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31/01/2025 | FRANCE | N°23NT00834

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 31 janvier 2025, 23NT00834


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... et Mme A... E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur B... C... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 5 mars 2021 des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de dél

ivrer à Mme E... et à l'enfant B... C... F... des visas de long séjour au titre de la réu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme A... E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur B... C... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 5 mars 2021 des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à Mme E... et à l'enfant B... C... F... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2204104 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2023, M. C... et Mme E..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2021 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal n'a pas sérieusement examiné le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant pour l'avoir écarté au motif que le lien n'était pas établi, après avoir pourtant considéré que les actes de naissance produits permettaient d'établir leur identité ;

- en se bornant à écarter les éléments de possession d'état au seul motif de leur caractère non probant, la commission de recours a insuffisamment motivé sur ce point sa décision ; elle n'a, ce faisant, pas davantage procédé à un examen approfondi de leur demande ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit, faute pour la commission de recours d'avoir établi le caractère non probant des éléments de possession d'état ;

- l'identité et le lien de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- la qualité de concubine de Mme E... ne peut être remise en cause par le ministre dès lors qu'ils justifient d'une vie commune suffisamment stable et continue avant la date d'introduction de la demande d'asile de M. C... ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Une note en délibéré présentée pour M. C... a été enregistrée le

14 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant congolais, né le 22 octobre 1993, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du 16 avril 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Mme E..., qu'il présente comme sa concubine, et le jeune B... C... F..., né le 15 juillet 2010, qu'il présente comme son fils, ont déposé des demandes de visas de long séjour. Par une décision du 5 mars 2021, les autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) ont refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision du 7 juillet 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... et de Mme E... tendant à l'annulation de la décision du 7 juillet 2021 de la commission de recours. M. C... et Mme E... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale:/ (...)/ ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter les demandes de visas de Mme E... et du jeune B... C... F..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que leurs actes de naissance ne permettent pas d'établir leur identité et partant leur lien familial avec M. C... et, d'autre part, de ce que les éléments de possession d'état produits ne présentent pas de caractère probant.

6. D'une part, pour justifier de l'identité du jeune B... C... F... et, dès lors, de son lien de filiation à l'égard de M. C..., les requérants ont produit un jugement supplétif rendu le 23 octobre 2015 par le tribunal de paix de Kinshasa-Kalamu, un certificat de non appel de ce jugement du 23 décembre 2015 ainsi qu'un acte de naissance portant la mention du jugement supplétif et une copie intégrale d'acte de naissance, dressés le 10 mai 2017 par le service d'état civil de la commune de Kalamu au sein de la ville de Kinshasa, mentionnant ses liens de filiation paternel avec M. C... et maternel avec Mme E.... Ils ont également produit une copie du passeport qui lui a été délivré le 8 novembre 2019 et qui comporte sa date et son lieu de naissance. Si la commission de recours a considéré que l'acte de naissance produit n'était pas probant au motif que le jugement supplétif n'a pas été transcrit dans le délai de 8 jours à compter de la réception du dispositif du jugement, ainsi que le prévoit l'article 106 du code de la famille congolais, une telle circonstance ne permet toutefois pas d'établir que ce jugement supplétif présenterait un caractère frauduleux et priverait, par suite, de caractère authentique l'acte de naissance dressé en transcription de ce jugement. Dans ces conditions, le motif tiré de ce que l'identité du jeune B... C... F... et, dès lors, son lien de filiation à l'égard de M. C... ne sont pas établis, n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

7. D'autre part, pour justifier de l'identité de Mme E..., les requérants ont produit, à l'appui de la demande de visa de l'intéressée, un jugement supplétif rendu le 27 avril 2017 par le tribunal de paix de Kinshasa-Pont Kasa Vubu, un certificat de non appel de ce jugement établi à la date du 28 avril 2017 ainsi qu'un acte de naissance portant la mention du jugement supplétif et une copie intégrale d'acte de naissance, dressés le 3 mai 2017 par le service d'état civil de la commune de Kalamu au sein de la ville de Kinshasa mentionnant la date et le lieu de naissance de Mme E... au 12 février 1992 à Kinshasa. Elle produit également une copie du passeport qui lui a été délivré le 9 août 2018 et qui comporte les mêmes mentions. Si la commission de recours s'est fondée, pour refuser le visa sollicité, sur le motif que l'acte de naissance produit a été dressé à une date où le jugement supplétif pouvait encore être frappé d'appel, en vertu des dispositions de l'article 67 du code de procédure civile de la République démocratique, cette seule circonstance ne suffit pas à remettre en cause sa valeur probante. Dans ces conditions, le motif tiré de ce que l'identité de Mme E... n'est pas établie n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Pour établir que la décision contestée est légale, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense communiqué en première instance aux requérants, un autre motif, tiré de ce que l'ancienneté et la stabilité de la relation de concubinage entre Mme E... et M. C... ne sont pas établies à la date de la demande d'asile de ce dernier.

10. S'il n'est pas contesté qu'au moment du dépôt de sa demande d'asile, M. C... n'a pas déclaré Mme E... comme sa concubine et la mère de leur enfant B... C... F..., né le 15 juillet 2010, il ressort des pièces du dossier qu'il les a mentionnés comme tels dans la fiche familiale de référence qu'il a renseignée le 18 juillet 2016. Pour justifier de l'ancienneté et de la stabilité de cette relation, les requérants produisent, d'une part, deux attestations de personnes, alors voisins des intéressés, témoignant, de façon suffisamment circonstanciée, de la relation de concubinage existant entre les intéressés et de la naissance de leur enfant le 15 juillet 2010. Ils produisent également un jugement supplétif d'acte de naissance de cet enfant, rendu le 23 octobre 2015, par le tribunal de paix de Kinshasa-Kalamu dont il a été dit au point 6 qu'il ne présentait pas de caractère frauduleux. Ils justifient, en outre, du maintien de leur relation par la production de mandats adressés par M. C... à Mme E..., entre les mois de décembre 2018 et de mars 2021 ainsi que de nombreux échanges téléphoniques entre le mois janvier 2020 et la date de la décision contestée. Le caractère stable et continu de la relation maritale des intéressés étant établi, la substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme E... et au jeune B... C... F.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 novembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 7 juillet 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées par Mme E... et le jeune B... C... F... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... et au jeune B... C... F... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... et à Mme E... une somme globale de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme A... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00834


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00834
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;23nt00834 ?
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