Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E..., M. F... B... et la société E... B... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la délibération du 10 février 2021 par laquelle le conseil municipal de Thue et Mue a prononcé le déclassement des parcelles qui accueillaient l'ancienne mairie de Bretteville l'Orgueilleuse en vue de leur cession à des personnes privées pour un montant de 320 000 euros et a déterminé les conditions de la cession.
Par un jugement n° 2100792 du 17 novembre 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 et 24 janvier 2024, M. E..., représenté par Me Hourmant, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 17 novembre 2023 ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Thue et Mue le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il avait intérêt pour agir en première instance, en sa qualité de contribuable local, ainsi qu'en raison de la profession qu'il exerce, l'acte contesté permettant l'installation d'un second cabinet de masseurs kinésithérapeutes à proximité immédiate du sien ;
- la délibération contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ;
- faute de décider de la désaffectation, fût-elle anticipée, de la mairie et de son annexe, l'acte de déclassement est illégal ;
- dans la mesure où aucun plan matérialisant la partie de la parcelle cadastrée AK n° 188 n'était joint à la note explicative, les élus n'ont pas pu délibérer en toute connaissance de cause ;
- dans le cadre d'un déclassement par anticipation, une étude d'impact pluriannuelle aurait dû être réalisée ;
- le principe d'inaliénabilité des biens du domaine public a été méconnu ;
- le prix de vente de 320 000 euros est très largement sous-estimé et ne peut être regardé que comme une libéralité injustifiée au bénéfice des consorts D....
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mai 2024, la commune de Thue et Mue, représentée par Me Bouthors-Neveu, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de M. E... ;
2°) de mettre à la charge de M. E... le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le requérant n'avait pas intérêt pour agir en première instance et sa demande était donc irrecevable, comme l'ont jugé les premiers juges ;
- aucun des moyens soulevés par M. E... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouthors-Neveu pour la commune de Thue et Mue.
Considérant ce qui suit :
1. La commune nouvelle de Thue et Mue, née de la fusion de plusieurs communes dont celle de Bretteville l'Orgueilleuse, était propriétaire d'un ensemble immobilier composé d'un bâtiment, qui accueillait l'ancienne mairie, ainsi que son annexe. Par une délibération du 10 février 2021, le conseil municipal de Thue et Mue a, d'une part, prononcé le déclassement du domaine public communal de l'ensemble immobilier concerné en vue de sa cession à des personnes privées, d'autre part, déterminé les conditions de la cession et autorisé le maire à signer le compromis de vente. M. E... et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de cette délibération. Par un jugement du 17 novembre 2023, le tribunal a rejeté leur demande. M. E... fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Un requérant peut justifier à tout moment de la procédure devant les juges du fond, y compris pour la première fois en appel, de la qualité qui lui donnait intérêt pour agir. En appel sont produits les avis de taxe foncière pour 2020, 2021 et 2022 de M. E..., de nature à justifier qu'à la date de l'introduction de la demande de première instance, il avait la qualité de contribuable local de la commune de Thue et Mue. M. E... se prévaut notamment de ce que le montant retenu par la commune de Thue et Mue pour vendre des biens lui appartenant a été sous-évalué, pour un montant d'environ 200 000 euros, ce qui entraînerait une perte de recettes communales. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a jugé qu'il n'avait pas intérêt pour agir à l'encontre de la délibération autorisant la cession des biens en cause.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. ". Le défaut d'envoi, avec la convocation aux réunions du conseil municipal, de la note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
5. Il ressort des pièces du dossier que la convocation adressée aux conseillers municipaux préalablement à la délibération en cause comportait une notice explicative mentionnant notamment les raisons du déclassement du domaine public et de la vente des parcelles en cause, les conditions de cette vente et la teneur de l'avis de France Domaine du 6 juillet 2020, qui a estimé les biens à la somme de 300 000 euros. Contrairement à ce que soutient M. E..., la notice explicative n'avait pas à indiquer qu'un précédent avis de France Domaine avait estimé les biens en cause, le 28 mai 2010, à la somme de 500 000 euros, soit une somme supérieure de 200 000 euros. Enfin, la notice explicative mentionne que la vente porte sur " l'ensemble immobilier situé sur la parcelle 098AK189 et une partie de la parcelle 098AK188, composée du bâtiment et son annexe au 1 rue de Bayeux à Bretteville l'Orgueilleuse ainsi que la cour séparant les deux bâtiments et une partie de terrain devant l'annexe ". La circonstance que la partie à céder de la parcelle cadastrée section AK n° 188 ne soit pas précisément définie est sans influence sur la légalité de la délibération contestée dès lors qu'elle a été par ailleurs délimitée, notamment dans le dossier de demande d'avis adressé en 2020 au service des domaines, et que le requérant ne démontre pas que les caractéristiques de cette parcelle nue auraient été déterminantes pour l'estimation de la valeur de l'ensemble immobilier et pour mesurer les implications de la décision. Les éléments communiqués ont permis aux élus de comprendre les motifs de fait et de droit justifiant le projet de désaffectation, de déclassement et de vente des parcelles en cause et d'en apprécier la portée. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ". Aux termes de l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Par dérogation à l'article L. 2141-1, le déclassement d'un immeuble appartenant au domaine public artificiel des personnes publiques et affecté à un service public ou à l'usage direct du public peut être prononcé dès que sa désaffectation a été décidée alors même que les nécessités du service public ou de l'usage direct du public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l'acte de déclassement. Ce délai ne peut excéder trois ans. Toutefois, lorsque la désaffectation dépend de la réalisation d'une opération de construction, restauration ou réaménagement, cette durée est fixée ou peut être prolongée par l'autorité administrative compétente en fonction des caractéristiques de l'opération, dans une limite de six ans à compter de l'acte de déclassement. (...) ". Ainsi, alors qu'en vertu de l'article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques, le déclassement d'un bien de leur domaine public est en principe consécutif ou concomitant à sa désaffectation, les collectivités territoriales, peuvent décider de procéder, sur le fondement de l'article L. 2141-2 de ce code, à un déclassement anticipé de ce bien par rapport à la prise d'effet de sa désaffectation.
7. Il ressort des pièces du dossier que la délibération contestée du 10 février 2021 indique que : " le conseil municipal a pris une délibération n° 2020-118 le 9 décembre autorisant notamment le maire à signer un compromis de vente pour le bâtiment de l'actuelle mairie et pour le déclassement par anticipation du domaine public. Au vu de l'avancement des travaux de la maison des services publics, il est nécessaire de décaler la date du déménagement au 15 avril 2021 au lieu du 15 février initialement prévu. (...) Pour ces deux raisons, il est nécessaire de retirer la délibération 2020-118 du 9 décembre 2020 relative à la vente de la mairie et de prendre une nouvelle délibération (...) ". Par une délibération du 9 décembre 2020, le conseil municipal de la commune de Thue et Mue avait décidé de transférer, à compter du 15 février 2021, le chef-lieu de la commune du 1 rue de Bayeux au 10 place des canadiens. Au vu de ces éléments, la commune de Thue et Mue a décidé de désaffecter l'ancienne mairie à compter du 15 avril 2021. Par conséquent, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'acte de déclassement était illégal à défaut de décision de désaffectation. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le principe d'inaliénabilité des biens du domaine public a été méconnu doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " (...) Toute cession intervenant dans les conditions prévues au présent article donne lieu, sur la base d'une étude d'impact pluriannuelle tenant compte de l'aléa, à une délibération motivée de l'organe délibérant de la collectivité territoriale, du groupement de collectivités territoriales ou de l'établissement public local auquel appartient l'immeuble cédé. (...) ".
9. Il ressort de la délibération contestée que le déclassement des parcelles en cause prenait effet de façon consécutive à leur désaffectation, reportée à la date d'achèvement des travaux de la maison des services publics, le 15 avril 2021. Contrairement à ce que soutient M. E..., si cette délibération a acté le principe de la désaffectation des parcelles avec une prise d'effet reportée à la date d'achèvement des travaux de la maison des services publics, elle n'a cependant pas prononcé le déclassement anticipé de ces biens par rapport à la prise d'effet de leur désaffectation. Dès lors, cette délibération n'était pas fondée sur les dispositions de l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques et ne devait pas donner lieu à l'élaboration d'une étude d'impact pluriannuelle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques doit être écarté.
10. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité. ". Il ressort des pièces du dossier que le prix de cession retenu par le conseil municipal de Thue et Mue est supérieur de 20 000 euros à celui évalué par France Domaine. Ce dernier, pour évaluer les biens en cause à la somme de 300 000 euros dans son avis du 6 juillet 2020, a utilisé la méthode par comparaison et la méthode du compte à rebours simplifié, en privilégiant la première méthode, la seconde présentant des incertitudes sur les coûts des travaux. Cette estimation s'est fondée sur les prix de cession de divers immeubles à usage de bureaux, dont deux situés à Thue et Mue. La seule circonstance que le 28 mai 2010, soit plus de dix ans avant la délibération en cause, France Domaine avait estimé les biens à la somme de 500 000 euros ne saurait suffire à infirmer l'avis émis le 6 juillet 2020 dans un contexte et des conditions différents. Si M. E... a produit une expertise, elle est postérieure de plusieurs mois à la délibération contestée et ne prend comme éléments de comparaison que quatre maisons, d'une superficie de 130 à 310 m2, alors que les deux bâtiments en litige, qui étaient à usage de bureaux, ont une superficie totale de 508 m2. Par conséquent, l'insuffisance du prix de cession décidée par la délibération en litige n'est pas établie. Le moyen tiré de ce qu'une libéralité aurait été accordée aux futurs acheteurs doit donc être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de la délibération du 10 février 2021 prise par le conseil municipal de Thue et Mue.
Sur les frais liés au litige :
12. La commune de Thue et Mue n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à sa charge la somme que demande, à ce titre, M. E.... Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... la somme de 1 500 euros au bénéfice de la commune de Thue et Mue, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevable la demande d'annulation présentée par M. E....
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. E... devant la cour et sa demande présentée devant le tribunal administratif de Caen sont rejetés.
Article 3 : M. E... versera à la commune de Thue et Mue la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et à la commune de Thue et Mue.
Une copie en sera transmise, pour information, à M. A... D... et à Mme G... D....
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- Mme Picquet, première conseillère,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2025.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00177