Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités croates.
Par un jugement n° 2400152 du 17 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 février 2024, M. A..., représenté par Me Prélaud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2023 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités croates ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de prendre en charge sa demande d'asile en procédure normale, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- le préfet de Maine-et-Loire n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle ;
- le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les articles 3, 5 et 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet de Maine-et-Loire a méconnu l'article 34 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- et les observations de Me Prélaud, pour le requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sierra-léonais, né le 10 mai 1990, a sollicité l'asile le
14 novembre 2023. Par un arrêté du 22 décembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités croates. M. A... relève appel du jugement du 17 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le requérant se borne à reprendre en appel, sans apporter d'élément nouveau de fait ou de droit, le moyen invoqué en première instance tiré de ce que l'arrêté contesté est insuffisamment motivé. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de M. A..., en particulier s'agissant de sa vulnérabilité.
4. En troisième lieu aux termes de l'article 34 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre d'origine assure la sécurité des données avant et pendant leur transmission au système central. / 2. Chaque État membre adopte, pour toutes les données traitées par ses autorités compétentes en vertu du présent règlement, les mesures nécessaires, y compris un plan de sécurité, pour: / (...) / b) empêcher l'accès de toute personne non autorisée aux installations nationales dans lesquelles l'État membre mène des opérations conformément à l'objet d'Eurodac (contrôle à l'entrée de l'installation); / (...) f) veiller à ce que les personnes autorisées à avoir accès à Eurodac n'aient accès qu'aux données pour lesquelles l'autorisation a été accordée, l'accès n'étant possible qu'avec un code d'identification individuel et unique et par un mode d'accès confidentiel (contrôle de l'accès aux données); / (...) / i) garantir qu'il soit possible de vérifier et de déterminer quelles données ont été traitées dans Eurodac, à quel moment, par qui et dans quel but (contrôle de l'enregistrement des données); / (...) ".
5. D'une part, si M. A... soutient qu'il n'est pas établi que l'agent qui a consulté le fichier Eurodac y était habilité, il n'invoque pas de texte précis qui aurait été méconnu à ce titre. En particulier, les dispositions de l'article 34 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, dont il se prévaut, ne font pas mention de règles particulières à cet égard. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent qui a consulté le fichier Eurodac n'y était pas habilité.
6. D'autre part, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français refuse l'admission provisoire au séjour à un demandeur d'asile et remet celui-ci aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Dans ces conditions, M. A... ne peut utilement soutenir que la décision ordonnant son transfert aux autorités croates serait illégale au motif qu'il n'aurait pas été informé de l'identité du responsable du traitement de ses empreintes digitales qui a également consulté le fichier Eurodac.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
8. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. A... qu'il a bénéficié, le 14 novembre 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions en garantissant la confidentialité. Il ressort du compte-rendu de l'entretien du 14 novembre 2023 que M. A... a été mis à même de s'exprimer sur sa situation. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national du seul fait que l'agent qui a procédé à cet entretien n'est identifié que par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité " et les initiales manuscrites de l'agent. En tout état de cause, l'absence de plus de précision sur l'identité dudit agent n'a pas privé l'intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mesure d'instruction supplémentaire.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. / (...) ". ".
10. Si M. A... prétend qu'il n'aurait pas déposé volontairement de demande d'asile en Croatie mais que les autorités de ce pays ont enregistré d'office une telle demande après avoir relevé de force ses empreintes digitales, il ne l'établit pas d'autant qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a été enregistré dans le système Eurodac en tant que demandeur d'asile en Croatie le 7 octobre 2023 et que les autorités croates ont explicitement accepté, le 1er décembre 2023, sur la demande des autorités française, de reprendre en charge sa demande.
11. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article
3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
13. M. A... soutient que la Croatie n'accueille pas les demandeurs d'asile dans des conditions dignes et ne traite pas leurs demandes conformément aux exigences du droit d'asile, notamment en procédant à des " push-back " et à des violences policières, voire de tortures, dont il dit avoir été victime, notamment en ayant été aspergé de gaz lacrymogène par la police croate. Toutefois, il n'établit pas la réalité de ses allégations. Les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autres éléments avancés, notamment les documents médicaux produits, n'établissent pas qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Enfin, M. A... ne peut utilement se prévaloir des risques auxquels il serait exposé en Sierra-Léone alors que la décision contestée n'a pas pour objet de l'éloigner vers ce pays. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi qu'à l'article
4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement doivent être écartés.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
15. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction, sous astreinte, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Prélaud et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00583