Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 décembre 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer, après avoir réexaminé, en exécution du jugement n° 2010444 du tribunal administratif du 7 mai 2021, les demandes de visa d'entrée en France de M. C... B... et des enfants J... A... B... et G... B... présentées au titre de la réunification familiale, les a rejetées.
Par un jugement n° 2207537 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en tant qu'elle porte refus de délivrer des visas de long séjour aux enfants J... A... B... et G... B..., a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer aux enfants J... A... B... et G... B... les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser au conseil des requérants en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mai et 27 novembre 2023, M. F... et M. C... B..., représentés par Me Bearnais, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en ce qu'elle refuse de délivrer à M. C... B... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale ;
2°) d'annuler la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en tant qu'elle refuse à M. C... B... la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. C... B... les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en estimant que le lien de filiation n'est pas établi, la commission a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 7 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 août 2024.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance, en tant qu'elle émane de M. F....
Les consorts B... ont produit des observations, enregistrées le 28 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ainsi que les jeunes J... A... B... et G... B..., nés respectivement en 2001, 2008 et 2011 ont sollicité la délivrance de visas de long séjour, en qualité d'enfants de M. F..., ressortissant ivoirien né en 1967, qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2006. Par un jugement du 7 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé, à la demande de M. F..., la décision du 23 septembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant son recours formé contre les décisions par lesquelles les autorités consulaires françaises à Abidjan (Côte d'Ivoire) ont refusé de délivrer à M. C... B... et aux enfants I... et J... A... B... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale, et d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer les demandes de visas de ces derniers. Par une décision du 21 décembre 2021, prise en exécution de ce jugement, le ministre de l'intérieur a réexaminé les demandes de visas d'entrée en France présentées par M. C... B... et les enfants J... A... B... et G... B..., au titre de la réunification familiale, et les a rejetées. Par un jugement 17 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé, à la demande de M. F... et de M. C... B..., la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en tant qu'elle porte refus de délivrer aux enfants J... A... B... et G... B... les visas sollicités, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de les faire délivrer à ces dernières et, enfin, rejeté les conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en tant qu'elle a refusé la délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B.... M. F... et M. C... B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en ce qu'elle a refusé la délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B....
Sur la recevabilité des conclusions de la demande de première instance dirigées contre la décision du 21 décembre 2021 du ministre en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B..., en ce qu'elles émanent de M. F... :
2. Un père ne justifie pas, en cette seule qualité, et alors même qu'il s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié, d'un intérêt lui permettant de contester, tant devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France que devant le juge administratif, la légalité d'un refus de visa opposé à son enfant majeur.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... B..., né le 21 août 2001, était majeur à la date d'introduction du recours contentieux formé le 8 juin 2022 par son père, M. F..., contre la décision du 21 décembre 2021 lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour. Par suite, M. F... ne justifiait pas, en sa seule qualité de père de M. C... B..., d'un intérêt lui donnant qualité pour contester devant le tribunal administratif la décision du 21 décembre 2021 en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B.... Par suite, les conclusions de la demande de première instance dirigées contre la décision du 21 décembre 2021 en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B... n'étaient pas recevables en tant qu'elles émanaient de M. F.... Ce dernier n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a, dans cette mesure, rejeté les conclusions de sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. C... B... dirigées contre la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en ce qu'elle refuse de lui délivrer un visa de long séjour :
4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
6. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 434-3 et L. 434-4 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie, que le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié ou a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée.
8. Pour refuser, par la décision contestée du 21 décembre 2021, la délivrance du visa de long séjour sollicité par M. C... B..., le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé sur le motif tiré de ce que " les actes d'état-civil produits (...) ont été établis dans des conditions contraires à la législation ivoirienne relative à l'état-civil et ne présentent ainsi pas de garanties d'authenticité ".
9. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de visa, M. C... B... a produit une copie intégrale du registre des actes de l'état civil pour l'année 2011 du centre principal de la commune d'Attecoube, comportant les mentions de l'acte n°1761 du 30 mai 2011 établi en exécution du jugement supplétif d'acte de naissance n°523 rendu le 4 mars 2011 par le Tribunal d'Abidjan Plateau. M. C... B... produit, pour la première fois en appel, ce jugement supplétif, qui reconnaît le lien de filiation existant entre le demandeur de visa et M. F.... Ce jugement, dont les mentions et le caractère probant ne sont pas contestés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer établissent le lien de filiation allégué. Par suite, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que le ministre de l'intérieur a estimé que ce lien n'était pas établi et que, pour ce motif, il a refusé de délivrer un visa de long séjour au titre de la réunification familiale à M. C... B....
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en tant qu'elle porte refus de lui délivrer le visa de long séjour sollicité.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... B... d'une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. C... B... tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur en ce qu'elle refuse de lui délivrer un visa de long séjour, et d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité.
Article 2 : La décision du 21 décembre 2021 du ministre de l'intérieur est annulée en tant qu'elle porte refus de délivrance d'un visa de long séjour à M. C... B....
Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale dans une délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la requête en tant qu'elle émane M. F... et le surplus des conclusions de la requête en tant qu'elle émane de M. C... B... sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F..., à M. C... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01510