4. Il ressort, toutefois des pièces du dossier, notamment de l'avis d'impôt établi en 2021 au titre des revenus de 2020 du foyer fiscal de la fille de Mme A..., constitué de son époux et de deux enfants mineurs, qu'ils ont déclaré un revenu annuel de plus de 35 000 euros. Il ressort également des pièces du dossier que la fille de la demandeuse de visa et son conjoint sont propriétaires de leur domicile familial. Il s'ensuit, et alors que le ministre n'établit pas ses allégations selon lesquelles l'acquisition en 2017 de leur maison d'habitation présenterait une charge financière grevant de façon conséquente les revenus du couple, que la fille de Mme A... et son conjoint disposent de revenus suffisants pour la prendre en charge. Dans ces conditions, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer le visa sollicité au motif que la fille et le gendre de Mme A... ne justifient pas des ressources nécessaires pour pourvoir à ses besoins.

5. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir que Mme A... n'établit pas qu'elle ne disposerait pas de ressources propres lui permettant de subvenir aux besoins de la vie courante dans des conditions décentes.

7. En se bornant à produire une attestation sur l'honneur par laquelle elle déclare ne posséder " aucun bien matériel et immatériel " et être " à la charge totale " de sa fille, Mme A... n'établit pas être dépourvue de toutes ressources propres, alors que les quelques virements financiers dont elle justifie de la part de sa fille ne lui ont procuré chaque année que de faibles ressources, leur montant étant inférieur au salaire moyen mensuel de 111 euros à Haïti allégué par Mme A..., sans être contredite sur ce point par le ministre. Il s'ensuit, en l'absence de toute explication de l'intéressée sur des moyens d'existence autres que les versements effectués par sa fille, qui en outre sont très récents, que Mme A... ne peut être regardée comme justifiant être à la charge exclusive de sa fille. Il s'ensuit, alors même que cette dernière justifie disposer des ressources nécessaires pour assurer la prise en charge de sa mère en France, que Mme A... ne peut être regardée comme étant effectivement à la charge de sa fille. Dans ces conditions, le motif invoqué par le ministre tiré de ce qu'il n'est pas justifié que Mme A... ne disposerait pas d'autres ressources que celles procurées par sa fille, ressortissante française, n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive Mme A... d'aucune garantie.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.

9. En premier lieu, la décision contestée n'a pas été prise par M. Alain Ferré, président suppléant de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, qui a signé, en sa qualité de président suppléant de la commission de recours, la lettre de notification de la décision adressée au conseil de la requérante, mais par cette commission lors de sa séance du 7 juillet 2022. Le moyen tiré de ce que M. Alain Ferré n'était pas compétent pour signer la décision contestée doit, par suite, être écarté comme inopérant.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.

A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

11. La décision contestée du 7 juillet 2022 indique qu'elle est fondée sur les articles

L. 311-1 et suivants, L. 426-20 et suivants et L. 423-11 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur le motif tiré de ce que la fille et le gendre de Mme A..., tous deux ressortissants français, ne justifient pas de ressources suffisantes pour pourvoir aux besoins de cette dernière, au regard de leurs charges familiales et du remboursement de leur prêt. Elle indique ainsi, avec suffisamment de précision, les motifs de droit et de fait qui la fondent. Le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision contestée doit, par suite, être écarté.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

13. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., âgée de 65 ans à la date de la décision contestée, a toujours vécu dans son pays d'origine. En outre, il n'est pas contesté qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches privées et familiales en Haiti où résident ses trois autres enfants. La décision contestée, qui ne fait pas obstacle à ce que Mme A... rende visite à sa fille en France sous couvert de visas de court séjour, n'a donc pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 7 juillet 2022 de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à Mme A... le visa sollicité.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par cette dernière doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme A... la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions d'appel présentées par Mme A... à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02262


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02262
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : CHADOURNE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;23nt02262 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award