La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/01/2025 | FRANCE | N°23NT02467

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 10 janvier 2025, 23NT02467


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Ile de Sein Energies a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ou de résilier, si besoin avec effet différé, le contrat du 6 mars 2020 par lequel le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère (SDEEF) a concédé à la société Electricité de France (EDF), pour une durée de trente ans, le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux

tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène. Elle a éga...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ile de Sein Energies a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ou de résilier, si besoin avec effet différé, le contrat du 6 mars 2020 par lequel le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère (SDEEF) a concédé à la société Electricité de France (EDF), pour une durée de trente ans, le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène. Elle a également demandé la condamnation du syndicat à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la signature dudit contrat.

Par un jugement n° 2003602 du 12 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a, d'une part, admis l'intervention à l'instance de l'association ClientEarth, d'autre part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ile de Sein Energies et, enfin, rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 août 2023, 5 février et 23 juin 2024, et un mémoire enregistré le 31 juillet 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Ile de Sein Energies, représentée par Me Cofflard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 juin 2023 ;

2°) d'annuler ou de résilier, si besoin avec effet différé, le contrat du 6 mars 2020 ;

3°) de condamner le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère (SDEEF) à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la signature dudit contrat ;

4°) de mettre à la charge du SDEEF et de la société EDF la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a respecté le délai de recours et justifie d'un intérêt à agir, si bien que sa requête de première instance était recevable ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- en refusant d'ordonner aux parties défenderesses la communication des délibérations et délégations ayant précédé la conclusion du contrat, compte tenu de leur incidence au regard du moyen tiré de l'absence totale de mise en concurrence, le tribunal a méconnu l'étendue de son pouvoir d'instruction et a violé le principe du contradictoire ;

- les dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie méconnaissent les principes fondamentaux de la commande publique figurant à l'article L. 3 du code de la commande publique qui ont valeur constitutionnelle ; elle soulève, conformément aux exigences procédurales applicables fixées par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée une question prioritaire de constitutionnalité afférente à la conformité à la constitution des dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code l'énergie ;

- en application de l'article 24 de la directive 2009/72 CE du 13 juillet 2009, la collectivité et le concessionnaire ont l'obligation de déterminer en toute transparence des critères clairs et précis permettant d'apprécier les " considérations d'efficacité et d'équilibre économique " ayant justifié le choix du gestionnaire du réseau de distribution ainsi que la durée du contrat ; les dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie, adoptées pour la transposition de l'article 24 de la directive précitée, désigne EDF comme gestionnaire de réseaux, sans condition de durée et surtout sans aucun critère lié à l'efficacité et l'équilibre économique d'un tel choix, et sont donc inconventionnelles ;

- la passation du contrat s'est effectuée en violation directe de l'article 24 de la directive, faute pour le SDEEF d'avoir choisi son concessionnaire en considération d'efficacité et d'équilibre économique ; la durée de 30 ans prévue au contrat est excessive et ne trouve nulle justification, notamment dans la durée des amortissements nécessaires aux investissement à réaliser ; la méconnaissance de l'article 24 de la directive 2009/72/CE empêche la pleine application des articles 18, 49, 56 et 102 du TFUE ; la dérogation prévue à l'article 26 §4 de la directive ne saurait justifier la désignation d'EDF comme attributaire du contrat de concession ; malgré l'adoption de la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ainsi que la pleine application de la directive 2009/72/CE et des principes fondamentaux de la commande publique, le contrat de concession litigieux a été signé sans aucune mise en concurrence ni mesure de publicité ;

- en cas de doute sur l'interprétation de l'article 24 de la directive précitée, il est demandé à la cour le renvoi préjudiciel de la question à la CJUE, conformément à l'article 267 § 3 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ;

- au regard de la gravité des irrégularités soulevées, la cour devra prononcer l'annulation ou la résiliation du contrat litigieux ;

- sa demande indemnitaire est fondée sur la perte de chance d'avoir été désignée comme concessionnaire du contrat litigieux ;

- la cour doit faire usage de ses pouvoirs généraux d'instruction pour solliciter des défenderesses tous les documents ayant précédé ou adopté concomitamment à l'attribution du contrat litigieux, notamment la convention " PAMELA " ainsi que la convention pour la mise en œuvre de la transition écologique et l'avis de la commission consultative des services publics locaux et l'ensemble des comptes rendus annuels du concessionnaire, indispensables pour comprendre la réalité des investissements réalisés ;

- le litige pourrait connaître une résolution amiable, si bien qu'il y a lieu pour la cour de désigner un médiateur en vertu de l'article L. 213-7 du code de justice administrative.

Par des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2023 et 11 juillet 2024, la société EDF, représentée par Me Cabanes et Me de Saint-Pern, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société Ile de Sein Energies au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, faute pour la société requérante de justifier d'un intérêt à agir ;

- le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué est inopérant et infondé ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des principes fondamentaux de la commande publique est inopérant ;

- les autres moyens invoqués par la société requérante sont infondés ;

- le litige ne peut être résolu par une médiation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2024, le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère, représenté par Me Labayle-Pabet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5000 euros soit mise à la charge de la société Ile de Sein Energies au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens tirés de l'insuffisante motivation du jugement attaqué et de la méconnaissance de l'article 24 de la directive 2009/72 CE du 13 juillet 2009 et des articles 18, 49, 56 et 102 du TFUE sont inopérants et infondés ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des principes fondamentaux de la commande publique est inopérant ;

- les autres moyens invoqués par la société requérante sont infondés ;

- le litige ne peut être résolu par une médiation.

Par une ordonnance n° 23NT02467 du 28 mars 2024, le président de la quatrième chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la contestation, soulevée par la société Ile de Sein Energies dans un mémoire distinct enregistré le 2 février 2024, du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été opposé par le jugement attaqué du tribunal administratif de Rennes du 12 juin 2023.

Par une ordonnance du 11 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ;

- le code de la commande publique ;

- le code de l'énergie ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chabernaud,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteur public,

- et les observations de Me Cofflard, représentant la société Ile de Sein Energies, et de Me de Saint-Pern, représentant la société Electricité de France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat conclu le 6 mars 2020, le SDEEF a concédé à la société EDF, pour une durée de trente ans, le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène. La société Ile de Sein Energies a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ou de résilier, si besoin avec effet différé, ce contrat du 6 mars 2020. Elle a également demandé la condamnation du syndicat à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la signature dudit contrat. Par un jugement du 12 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a, d'une part, admis l'intervention à l'instance de l'association ClientEarth, d'autre part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ile de Sein Energies et, enfin, rejeté sa requête. La société Ile de Sein Energies fait appel de ce jugement devant la cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L.9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. L'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fait obligation aux seules " juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne " de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne en cas de difficulté sérieuse d'interprétation d'un traité. Ainsi, le tribunal administratif de Rennes n'était pas tenu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Par ailleurs, il résulte des termes mêmes de son jugement que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par la société Ile de Sein Energies, a détaillé les motifs de droit et de fait qui l'ont conduit à écarter le moyen tiré de l'inconventionnalité des dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie au regard du droit de l'Union Européenne et en conséquence à juger qu'il n'était pas nécessaire de saisir la CJUE d'une question préjudicielle. Enfin, le tribunal n'avait pas à répondre au moyen tiré de l'inconventionnalité des dispositions de l'article 24 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009, qui n'était en effet pas soulevé devant lui. Dans ces conditions, la société Ile de Sein Energies n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé.

4. En second lieu, si le tribunal n'a pas fait droit à la demande de la société Ile de Sein Energies tendant à ce qu'il mette en œuvre ses pouvoirs d'instruction, cette dernière s'était toutefois bornée à solliciter de ce dernier qu'il ordonne la production de l'ensemble des actes détachables du contrat contesté, sans préciser les actes en cause ni justifier l'utilité qu'une telle mesure aurait revêtue pour la résolution du litige. Par suite, en s'abstenant de procéder à cette mesure d'instruction, le tribunal n'a ni méconnu l'étendue de ses pouvoirs généraux d'instruction, ni violé le principe du contradictoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le contrat du 6 mars 2020 :

5. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

6. Saisi ainsi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

7. En premier lieu, la société Île de Sein Energies soutient que le 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie méconnaîtrait les principes fondamentaux de la commande publique ayant valeur constitutionnelle en attribuant des droits exclusifs à EDF pour assurer la gestion du réseau de distribution d'électricité dans les zones non interconnectées, qui a fait l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a par ailleurs présentée. Mais par une ordonnance n° 23NT02467 QPC du 28 mars 2024, le président de la 4ème chambre de la cour a rejeté, comme irrecevable en raison de sa tardiveté, en application de l'article R. 771-12 du code de justice administrative, la contestation par la société Île de Sein Energies du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été opposé par le jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 juin 2023. La société IDSE n'est donc pas recevable à invoquer ce moyen, qui dès lors ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " 1. Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union. / 3. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres ". Selon le paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE : " En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les Etats membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique, l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d'électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. (...) ". Aux termes de l'article

24 de la même directive : " Les Etats membres désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner, pour une durée à déterminer par les Etats membres en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique, un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution. Les Etats membres veillent à ce que les gestionnaires de réseau de distribution agissent conformément aux articles 25, 26 et 27 ". Selon le paragraphe 1 de l'article 25 de la même directive : " Le gestionnaire de réseau de distribution est tenu de garantir la capacité à long terme du réseau de répondre à des demandes raisonnables de distribution d'électricité, d'exploiter, d'assurer la maintenance et de développer, dans des conditions économiques acceptables, un réseau de distribution d'électricité sûr, fiable et performant dans la zone qu'il couvre, dans le respect de l'environnement et de l'efficacité énergétique ". Selon le paragraphe 4 de l'article 26 de cette directive, les États membres peuvent décider de ne pas appliquer le principe de dissociation des gestionnaires de réseau de distribution aux entreprises intégrées d'électricité qui approvisionnent moins de 100 000 clients connectés ou approvisionnent de petits réseaux isolés. Les autorités françaises se sont saisies de cette faculté, à travers les dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie, en désignant la société EDF comme gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, dont font partie les îles de Sein, Ouessant et Molène. Enfin, il résulte des dispositions combinées des articles L. 121-2 à L. 121-5 du même code que, conformément aux principes énoncés à l'article L. 100-1 de ce code, le service public de l'électricité assure notamment la mission de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, laquelle consiste en particulier à garantir l'approvisionnement des zones du territoire non interconnectées au réseau métropolitain continental, la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, laquelle consiste à assurer " la desserte rationnelle du territoire national par les réseaux publics de transport et de distribution, dans le respect de l'environnement, et l'interconnexion avec les pays voisins " et " le raccordement et l'accès, dans des conditions non discriminatoires, aux réseaux publics de transport et de distribution ".

9. D'une part, le 3° de l'article L. 111-52 précité du code de l'énergie attribue à la société EDF des droits exclusifs pour la distribution d'électricité dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental. Cette exclusivité trouve sa justification dans les sujétions que la loi impose à cette société en matière d'obligations de service public afférentes à l'approvisionnement et à la distribution d'électricité et dans les contraintes techniques propres auxdites zones, tenant en particulier au fait que, dans ces dernières, la totalité de l'électricité consommée doit être produite sur place, sans qu'il soit possible de s'appuyer sur les économies d'échelle et la sécurité d'approvisionnement permises au sein des zones interconnectées. Ces missions relèvent ainsi d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 106 précité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'application des règles fondamentales du traité, telles qu'elles sont notamment issues des articles 18, 49, 56 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, serait de nature à faire échec à l'accomplissement des missions ainsi conférées à la société EDF. Par suite, la société appelante ne peut soutenir que ces stipulations auraient été méconnues. Par ailleurs, l'absence de publicité et de mise en concurrence préalables à la signature du contrat litigieux ne méconnaît pas les principes fondamentaux de la commande publique, dès lors qu'elle est la conséquence de l'exclusivité dont bénéficie EDF pour la gestion du réseau public de distribution d'électricité sur les îles de Sein, Ouessant et Molène, qui résulte des termes mêmes du 3° de l'article

L. 111-52 du code de l'énergie, pris, ainsi qu'il a été dit au point précédent, pour l'adaptation de la législation nationale aux dispositions de l'article 26, paragraphe 4, de la directive du 13 juillet 2009, dont il n'est ni établi, ni même allégué, qu'elles méconnaîtraient les stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne.

10. D'autre part, l'article 24 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009, repris par l'article 30 de la directive 2019/944 du 5 juin 2019, impose que les Etats membres désignent le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité pour une durée déterminée et en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique. La société Ile de Sein Energies soutient que le 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie désigne la société EDF comme gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité dans les zones non interconnectées sans reprendre les conditions précitées de l'article 24 de la directive et apparait, dès lors, contraire à cette dernière. Toutefois, les articles L. 121-4 du code de l'énergie et L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales prévoient que les autorités concédantes de la distribution publique d'électricité concluent des contrats de concession, auxquels sont annexés un cahier des charges, dont l'objet est la désignation du gestionnaire de la distribution d'électricité dans leur zone de desserte. Il leur appartient ainsi, sous le contrôle du juge, de fixer la durée de la concession ainsi accordée au regard des considérations d'efficacité et d'équilibre économique propres à la justifier, conformément aux exigences de l'article 24 de la directive précitée 2009/72/CE. Il en résulte que la législation nationale, notamment le 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie, n'est pas contraire à ces dispositions de la directive. Par suite, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle, dès lors que les dispositions en cause ne présentent pas de difficulté sérieuse d'interprétation, le moyen doit être écarté.

11. Enfin, la société appelante ne soutient pas utilement que le paragraphe 4 de l'article 26 de la directive du 13 juillet 2009 ne permet pas de déroger aux conditions précitées posées par l'article 24 de celle-ci, notamment s'agissant de la désignation du gestionnaire du réseau pour une durée déterminée, dès lors que le contrat en litige ne fait pas application d'une telle dérogation. Ainsi, le moyen doit être écarté comme inopérant.

12. En troisième lieu, la société Ile de Sein Energies soutient que la durée de trente ans de la concession en litige est excessive et que le SDEEF n'a pas choisi la société EDF au regard d'impératifs d'efficacité et d'équilibre économique. Il résulte toutefois de l'instruction, en particulier du cahier des charges annexé à la concession, que le concessionnaire s'engage à réaliser de nombreux investissements. Sont ainsi mis à sa charge les travaux de renforcement des canalisations de haute tension ainsi que ceux relatifs à la maintenance, au renouvellement et à la mise en conformité des ouvrages du réseau. Un schéma directeur d'investissement, couvrant la totalité de la durée de la concession, et des programmes pluriannuels mettant en œuvre ce dernier, sont d'ailleurs définis dans le cahier des charges et en annexe de ce dernier. Ils prévoient que la société EDF assume notamment la réalisation des nouveaux réseaux et branchements en souterrain ainsi que le déploiement des compteurs Linky. La seule circonstance que le montant des investissements prévus soit faible au titre de la période 2020-2023 n'est pas de nature à démontrer que la durée de trente ans choisie par le SDEEF serait inadaptée, la société EDF faisant valoir, sans être sérieusement contestée, que la plupart des ouvrages du réseau public de distribution d'électricité ont une durée de vie étendue nécessitant, par conséquent, une période d'amortissement supérieure à trente ans, comme par exemple les canalisations haute tension et les ouvrages de branchement au réseau. Par ailleurs, la société Ile de Sein Energies n'établit pas que le coût des investissements prévus dans la concession serait au final neutralisé au profit du concessionnaire qui ne supporterait ainsi aucune charge. Enfin, la société EDF s'est notamment engagée, aux termes du contrat, à atteindre plusieurs objectifs, comme, par exemple, la modernisation du réseau pour en améliorer la résilience, notamment face au risque de submersion marine, en remplaçant progressivement le réseau de fils nus aérien par des réseaux enterrés, ou encore le développement des énergies renouvelables sur le territoire de la concession, en planifiant le raccordement au réseau d'éoliennes et d'hydroliennes. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le SDEEF a donc, en fixant la durée de la concession à 30 ans et en l'attribuant à la société EDF, tenu compte de considérations d'efficacité et d'équilibre économique et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ni méconnu les dispositions de l'article 24 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 ou les stipulations des articles

18, 49, 56 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

13. En dernier lieu, la mesure d'instruction sollicitée par la société Ile de Sein Energies, tendant notamment à demander aux intimés la production de l'avis de la commission consultative des services publics locaux et des comptes-rendus annuels du concessionnaire, doit être écartée, dès lors que son utilité pour la résolution du présent litige n'est pas démontrée. Enfin, si l'appelante a sollicité la désignation d'un médiateur dans le cadre de la présente instance en demandant à la cour la mise en œuvre des dispositions de l'article

L. 213-7 du code de justice administrative, le SDEEF et la société EDF ont toutefois refusé de participer à cette médiation.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société EDF, que les conclusions de la société Ile de Sein Energies tendant à l'annulation ou à la résiliation de la concession du 6 mars 2020 doivent être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

15. La société Ile de Sein Energies sollicite la condamnation du SDEEF à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices qu'elle aurait subis du fait de l'attribution de la concession en litige à la société EDF et de la perte de chance d'avoir été désignée elle-même concessionnaire. Toutefois, elle ne précise ni la faute qui serait imputable au SDEEF à ce titre, ni le lien de causalité entre cette faute et les préjudices qu'elle allègue, le présent arrêt rejetant au demeurant ses conclusions tendant à contester la validité de la concession, ainsi qu'il résulte de ce qui vient d'être dit. Ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées comme infondées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDEEF et de la société EDF, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande la société Ile de Sein Energies au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ile de Sein Energies la somme de 1500 euros à verser au SDEEF et de 1500 euros à verser à la société EDF au titre des dispositions de cet article.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Ile de Sein Energies est rejetée.

Article 2 : La société Ile de Sein Energies versera la somme de 1 500 euros chacun à la société Electricité de France et au syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ile De Sein Energies, au syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère et à la société Electricité de France.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- M. Chabernaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.

Le rapporteur,

B. CHABERNAUDLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02467


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02467
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Benjamin CHABERNAUD
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : COFFLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;23nt02467 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award