La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2025 | FRANCE | N°23NT01580

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 31 janvier 2025, 23NT01580


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme G... A... C..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs F... B... E... et I... B... E..., et M. H... B... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises en Ethiopie refusant de délivrer à M. H... B... E.

.. et aux enfants F... B... E... et I... B... E... des visas de long séjour au titre de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... C..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs F... B... E... et I... B... E..., et M. H... B... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises en Ethiopie refusant de délivrer à M. H... B... E... et aux enfants F... B... E... et I... B... E... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2206454 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2023, Mme A... C..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale des enfants mineurs F... B... E... et I... B... E..., et M. H... B... E..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes F... B... E... et I... B... E... ainsi qu'à M. H... B... E... les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'insuffisance de motivation ainsi que d'un défaut d'examen sérieux ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation ; les liens de filiation sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;

- c'est à tort que la commission a estimé qu'il était dans l'intérêt des enfants de rester auprès de leur père en Ethiopie ; ce dernier est en effet décédé ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Une mise en demeure a été adressée le 16 avril 2024 au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 11 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 septembre 2024.

Mme A... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Pollono, représentant Mme A... C... et M. B... E....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... C... et de son fils majeur, M. H... B... E... tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises en Ethiopie refusant de délivrer à M. B... E... et aux jeunes F... B... E... et I... B... E... des visas de long séjour en qualité d'enfants de Mme A... C..., réfugiée statutaire. Mme A... C... et M. B... E... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".

3. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 434-3 et L. 434-4 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie, que le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié ou a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée. Les demandes présentées pour les enfants issus d'une autre union doivent en outre satisfaire aux autres conditions prévues par les articles L. 434-3 ou L. 434-4, le respect de celles d'entre elles qui reposent sur l'existence de l'autorité parentale devant s'apprécier, le cas échéant, à la date à laquelle l'enfant était encore mineur.

4. D'autre part, aux termes de l'article L.811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il ressort de la décision contestée du 16 mars 2022 que la commission a rejeté le recours formé contre les refus de visas opposés à M. H... B... E... ainsi qu'aux enfants F... B... E... et I... B... E... aux motifs que leurs actes de naissance présentaient " tous des discordances, notamment en ce qui concerne leur date de naissance " et qu'en l'absence de preuve du décès du père des enfants, l'intérêt supérieur des enfants était de rester auprès de leur autre parent dans leur pays d'origine.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de leurs demandes de visas, M. B... E... et les jeunes F... et I... B... E... ont produit des passeports et les originaux de leurs actes de naissance, délivrés le 21 avril 2019, accompagnés de leur traduction en français. Les mentions figurant sur ces documents indiquent que les intéressés sont nés respectivement les 31 décembre 2002, 15 avril 2006, et 5 août 2011. Ces dates correspondent précisément à celles déclarées par Mme A... C... dans la fiche familiale de référence qu'elle a renseignée et signée, le 26 septembre 2019. Si le ministre de l'intérieur et des outre-mer a relevé, dans son mémoire en défense produit en première instance, que les originaux des actes de naissance mentionnaient des naissances en 1995, 1998 et 2003, il n'est pas sérieusement contesté que ces originaux, rédigés en langue amharique suivent le calendrier éthiopien, en décalage de sept à huit années par rapport au calendrier grégorien. Par suite, les discordances ainsi relevées entre les actes de naissance produits à l'appui des demandes de visas présentées par les trois enfants de Mme A... C... et les déclarations de cette dernière quant à leurs dates de naissance ne sont pas de nature à établir le caractère frauduleux de ces actes. Ces documents établissent l'identité des demandeurs de visa ainsi que les liens de filiation les unissant à Mme A... C.... Par suite, en estimant que ces liens n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... C... a produit, pour la première fois en appel, un certificat de décès établi le 20 juin 2022 par le bureau d'état civil de la République Fédérale Démocratique d'Ethiopie, ainsi qu'une décision du 1er mars 2023 du tribunal de première instance de Dire Diwa constatant que M. B... E... D..., père de M. B... E... et des jeunes F... et I... B... E... est décédé au Yémen, le 16 août 2016. Par suite, en estimant qu'il était dans l'intérêt supérieur des jeunes F... et I... B... E... de rester auprès de leur autre parent dans leur pays d'origine, et en rejetant, pour ce motif, le recours formé contre les refus de visas qui leur ont été opposés par les autorités consulaires, la commission a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... C... et M. B... E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale soit délivré à M. B... E... ainsi qu'aux jeunes F... et I... B... E.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Mme A... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du 10 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises en Ethiopie refusant de délivrer à M. B... E... et aux jeunes F... B... E... et I... B... E... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... E... et aux jeunes F... B... E... et I... B... E... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... A... C..., à M. H... B... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET La greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01580


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01580
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;23nt01580 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award