Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... I... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le maire de Mosles a délivré un permis de construire une maison d'habitation à M. F... dit E... et à Mme C....
Par une ordonnance n° 2201071 du 16 février 2023, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen a, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté sa demande comme étant manifestement irrecevable.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 avril 2023, M. I..., représenté par Me Ndiaye, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2023 de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 du maire de Mosles accordant à M. F... Dit E... et à Mme C... un permis de construire une maison d'habitation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Mosles, d'une part, et de M. F... dit E... et de Mme C..., d'autre part, des sommes de 2 500 euros chacun, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. I... soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière ; il justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre le permis contesté ;
- en application de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, le permis de construire contesté est soumis aux anciennes dispositions du plan local d'urbanisme de la commune ; le projet qu'il autorise, en ce qu'il aggrave l'atteinte déjà portée au caractère parsemé de l'habitat du secteur à son aspect rural, méconnaît les dispositions applicables à la zone Ub et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît les orientations du plan d'aménagement de développement durable (PADD) de l'ancien PLU prévoyant notamment la protection des espaces agricoles, l'accroissement mesuré de l'offre d'habitat, la densification des dents creuses des zones les plus urbanisées et l'extension très légère de l'urbanisation au sein des hameaux ;
- alors qu'un ancien projet de lotissement, qui ne portait que sur quatre constructions, a été censuré par le tribunal administratif comme attentatoire au caractère rural du secteur, le nouveau projet de lotissement autorisé le 14 avril 2020 et dont est issu le lot formant le terrain d'assiette du projet contesté, densifie davantage l'habitat, jusqu'ici clairsemé ; la nouvelle opération de lotissement a contourné la décision du tribunal administratif ;
- l'arrêté de permis de construire contesté est illégal en ce qu'il est contraire aux objectifs de lutte contre les inondations ;
- il est également entaché d'illégalité, en ce que le projet est édifié sur un lot issu d'un détachement foncier autorisé par un arrêté de non opposition à déclaration préalable du 14 avril 2020 lui-même illégal car entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; ce lotissement était de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme intercommunal d'Isigny Omaha, qui était alors dans un état suffisamment avancé et prévoyait le classement de la parcelle en zone naturelle inconstructible.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2023, M. F... dit E..., Mme C... et la commune de Mosles concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. I... les sommes de 1 500 euros à verser à M. F... dit E... et Mme C..., d'une part, et à la commune de Mosles, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par M. I... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dias,
- et les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 8 mars 2022, le maire de Mosles (Calvados) a accordé à M. F... dit E... et à Mme C... un permis de construire une maison d'habitation d'une emprise au sol de 126 m², sur les parcelles cadastrées à la section ZC sous les nos 75 et 76, issues d'un détachement foncier autorisé par un arrêté de non-opposition préalable du 14 avril 2020. M. I..., propriétaire d'une maison d'habitation sur la parcelle cadastrée à la section ZC sous le n°24, relève appel de l'ordonnance du 16 février 2023 par laquelle la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté comme manifestement irrecevable sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2022 du maire de Mosles au motif qu'il ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ce permis de construire.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...), les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans ou ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
5. Pour justifier de son intérêt à agir contre le permis de construire contesté M. I... fait état notamment de ce que la construction litigieuse dénaturera le paysage bocager caractéristique de l'environnement de sa parcelle et qu'elle sera visible depuis les ouvertures situées dans le mur pignon de sa maison.
6. Il ressort des pièces du dossier que la maison de M. I... se situe à l'entrée du hameau dit G..., à deux kilomètres à l'est du bourg de Mosles, à l'intersection de l'impasse de G..., orientée dans le sens est ouest, dont elle est la première habitation, et la route départementale 206, orientée dans le sens sud-ouest nord-est. Le terrain d'assiette du projet, tènement constitué des parcelles cadastrées à la section ZC sous les nos 75 et 76 se trouve du même côté de la route départementale que la parcelle de M. I..., quarante mètres environ plus au nord-est, et en est séparé, d'abord par une bande de terrain, servant de chemin depuis la route départementale, vers des parcelles non bâties, en deuxième rideau, puis par la parcelle cadastrée à la section ZC sous le n° 79, également vierge de construction et d'une contenance de 1 354 m², voisine de la propriété de M. I.... Si ce dernier n'a ainsi pas la qualité de voisin immédiat du projet, la construction litigieuse se situera à 75 mètres à peine de sa parcelle, ne sera que partiellement dissimulée par la végétation et sera notamment visible depuis une ouverture située sur l'un des murs pignons de sa maison. Compte tenu du secteur dans lequel la construction projetée sera implantée, caractérisé par un environnement de type bocager et par un habitat très diffus, sur un vaste tènement jusque-là demeuré à l'état naturel, l'atteinte à son cadre de vie invoquée par le requérant est susceptible d'affecter directement les conditions de jouissance de son bien. Par suite, M. I... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen a estimé que ce dernier ne justifiait pas d'un intérêt pour agir contre l'arrêté du 8 mars 2022 du maire de Mosles et que, pour ce motif, elle a, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté comme manifestement irrecevable sa demande tenant à l'annulation de cet arrêté. Par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée.
7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. I... devant le tribunal administratif de Caen.
Sur la légalité de l'arrêté du 8 mars 2022 du maire de Mosles :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 151-2 du code de l'urbanisme : " Le plan local d'urbanisme comprend : / 1° Un rapport de présentation ; / 2° Un projet d'aménagement et de développement durables ; / 3° Des orientations d'aménagement et de programmation ; / 4° Un règlement ; / 5° Des annexes. / Chacun de ces éléments peut comprendre un ou plusieurs documents graphiques (...) ". Aux termes de l'article L. 152-1 du même code : " L'exécution par toute personne publique ou privée de tous travaux, constructions, aménagements, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, et ouverture d'installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan sont conformes au règlement et à ses documents graphiques. / Ces travaux ou opérations sont, en outre, compatibles, lorsqu'elles existent, avec les orientations d'aménagement et de programmation ".
9. Il résulte de ces dispositions que, contrairement au règlement et à ses documents graphiques, le plan d'aménagement et de développement durables d'un plan local d'urbanisme (PADD) n'est pas directement opposable aux autorisations individuelles d'urbanisme. Par suite, le moyen tiré de ce que la construction litigieuse, en ce qu'elle a été autorisée à l'extérieur du bourg, au sein d'un secteur d'habitat diffus, méconnaîtrait les orientations du PADD privilégiant l'urbanisation en centre bourg et l'extension très légère de l'urbanisation dans les hameaux, est inopérant.
10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux est situé au lieu-dit G..., dans un secteur d'urbanisation diffuse, qu'il consiste en la construction, sur un tènement d'une contenance de 3 109 m², d'une maison d'habitation d'une surface plancher créée de 126,71 m², à la périphérie immédiate de plusieurs parcelles déjà construites, formant ainsi une extension légère par rapport à cette urbanisation diffuse. Le projet respecte ainsi les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme applicables à la zone Ub définie comme correspondant aux secteurs bâtis d'urbanisation diffuse des hameaux, et dans lesquels sont autorisés " l'accroissement très léger de l'urbanisation par comblement des parcelles non encore urbanisées ainsi que l'extension légère de l'urbanisation en périphérie immédiate ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait été délivré en méconnaissance des dispositions applicables au secteur Ub de plan local d'urbanisme de la commune de Mosles doit être écarté.
11. En troisième lieu, M. I... soutient que la division foncière, autorisée par l'arrêté de non-opposition préalable du 14 avril 2020 du maire de Mosles, dont est issu le lot ayant donné lieu au permis contesté était de nature à compromettre l'exécution du projet de classement en zone naturelle inconstructible du secteur de G..., prévu par le futur plan local d'urbanisme intercommunal d'Isigny Omaha, et qu'en autorisant cette opération de lotissement par cet arrêté du 14 avril 2020 de non-opposition à déclaration préalable plutôt que de prononcer un sursis à statuer, alors que le projet de nouveau plan était dans un état suffisamment avancé, le maire de Mosles a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Il soutient aussi que cette opération de division foncière méconnait les dispositions du précédent plan local d'urbanisme ainsi que les orientations du PADD et qu'elle vise à contourner la chose jugée par le tribunal administratif. Toutefois, le permis de construire litigieux n'est pas pris pour l'application de l'autorisation de lotir délivrée le 14 avril 2020, cette dernière ne constituant pas davantage la base légale de la première. Par suite, l'illégalité de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable du 14 avril 2020 ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui des conclusions dirigées contre le permis de construire contesté.
12. En quatrième et dernier lieu, M. I... soutient que l'arrêté de permis de construire contesté est illégal en ce qu'il est contraire aux objectifs de lutte contre les inondations. Toutefois, ce moyen qui n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le maire de Mosles a délivré un permis de construire à M. F... dit E... et à Mme C....
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Mosles, de M. F... dit E... et de Mme C..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme demandée par M. I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. I... le versement des sommes que demandent M. F... dit E..., Mme C... et la commune de Mosles au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : L'ordonnance du 16 février 2023 de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. I... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. F... dit E..., de Mme C... et de la commune de Mosles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... I..., à M. H... F... dit E..., à Mme B... C... et à la commune de Mosles.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01045